L'enfance est pleine de désillusions.
« Seeley chéri, vient te mettre au coin du feu, tu vas attraper froid rien qu'en regardant toute cette neige tomber ! » Je regardais par la fenêtre les enfants jouer dans la neige qui n’arrêtait pas de tomber depuis des heures. Mes yeux rivés sur les flocons blancs, je posais ma main sur le carreau un peu trop propre et frissonnais à cause de sa température. Ma mère me rappela une nouvelle fois à l’ordre et je soufflais discrètement avant de me détacher de la fenêtre et de la rejoindre en trottinant. Je venais alors prendre place entre ses jambes, juste devant le feu, mes mains jouant avec quelques fils qui dépassaient de notre tapis. Il faisait noir ce soir-là, il faisait plus sombre dans la pièce de notre modeste maison familiale que dehors, c’était à la fois calme et pesant. « Maman, pourquoi je n’ai pas le droit d’aller dehors moi ? » Ma mère était soudainement embêtée, comme toutes les autres fois où je lui posais des questions du genre. J’avais à peine cinq ans et pourtant j’étais lucide, un peu trop à mon goût. La jeune femme se rapprocha de moi et passa automatiquement sa main dans mes cheveux longs et à la couleur du feu, je tenais ça d’elle, ses origines Irlandaises qu’elle me disait, pourtant l’Irlande c’était loin par rapport à La Nouvelle-Orléans. Maman m’avait raconté plusieurs fois qu’elle était partie en laissant derrière elle grand-père et grand-mère parce qu’elle était tombée amoureuse de papa et parce que ça n’avait pas plu à mes grands-parents. Je l’entendais alors se racler la gorge pendant qu’elle enlevait un nœud de mes cheveux. « Tu sais très bien pourquoi Seeley, et puis tu pourrais attraper froid dehors, tu as vu comme la neige tombe ? » Justement la neige moi je voulais la voir, la toucher, sortir ma langue pour sentir un flocon gelé s’y déposer dessus, faire des boules de neige, c’était ça que faisaient les autres enfants. Alors qu’ils s’amusaient, moi je me contentais de passer mes journées au chaud dans un coin de la bibliothèque à lire tous les livres qui me passaient sous la main. J’aurais pu m’amuser à courir à travers les nombreux couloirs froids de la maison mais je trouvais que c’était une perte de temps. Je préférais donc m’isoler, profiter de la solitude même si celle-ci pouvait parfois peser. « Mais c’est bientôt mon anniversaire, je pourrais au moins sortir une fois, ou inviter des amis ! » Des amis j’en avais tout de même quelques-uns, non plus que ça même, seulement l’argent manquait dans notre foyer et les fêtes c’était un luxe qui devenait soudainement un surplus, mais bref j’osais dire cela car je savais très bien ce que ma mère allait répondre. Elle hésita encore un peu avant d’entrouvrir ses douces lèvres et de m’annoncer ce que j’attendais. « Tu sais mon chéri, c’est compliqué… » Je me contentais de hocher les épaules et de ramener mes genoux contre mon torse, les entourant de mes bras. Mon regard se perdait dans le feu à chaque seconde qui passait. « Dit plutôt que c’est papa qui veut pas… » À ce moment-là j’avais senti que ma mère avait compris, qu’elle avait saisi que je n’avais que cinq ans et pourtant que j’étais intelligent, et surtout lucide.
L’adolescence est le temps où il faut choisir entre vivre et mourir.
