« Mama, tu crois que papa reviendra un jour? » Je posais cette question sans cesse. Chaque semaine, chaque mois, chaque année, dans l'espoir de le voir revenir dans notre vie un jour.
« Je ne sais pas Kassi, je ne sais pas... » Ma mère me répétait toujours la même chose. Elle ne savait pas, ignorais s'il allait revenir un jour reprendre son rôle de père et de mari, mais elle l'espérait de tout son coeur. Je n'ai pas beaucoup connu mon père. A vrai dire, j'ai même très peu de souvenirs de lui pour ne pas dire pas du tout. Il n'a partagé que quatre ans de sa vie avec moi, avant de disparaître de notre vie du jour en lendemain. Sans un mot, sans une explication. Il a laissé derrière lui une femme désespérée et une petite fille qui ne demandait qu'à avoir l'amour d'un père comme tout le monde. Alors moi aussi j'espérais de tout mon coeur le revoir un jour, qu'il me prenne dans ses bras et nous dise qu'il ne nous avait jamais abandonné. Mais plus le temps passait, et plus je perdais espoir, plus j'arrêtais de poser cette question à mon père, et elle finissait par me répondre qu'il ne reviendrait jamais. A deux, nous avons fait du mieux que l'on pouvait pour mener une vie de tout ce qu'il y a de plus normale. Mais notre problème majeur était l'argent, et il était difficile de subvenir à nos besoins.
Je me souviendrais toujours de ce soir où j'ai surpris ma mère avec un inconnu en train de faire des choses salaces. Je venais d'avoir huit ans, ma mère était occupée à l'étage avec un homme qu'elle disait être un collègue de travail. C'est toujours ce qu'elle disait quand elle montait avec l'un de ces messieurs louches. Elle m'avait demandé gentiment de reste en bas et de ne surtout pas monter pour les déranger, mais j'étais tellement contente du dessin que je venais de lui faire que je n’avais pas respecté son ordre. Je montais les escaliers à toute allure, en criant de joie.
« Mama, mama, regarde mon beau dessin! » Et d'un coup brusque, j'avais ouvert la porte de sa chambre, me précipitant à lui montrer ce que je considérais comme un chef d'oeuvre.
« Qu'est-ce que je t'avais dit? De rester en bas! » De mon intrusion dans sa chambre, ma mère s'était fâchée, me faisant de gros yeux, alors qu'elle était complètement dénudée. Elle avait pris le drap du lit et s'était entouré pour se cacher, alors que l'homme était tout aussi nu qu'elle.
« Qu'est-ce que tu fais avec le monsieur? » Je ne comprenais pas ce que je voyais. J'étais bien trop jeune pour me dire qu'ils étaient en train de coucher ensemble avant que je vienne les déranger. Je voyais dans le regard de ma mère qu'elle était gênée, qu'elle ne savait pas quoi me répondre.
« Retourne en bas tout de suite, je vais arriver. » Avait-elle réussi à me dire en pointant du doigt la sortie. Sans broncher je sortais de la chambre, la tête plein de question et d'incompréhension de l'avoir trouver comme ça. Ce n'est que quelques années plus tard que je comprenais enfin ce qu'elle faisait.
« Je n'aime pas ton travail. » lui disais-je alors que je tirais la moue. Je ne savais même pas si on pouvait appeler ça un travail. Le mot le plus approprié est sans doute auto-torture ou je ne sais quoi.
« Tu mérites tellement mieux que tous ces hommes qui ne te veulent que pour ton corps. » Je voyais ma mère avoir les larmes aux yeux. Je voyais qu'elle non plus n'aimait pas ce qu'elle faisait, qu'elle ne le faisait pas par plaisir mais plus par obligation.
« Je n'ai pas le choix. C'est le seul moyen pour pouvoir avoir à manger tous les soirs, pour que tu ailles l'école, pour que tu vives normalement. » Sa prostitution, elle le faisait avant tout pour moi. Elle voulait que je sois heureuse, que je ne manque de rien. Et ça faisait maintenant quatre ans qu'elle vivait ainsi. Qu'elle vendait son corps pour subvenir à nos besoins. Je voulais que ça cesse, qu'elle trouve un travail correct comme tout le monde, qu'elle arrête de se prostituer. Je voyais bien qu'elle avait marre de ce mode de vie.
« Tu es tout pour moi Kassiopéa. Ça sera toujours ton bonheur avant le mien, et jamais autrement. » Je ne lui en voulais pas de se prostituer. Je lui en voulais juste de ne pas penser assez à elle.
« Je te le promets que dès que je serai en âge, je trouverai un travail et je t'aiderai à tout payer! » C'était une promesse que je lui faisais et que je comptais bien tenir. Je n'avais que douze ans à cette époque, et il allait être difficile pour moi de l'aider tout de suite. Lorsque sa famille a appris la prostitution de ma mère, ils ont décidé de la renier à la place de vouloir nous aider. Au début, mes grands-parents maternels participaient financièrement, pensant qu'elle avait trouvé un petit boulot en tant que serveuse, mais lorsque la vérité avait fini par éclater, ils ont préféré nous rayer définitivement. Nous n'étions désormais plus que deux.
