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Konrad & Norah
Je marchais sans faire attention. Je n’avais aucune idée de l’endroit où j’allais. Tout ce que je savais, c’était qu’il me fallait une cigarette, et au plus vite. Tu ne devrais pas fumer, dirais mon père, mais je n’en avais rien à foutre. J’avais besoin de tabac après ce qui s’était passé. Rien à faire des conventions, ni de foutre en l’air tous les efforts que j’avais fait pour arrêter. Quatre ans que je n’avais pas touché une cigarette. Quatre ans de combat et de compensation dans le travail. Mais là, je n’en pouvais plus. Je repris le contrôle de mes jambes pour me diriger vers le premier tabac à ma portée. « Un paquet de Vogue, s’il vous plait. » J’étais stressée, angoissée, et exaspérée de la lenteur avec laquelle le vendeur me donna ce foutue paquet. Quoi, ma tête ne lui revenait pas, c’est ça ? Tant pis pour lui. Je partis sans même dire merci. Je me débattis un moment avec l’emballage plastique avant de pouvoir enfin ouvrir le paquet. Je sortis une de ces longues et fines cigarettes que je portai à ma bouche. Dans un automatisme, ma main alla chercher le briquet qui n’avait pas quitté sa place dans mon sac depuis quatre ans. J’allumai la flamme. Je pris une première bouffée. La magie opéra.
J’allai m’asseoir sur un banc pour savourer l’instant. Cette sensation m’avait manqué. Je laissai la nicotine se répandre dans mes veines, détendant mes muscles un à un sur son passage. Je fermai les yeux, laissant ma tête partir en arrière dans un moment de libération. Maintenant, j’avais le temps de repenser à tout ce qui venait de se passer. Le moment le plus ridicule et le plus embarrassant de toute ma vie. Il m’avait prise pour une folle, c’était obligé. D’abord ma tétanie, puis mon bégaiement, et pour couronner le tout, ma chute. Si après tout ça, Bleeker ne voulait pas me faire enfermer dans un asile, c’est qu’il était beaucoup plus sympa que ce que je n’avais cru. Enfin bref, aussi gentil qu’il puisse être, cela ne changerait jamais rien à la situation. Il allait vraiment falloir que je prenne sur moi à chaque fois que je le verrais, jusqu’à ce que j’arrive à gérer sa ressemblance avec Siméon. Et j’allais devoir m’y faire très vite, car nous habitions sous le même toit. Dire que j’avais réussit à passer cinq ans loin de tous problèmes et autres embrouilles, et à peine avais-je intégré une fraternité que tout dérapait. Vraiment, mon père avait eut l’idée la plus catastrophique de toute son existence. Après le déménagement de l’autre côté de l’Atlantique, évidemment.
Une heure et une dizaine de cigarettes plus tard, je me levai, complètement détendue, et me dirigeai vers le Lord Hobo pour prendre mon service. Je n’avais aucune envie de travailler ce soir, mais après tout, c’était ce qu’il y avait de mieux à faire. Au moins serais-je concentrée sur quelque chose, et mes pensées s’éloigneront de Bleeker pour quelques heures. Heureusement que j’avais mes talons pour me réconforter et me booster. Je détestais ce boulot, qui était dégradant la plupart du temps, mais j’appréciais la tenue. J’aimais voler d’une table à l’autre du haut de mes talons chéris, dans mon tailleur noir et ma chemise blanche. Je sentais alors une vague de classe à la Française m’envahir, ce qui était plutôt agréable. Tout ce que j’espérais, c’était que cette soirée soit du genre calme, et que les blaireaux qui se croient tout permis avec les serveuses s’attaqueraient à Cindy. Elle avait tout pour plaire franchement. Grande, blonde, poitrine plantureuse. Franchement, dans le genre stéréotype de la serveuse, elle battait tous les records ! Pourquoi ne pouvaient-ils pas me laisser tranquille ? Surtout qu’elle était prête à tout pour mettre un peu de piment dans sa pauvre vie sans intérêt. Mais non, il y en avait toujours un pour ne pas être tenté par cette Barbie ambulante et qui préférait la petite brune, à mon grand désespoir. Je n’avais plus qu’à prier pour que ce débile ne se présente pas ce soir. Sinon, je ne répondrais plus de rien.
Après quelques heures de service, ma patience atteignait ses dangereuses limites. Trois types au moins avaient tenté leur chance. Mais malheureusement pour eux, je n’étais vraiment pas d’humeur à me faire draguer ce soir. Je n’avais qu’une envie, celle de leur vider leur verre à la figure et d’enfoncer mon talon dans leurs parties. Mais il me fallait garder mon sang-froid si je ne voulais pas être virée. Seulement voilà, j’avais le sang chaud, et je commençais à réellement bouillir de l’intérieur. À la prochaine proposition, j’avais peur de ne pas me contrôler. À force de rester seule la plupart du temps, j’avais réussit à garder un certain contrôle sur mes accès de violence. Mais aujourd’hui c’en était trop, et je ressentais le besoin physique d’évacuer toute cette violence et cette haine qui m’habitait.
Je fus servie lorsqu’un jeune imbécile tenta sa chance. Ce devait être un étudiant, et j’avais remarqué son regard insistant depuis un bon moment. J’avais tout fait pour éviter de m’approcher, mais quand Cindy avait commencé à flirter avec un client à l’autre bout de la salle, je n’avais pas eu d’autre choix que d’aller le servir. Je m’approchai donc de la tête brulée, le regard enflammer par le mépris.
« Qu’est-ce que je vous sers ? » balançai-je sans aucun effort pour paraître aimable.
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