« SEELEY ! » J’entendais la voix de mon père résonner à travers toutes les pièces de cette petite maison, du moins j’aimais imaginer qu’il y a en avait des tas. J’étais posé sur mon lit à lire un comics, les pieds dans le vite, je fixais tour à tour les dessins et mon plafond un peu trop blanc à mon goût. Ma chambre était parfaitement rangée, rien ne dépassait, quelque clochait chez moi, à croire que je n’étais pas un adolescent normal. J’entendais une nouvelle fois mon père m’appeler avant de totalement défoncer la porte de ma chambre. Je ne prenais même pas la peine de me redresser ou de baisser ma BD, mais où étaient mes bonnes manières ? « Il paraît que tu as eu quelques ennuis hier, n’est-ce pas ? » Je baissais enfin ce qui me couvrait la vue et fronçais les sourcils une seconde, puis je me contentais de faire la moue en feintant que je ne savais rien. « Je ne sais pas du tout de quoi tu parles ! » Puis je me remettais à ma lecture passionnante, un Batman Silence collector, passage où le pauvre Batman se faisait duper par Double Face pendant que Poison-Ivy essayait de le manipuler, décidément cet homme, ou plutôt ce super-héros n’avait pas de chance. J’entendais mon père rager, et j’entendais également son point s’abattre sur mon bureau grand luxe qui tremblait apparemment sous sa force, à croire qu’il était vraiment en colère. « Je parle de la voiture que tu m’as volée, je parle des heures que tu as passées au poste, sans parler de toutes tes conneries de la nuit ! » Je posais à nouveau ma BD afin de me relever avec la même moue qu’auparavant. « Ah, ça… » Je voyais mon père bouillonner encore plus, bien sûr qu’il parlait de ça, quoi d’autre ? J’étais un élève-modèle, un homme savant et sage, quelle autre boulette j’aurais pu faire ? Mon père se rapprocha soudainement de moi et posa sa main sur mon col. « Quoi d'autre ? Tu veux foutre en l’air notre famille n’est-ce pas ? Si tu fais ne serait-ce qu’une autre connerie je t’envoie en pension, à l’armée, n’importe où loin d’ici. » Un sourire s’était dessiné sur mon visage, savait-il à quel point ses paroles me faisaient plaisir ? Mon regard s’était posé sur le sien, il avait apparemment trouvé le truc. Je n’étais pas dans l’optique de faire du mal à mes parents mais je ne pouvais faire que ça pour lui prouver que j’existais. J’avais beau être son fils, son seul fils même, j’avais l’impression de n’être qu’un fantôme dans cette maison, voler sa voiture, la démolir contre un joli mur, puis crier à tout va des conneries plus grosses que moi, je n’avais rien trouvées de mieux pour me sentir vivant. Mon fameux père desserra alors sa main et s’éloigna de moi, avant de fermer la porte il avait pris une dernière fois la parole. « Très bien, tu as ta liberté. » Voilà qui était fait, à 14 ans je voyais enfin l’âge de raison arriver, me voilà libre, il avait enfin compris que j’étais.
Les études vous remplissent la tête, pendant que l'amour vous la vide.
Je déambulais dans les longs et grands couloirs de l’université, ils me rappelaient un peu les couloirs dont je rêvais plus jeune, ça m’aidait un peu à pas me sentir dépayser. Après tout je passais d’une chambre ayant pour taille celle d’un placard à balai à une minuscule chambre étudiante, pas vraiment plus grande à vrai dire. La tête ailleurs je ne regardais pas où je mettais les pieds. Voilà à peine deux semaines que j’avais quitté mon père toujours aussi imbu de sa personne ainsi que ma douce mère pour venir ici et j’avais du mal à m’acclimater, c’était bien la première fois que je quittais vraiment le domaine familial, à croire que mon père avait pris un coup sur la tête le jour où il avait accepté que je parte pour Harvard, lui qui comptait chaque jour ses pauvres sous. « Attention ! » Je relevais la tête seulement quelques secondes avant de rentrer dans une jeune femme que j’envoyais valser, elle ainsi que sa pile monstrueuse de bouquin. Je me baissais immédiatement en bon gentleman que j’étais pour l’aider à se relever ainsi que veiller sur ses moindres maux. La blonde me regarda de ses yeux ahuris de haut en bas, il faut croire que quelque chose chez moi lui déplaisait, ou tout le contraire. « Joanne Scott ! » Je secouais légèrement la tête avant de comprendre qu’elle venait, à sa façon, de se présenter. Je lui adressais alors ma main pour l’aider à se relever. « Seeley ! » Je lui souriais alors et l’aidais à ramasser ses livres. L’amour n’a jamais été très présent dans mon foyer, je veux dire, bien sûr que ma mère m’aimait, mais en aucun cas je n’avais pu discerner une once d’amour, ne serait-ce qu’un geste entre mes parents. « Seeley ? C’est tout ? Pas de nom ? » Enfouissant mes mains dans mes poches, je me mettais à marcher à ses côtés dans les couloirs qui m’étaient encore inconnus. « Seeley O'Conner ! » Elle s’arrêta net et me toisa du regard, comme la fois précédente. Je me mordais déjà les doigts d’avoir l'air aussi stupide tout d'un coup. « Et tu fous quoi ici ? » Son espèce de franchise me déconcertait, j’avais toujours vécu dans une bulle, j’étais là dans mon petit costume trois-pièces parfaitement repassé à chercher comment répondre sans trop avoir l’air d’un bourge. « J’étudie l’histoire. » Elle me lança un énième sourire et me leva un bouquin qu’elle tenait en main, un bouquin sur les rois de France, apparemment elle et moi ont allaient passer du temps ensemble, ce qui n’était pas pour me déplaire. J’étais tombé fou amoureux d’elle dès ce premier instant, et contrairement à ce qu’on dit, j’étais le premier de ma classe, j’avais la tête bien remplie.