Pour mon plus grand bonheur, ma mère avait décidé de mettre fin à sa prostitution et avait remué ciel et terre pour trouver un travail. Elle était désormais devenue femme de ménage, un travail beaucoup plus juste et correct. J'étais heureuse pour elle. Heureuse de savoir qu'elle n'allait plus devoir se salir pour pouvoir nous faire vivre. Le dénigrement de sa propre famille l'avait d'autant plus fait réagir. Elle avait décidé de prendre sa vie en main une bonne fois pour toute, de persister jusqu'à trouver un boulot correcte. Depuis ce jour, elle voulait oublier son passé en tant que prostituée et ne voulait surtout pas que ça se sache ailleurs qu'au sein de notre "famille". Elle préférait garder ça secret, pour ne pas nuire la réputation de notre famille, ma réputation. Elle avait tellement honte d'en avoir dû arriver là, à faire ça pendant tant d'année. Elle s'est jurée de ne plus jamais utiliser cette méthode et de tout faire pour garder son job en tant que ménagère. Ce n'était pas grand-chose, et pourtant c'était déjà beaucoup pour nous. Une fois que notre vie avait retrouvé une bonne stabilité, je m'étais intéressée à tout autre chose, cherchant des réponses à mes questions: qu'est devenu mon père.
J'ai toujours été très bonne à l'école, une élève studieuse qui ramenait toujours de bon résultat pour la plus grande fierté de ma mère. Dès que j'ai pu, j'ai réussi à me dénicher un job en tant que serveuse en restauration rapide histoire d'avoir une sureté supplémentaire financièrement. J'avais tenu ma promesse, et dès que je le pouvais, je donnais des l'argent à ma mère pour qu'elle se fasse plaisir. Jusqu'ici, elle n'avait fait que payer la nourriture, nos besoins primaires et se faisait très rarement plaisir en achetant des extras. En même temps, je mettais de l'argent de côté pour moi et mes futurs projets. Je m'étais mise en quête de retrouver la trace de mon père.
« Ce n'est pas une bonne idée. Il est parti, définitivement. Il nous a oubliées depuis longtemps. » Mais elle avait beau me mettre en garde et m'empêcher à m'aventurer dans toute cette histoire, rien ne pouvait freiner mon désir d'enfant de retrouver son père absent.
« Si a tombe il a même refait sa vie pendant que nous on a galéré. » C'est suite à son départ qu'on a sombré dans la "pauvreté". Il était le moteur de notre apport d'argent. A l'époque, il kiné et on ne manquait de rien. Ma mère n'avait jamais fait d'étude et n'avait pas de boulot. A ce moment-là, on ne s'en inquiétait pas avant de sombrer dans l'enfer très vite. Je redoutais le fait qu'il avait refait sa vie. Mais peu importe, je voulais le retrouver, savoir s'il était toujours en vie. Ma mère avait peur de me voir déçue en apprenant des choses sur lui, en le retrouvant. Mais tant pis, je préférais me casser la figure que de nier l'homme qui a été mon père seulement durant quatre petite année.
« Je dois le retrouver. Je dois savoir ce qu'il est devenu, où il est, pourquoi il nous a abandonné, comprends-moi. » J'étais déterminée coûte que coûte. Ma mère voyait bien que quoi qu'elle dise, je n'arrêterai pas mes recherches.
Ma quête avait fini par payer après plus de deux ans de recherche. J'avais enfin récolter toutes les informations nécessaires pour le retrouver. Il avait déménagé en Amérique et avait refait sa vie. Ma mère s'en doutait, et moi aussi, même si j'aurais préféré avoir tort. J'étais déjà heureuse de la savoir en vie. J'étais en colère contre lui, de nous avoir abandonné lâchement de cette manière, mais j'étais tellement prise par l'envie de le revoir que j'en oubliais ma colère. J'avais ainsi décidé d'aller le voir en allant sur le territoire américain. Il ignorait tout, que j'avais tout fait pour le retrouver, que depuis plusieurs années je passais mon temps libre à récolter des informations sur son propos. J'appréhendais sa réaction quand il allait me voir débarquer ainsi, sans le prévenir. A quoi bon le prévenir, j'avais tellement peur qu'il me refoule avant même de me laisser une chance de lui parler. De plus, j'avais dans l'intention d'intégrer l'université du coin. Harvard, cette université que l'on voit dans tous les films, que tout le monde rêve d'intégrer. Je savais qu'on n’avait pas les moyens pour m'y inscrire, alors j'avais décidé de jongler avec plusieurs boulots afin d'avoir l'argent nécessaire pour partir là-bas, à Cambridge. Je m'étais découvert une passion pour la médecine. J'avais envie de devenir médecin, de sauver de vies. Je trouve qu'il n'y a rien de plus beau que ça; aider les gens. C'est ainsi qu'à mes 19 ans, je quittais l'Espagne pour partir construire ma nouvelle vie, pour découvrir mon père s'il l'acceptait.
« J'espère que tu trouveras ce que tu cherches en allant là-bas. Je suis tellement fière de toi ma fille, mais qu'est-ce que tu vas me manquer! » Si j'avais décidé de partir de mon pays, c'était en était rassurée que ma mère allait continuer de mener une vie paisible. Elle avait réussi à trouver quelqu'un, un professeur. Je le voyais heureuse, j'espérais que a durerait.
« Toi aussi tu vas me manquer. Prends bien soin de toi. » J'étais une fierté pour elle. Elle était mon modèle, elle qui s'était battu pour survivre, pour nous deux.