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Apparemment, mon instinct de survie s’était enrayé, car il baissa mon bras, l’air exaspéré. Un sentiment de honte m’envahit. Je ne cherchais même plus à comprendre ce qu’il se passait. J’étais donc incapable de me débrouiller sans lui ce soir, alors que j’aurais voulu qu’il me laisse dans mon désespoir, qu’il ne me voit pas dans cet état pathétique.
« Euh... Non, c’est que c’est pas par là alors… Je suis désolée… »
Je n’étais plus française là. Je n’arrêtais pas de m’excuser, de pleurer, de me cacher. J’étais aux antipodes de ce qui faisait ma personnalité aujourd’hui, c’était une expérience très déroutante. J’avais l’impression d’être retombée en enfance, d’avoir quatre ans, d’être perdue sans un adulte à mes côtés. Je ne savais plus où me mettre, prenant simplement la direction qu’il m’avait indiquée. Je n’osais même pas me tenir trop proche de lui, ou encore lui tenir la main, chose que j’aurais faite naturellement jusqu’à quelques minutes auparavant. Je serrai mes bras autour de mon corps entre deux taffes de nicotine, afin de résister à la tentation de glisser mes doigts entre les siens. Je ne voulais pas avoir à essuyer un autre refus de sa part, qui m’aurait encore déstabilisée. Je chuchotai un vague remerciement. J’étais dans une phase d’humeur descendante, et par conséquent n’arrivait pas à me convaincre qu’il me raccompagnait par envie, mais par obligation morale. Je m’étais persuadée qu’il ne voulait pas être là plus que moi, et que s’il restait, ce n’était que pour s’assurer que j’arrive à destination saine et sauve, sans me faire agresser ou sans me perdre. Ou encore pour vérifier que je ne m’endorme pas dans le caniveau à quelques mètres de là. Mais j’étais mauvaise langue. Sans que je ne lui demande rien, il posa sa veste sur mes épaules. Effectivement, je ne devais pas être très discrète, tremblante comme une feuille. Le pire, c’était que je n’avais pas si froid que ça, après réflexion. Si je tremblais tant, ce devait surtout être dû à la fatigue et les tensions qui s’étaient accumulées depuis quelques temps… Toujours est-il que sa veste sur mes épaules m’apporta un peu de réconfort. Et paradoxalement, il arriva même à m’arracher un sourire en me comparant à un automate en panne. Il n’avait pas tort, en soi, je devais donner l’impression de ne fonctionner qu’à moitié vu de l’extérieur – de l’intérieur, je ne fonctionnais plus du tout, la panne complète, HORS SERVICE s’affichait en néon rouge clignotant dans mon cerveau. Je n’avais même pas intégré le fait que ma fumée partait directement dans sa figure. Il avait toujours détesté les fumeurs, et ne m’avait jamais vu fumer. Moi qui croulait déjà sous la honte, à présent j’étais complètement écrasé par elle. Confuse, reprenant un semblant de conscience, je balançais au loin cet instrument de la mort à petit feu.
« Excuse-moi, je sais pas ce qui m’a pris… J’ai commencé en arrivant, mais j’avais réussi à arrêter, parce que je sais que c’est pas bon et que tu détestes ça, mais… Mais quand je suis tombée sur Bleeker l’autre jour, j’ai craqué et je me suis racheté un paquet. C’était une connerie, je sais… Mais je vais arrêter, j’ai réussi une fois, y a pas de raison que je n’y arrive pas une seconde fois. »
Tant qu’il était là, je retrouvais une motivation pour arrêter, motivation qui s’était complètement effacée la semaine précédente lorsque j’avais cédé à la tentation et à l’angoisse. Je serais capable d’arrêter tout de suite pour lui s’il le fallait, et tant qu’il serait en vie je n’aurais pas de soucis de ce côté-là. J’aurais pu faire tout et n’importe quoi pour lui s’il me le demandait. Finalement, nous n’étions pas si loin que ça de la maison des Lowell, car après quelques minutes de marche seulement, nous nous retrouvions devant le petit jardin et la barrière par laquelle j’avais fui son sosie une semaine auparavant.
« Voilà… On y est… »
J’étais face à lui, hésitante sur la marche à suivre. Que devais-je faire ? Lui laisser mon numéro ? L’embrasser ? Le laisser là ? Je devais avoir l’air vraiment bête planté là à regarder mes pieds. Je fis glisser sa veste de mes épaules, la lui tendant. Je n’en avais plus besoin maintenant que j’étais arrivée à destination. Je cherchais mes mots, ne sachant pas par où commencer, ni comment terminer…
« Merci de m’avoir raccompagnée… Je devrais retrouver ma chambre toute seule, ça devrait aller maintenant. Et… j’espère que ça te dis toujours que l’on se revoit plus tard, et que je t’ai pas complètement dégoûté ce soir… »
Le tout prononcé avec un léger rire nerveux, un petit mordillage de lèvre inférieure, et une main dans les cheveux, sautillante d’un pied sur l’autre, et vous obtenez le cocktail parfait de l’adolescente complètement paumée émotionnellement et sans aucune confiance en elle. J’ai déjà dit que j’étais pathétique ?
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