(Josh&Julian) ∆ So much trouble

Tout n'est que silence. Tout n'est que poussière. Tout est infini. Tout est rien au fond. Nous ne sommes rien. Des pions. Juste des pions qu'on déplace sans cesse vers la vie, vers la mort. On la déplace bien trop rapidement vers la mort, Willow. C'est une de mes nouvelles patientes, en oncologie. On lui donne, je sais pas, cinq, six semaines à vivre. J'aime pas les dates. Les dates font perdre l'espoir. Il ne faut jamais perdre l'espoir. C'est ce qui nous maintient à elle, à la vie. On a pas le droit de nous dicter quand elle va se terminer.

J'avance dans ce couloir, le service de chirurgie n'est pas franchement loin du mien, et à cette heure tardive de la nuit, on y croise pas grand monde. Je sais très bien ce que je vais faire. J'ai foie en mes convictions, peu importe ce qu'on m'dira par la suite. La vie. L'espoir. Il n'y a rien de plus important. Même pas ces foutues règles sur les relations patients soignants. J'ai perdu l'obstétrique pour Septembre, ça m'dérange pas de perdre l'oncologie pour sauver une vie. Si je le peux en tout cas.

Josh et moi, nous nous connaissons depuis longtemps. Nous étudions tous les deux la médecine, nous faisons parti de la même maison, et nous partageons même la même chambre. C'est un peu un de mes piliers ici. Quelqu'un à qui je me réfère en cas de besoin. De besoin comme maintenant. Il sait ce que j'attends de lui, on en a longuement parlé il y a quelques jours. Discrètement, je frappe deux coups à la chambre de garde, espérant voir son visage plutôt que celui d'un interne mal reveillé. Il faut que ça réussisse, c'est le dernier espoir.

J'étais de garde ce soir, malheureusement. J'avais décidé de m'orienter vers la chirurgie dans mes études médicales et c'était pour cette raison que ce soir, j'étais dans l'aile de la chirurgie, plus précisément dans la salle de garde. Moi somnoler ? A peine. Faut dire que je me tape des journées de révisions intensives pour être certain d'obtenir ma sixième année. Je ne suis pas forcément le meilleur, je taffe énormément pour avoir un niveau correct. Mais c'est ma passion, c'est ce que je veux faire et je l'obtiendrai, c'est tout.

Installé sur le fauteuil, les pieds sur le bureau, je vérifiais tous les quarts d'heures mon bipeur pour être sur que personne ne faisait d'arrêt ou autre. Le reste du temps, je dormais - enfin le terme approprié est somnoler - les mains sur la tête. Seulement, j'étais interrompu par deux coups sur la porte. C'était pas fort, mais suffisant pour m'extirper de mon état actuel. Reposant mes pieds à terre, je me levais et je me dirigeais vers la porte afin de l'ouvrir. C'est là que j'reconnus mon coloc et pote, Julian. "Hey mec, t'es de garde toi aussi ?" Je me frottais les yeux, gardant mon attention sur l'étudiant quincy.

Nous sommes toujours par nos actes, positifs ou négatifs, on se rappellera toujours de nous pour ce qu'on a fait, et pas sur ce qu'on prétend être. Je ne prétends rien. Je pense que chacun doit essayer de rendre le monde meilleur, à sa façon. Moi c'est comme ça que j'ai décidé de le faire. En aidant Septembre, en aidant Willow, en aidant ces jeunes somaliens, ou en bossant dans un centre à Hawaii. On m'avait apprit à être comme ça, depuis que j'étais capable de comprendre les notions de bien et de mal.

"Josh ... T'es libre ce soir pour ... Ce que tu sais ?"

Je jettais un regard inquiet dans la chambre, les internes étaient souvent de vrais salauds avec nous, les externes, nous sommes juste leurs petits larbins, bons à faire le travail ingrat comme ils l'appellent si bien. Je me plain pas de ma condition, j'attends rien d'eux. Si ils comptent avancer comme ça, c'est leur soucis. Je sais bien que dans deux ans, je traiterai les externes avec beaucoup plus de légitimité, on a toujours à apprendre de la nouvelle génération. Ce soir, Josh était seul, tant mieux. Je passais nerveusement une main dans mes cheveux et reprit en entrant dans la chambre.

