J’avais oublié ce que cela faisait d’être sociale. Moi qui étais tout le temps refermée sur moi, dans mon petit monde, ma petite bulle de travaille, j’en avais oublié qu’apparemment, je pouvais faire rire les gens. Finalement, avoir une colocataire n’était peut-être pas la pire des choses qui puissent m’arriver. Enfin, tout est relatif. Cela devait surtout venir du fait qu’elle n’avait pas l’air trop chiant mais plutôt sympathique. Elle me raconta qu’elle avait encore sa mère, mais ça ne devait vraiment pas se passer très bien si elle avait été placée. Mais bon, je ne voulais pas entrer dans les détails. Premièrement parce que je ne voulais pas parler de choses qui fâchent et risquer de la mettre mal à l’aise alors qu’elle venait d’arriver. Deuxièmement parce que je n’avais vraiment pas la tête à ça, encore retournée par mes folies et découvertes de la veille. Découvertes que je cachais bien profondément dans un coin de mon cerveau pour le moment, afin de ne pas me laisser parasiter par le chagrin et la peine. La douleur qui me vrillait le cerveau me fut plus qu’utile. Au moins je n’avais plus la nausée, ce qui était plus qu’agréable. « Dis donc, il marche plutôt bien ton truc. J’ai encore mal au crâne, mais j’ai plus envie de gerber dès que je bouge, c’est déjà pas mal. Par contre, je croyais que le bayou, c’était à la Nouvelle Orléans, avec le blues et les alligators ! On nous aurait raconté des conneries avec cette histoire de princesse et de grenouille ? » Comment pouvais-je faire confiance à mon cerveau au vu de son état, là était la question. N’empêche que je le croyais, le bougre. Elle me ramena sur terre brutalement avec ses histoires de Tour Eiffel. Adieu marais, trompettes et autres vaudous. Paris, la Tour Eiffel, Siméon… NON. Chut, taisez-vous viles pensées empoisonnées. En tout cas, elle avait raison sur un point. « Ça pour être dépaysé, on peut dire qu’on l’est ! Tout est tellement grand ici, ça en devient ridicule. La France, c’est tellement mieux, avec des proportions tellement plus humaines. Et puis ça a beau être un cliché parfois malmené, je maintiens que Paris est la plus belle ville du monde. Je ne me vois pas vivre ailleurs que dans la capitale française, il en est hors de question. En tout cas, c’est vrai que la Tour Eiffel, il faut l’avoir vu au moins une fois dans sa vie. Le mieux, c’est vers la Toussaint, quand on remonte les quais de Seine de la place de la concorde jusqu’au Trocadéro, vers dix-sept, dix-huit heures, avec le soleil qui se couche dans le fond, la Tour Eiffel qui s’illumine… Et quand tu arrives au quai Branly à dix-huit heure pile, ou dix-neuf heure, c’est encore mieux, elle se met à scintiller de mille feux, et là, là, c’est vraiment magnifique… Et je vais m’arrêter là, parce que je parle vraiment beaucoup en fait. Faut pas hésiter à m’arrêter quand t’en as marre de m’entendre hein, je t’en voudrais pas. » Il fallait vraiment que je me contrôle, sinon à notre prochaine rencontre, elle allait vraiment croire que j’étais schizophrène, la différence risquait de la choquer.