La tragédie de la mort est en ceci qu'elle transforme la vie en destin.
« Et si tu faisais quelques pompes pour te réveiller Seel' ? » Je relevais la tête avec difficulté, il est vrai que mes yeux se fermaient depuis tout à l’heure. Passant une main sur mon visage comme si celle-ci pouvait faire disparaitre la fatigue qui s’était entreposée depuis des jours, je me levais en m’étirant. « C’est un défi ? » J’étais joueur, pas très sportif mais assez pour obtenir ma tenue de pompier, oh et surtout insomniaque. J’avais troqué mes costumes de luxe ou mon cuir ainsi que mon jean troué pour une tenue un peu plus lourde. C’était en quelque sorte le destin qui m’avait poussé vers cette voie. Je me promenais un soir en compagnie de Joanne, main dans la main comme depuis toujours, quand tout d'un coup une maison explosa un peu plus loin. Nous nous étions précipités vers celle-ci pour voir à temps les gens sortir de celle-ci. Mais tout le monde n’avait pas pu s’extirper, alors j’avais plié sous les cris de la jeune maman qui appelait son fils. « Non Seeley n’y va pas c’est trop tard ! » J’avais embrassé Joanne et pris d’un élan d’aventure, je m’étais introduit dans la maison pour chercher le petit garçon. L’histoire est belle étant donné que j’avais fini avec ma photo dans le journal et que Joanne se fâchait dès que quelqu’un m’abordait pour me féliciter. Cette passion, cette expérience m’avait fait me sentir vivant, et je n’avais rien vécu de semblable auparavant, du coup j’avais décidé de m’engager en tant que pompier volontaire, au grand dam de ma petite amie. Secouant la tête pour me vider la tête je m’allongeais avant de me mettre à faire l’exercice demandé avec un large sourire aux lèvres. Je n’étais pas baraqué, mais j’avais assez de force pour faire le travail demandé, et puis je m’étais toujours bien entretenu après tout. D’un coup l’alarme fatale se mit à retentir, cette alarme me glaçait le sang à chaque fois que je l’entendais. Je me relevais et partais en courant avec mon collègue vers les vestiaires, j’enfilais le reste de ma tenue et sautais dans le camion dont le moteur tournait déjà. Les secondes défilaient à une vitesse, cela faisait déjà quelques années que je faisais ce métier, cette passion et pourtant je n’étais toujours pas habitué à tant d’adrénaline. Chaque fois que je montais dans le camion je me positionnais sur le siège passager, et pendant le trajet, je fermais les yeux et soufflais longuement de me préparer psychologiquement, ce soir n’échappait pas à la règle. « Seeley… SEELEY ! C’est chez toi ! » Je rouvrais les yeux à la vitesse éclair, je n’avais pas entendu l’appel radio et pourtant je voyais le camion s’arrêter dans la rue où j’habitais. Je sautais du camion et oubliais totalement le matériel, courant vers mon habitation qui était en flamme. C’était mon petit nid douillet, notre petit nid. Avec Joanne nous avions décidé de quitter l’espace de Berkeley et de s’offrir une petite maison, ce qui nous laisserait un peu plus de liberté que nos petites chambres étudiantes. Alors que je m’approchais dangereusement de la maison, elle explosa, littéralement. Le gaz venait certainement de se mettre à fuir mais quelle importance, je me retrouvais propulser contre le camion en bas de mon allée tellement celle-ci avait été forte. Mon collègue courra alors vers moi et examinait mes blessures pendant que je me débâtais pour entrer dans ce qui restait de ma maison. « C’est trop tard Seel', abandonne ! » Je n’avais jamais abandonné avant, et si ça n’avait tenu qu’à moi, j’y serai rentré. Trois heures après la maison était complètement éteinte, en cendres, tout le monde était parti, les urgences emportant le corps de Joanne, les voisins curieux, le reste de mon équipe, il ne restait que moi, agenouillé devant les décombres, les larmes coulant le long de mes joues, personne ne savait ce qu'il s'était passé. Quelques jours plus tard avait eu lieu l’enterrement de Joanne, je n’avais seulement que 22 ans, elle en avait 21, nous étions si jeunes, et je me sentais d’un coup si vieux, meurtri par la vie. Dès ce jour je me consacrais à fond à mon métier ainsi que celui que j’exercerais plus tard. Je sauverai encore et toujours des gens, quoi de plus prévisible ?
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