"Y'a une infirmière en médecine interne qui veut bien nous aider ce soir."

Je n'étais pas vraiment opérationnel à ce moment précis. Sortant de somnolence par quelqu'un qui a frappé à la porte, j'dois bien avouer que j'ai besoin d'encore quelques minutes pour avoir les idées claires. Seulement, j'ai répondu tout de suite à la porte et j'ai remarqué que c'était Julian, mon colocataire Quincy qui fait lui aussi des études de médecine, bien qu'il ne se dirige pas vers la chirurgie dans son cas. "Josh ... T'es libre ce soir pour ... Ce que tu sais ?" Houla, il est au taquet lui, tout le contraire de moi. Me frottant encore les yeux pour me réveiller, je le regardais l'air de dire "de quoi tu parles ?" Et puis finalement, ça me revenait. Je devais l'aider pour faire un prélèvement de moelle osseuse pour une de ses amies ou patiente. "Ouais ouais, mais j'ai besoin d'un café avant... ou cinq." C'est le genre d'intervention qu'il faut vraiment pas louper, sinon il finit paralysé et c'est vraiment pas ce que je lui souhaite. Observant tout autour de lui, il prit l'initiative de rentrer dans la pièce où je me trouvais pour m'en dire un peu plus sur la situation. "Y'a une infirmière en médecine interne qui veut bien nous aider ce soir." Je plissais les yeux, genre ce soir ce soir ? Ugh. Je refermais la porte derrière lui, m'adossant à celle ci. "T'es sûr que tout est faisable ce soir ? J'ai pas encore eu le temps de me perfectionner pour cette procédure et... vaut mieux pas que je me loupe." Bon ok, je m'étais perfectionné assez pour savoir la faire, mais j'avais réellement pas envie de me louper sur ce coup.

Je dormais peu chaque nuit, pas par manque de temps, mais parce que je n'en voyais pas l'utilité. Mon colloc, lui, n'avait pas la même opinion que moi, dormir, ça faisait parti des trucs normaux et vitaux. On dormira assez quand on sera mort.

"J'te paie un café et on y va, l'infirmière a prevu de se mater la rediffusion du dernier Game of Thrones, et si on arrive en retard, elle va nous en vouloir."

Je ne m'éternisais pas dans la chambre et ouvrais le pas vers la sortie de celle-ci. Josh avait pas l'air motivé, il fallait bien qu'il y en ai un des deux qui traine l'autre.

"Josh, ça va, c'est qu'un ... Qu'un petit truc. Puis elle t'encadrera. L'état de ma patiente se dégénère à vue d'oeil, on a pas le temps de trainer. C'est ce soir ou jamais."

Willow était de plus en plus faible, il fallait agir rapidement, ou elle allait vraiment être condamnée. J'voulais pas de ça. C'était l'espoir qui la maintenait en vie, même si elle n'était pas encore au courant de ce que j'allais faire. Il ne le serait probablement jamais. Ce genre de dons est anonyme de toute façon, tant mieux, j'aurai pas d'emmerdes dans mon nouveau service.

J'avais appris par l'expérience que le sommeil était indispensable pour des médecins comme nous. Enfin, je ne sais pas dans quelle spécialité il va se diriger vu qu'il avait déjà changé. Mais moi, en tant que futur chirurgien, j'ai besoin de sommeil car j'en manquerai bientôt. Et puis même, il faut un corps sain pour un esprit sain, c'est pour cette raison que j'ai besoin de mes 7h de sommeil par nuit. Quelques fois je vais jusqu'à 8h, mais c'est rare. Je tourne principalement autour de 6/7h. "J'te paie un café et on y va, l'infirmière a prevu de se mater la rediffusion du dernier Game of Thrones, et si on arrive en retard, elle va nous en vouloir." Il était clairement au taquet, tout le contraire de moi. Donc bon, fallait que je me motive, que je me bouge le cul, car j'allais quand même procéder à une intervention, aussi minime soit-elle. Je suivais Julian vers la sortie de la pièce. "Josh, ça va, c'est qu'un ... Qu'un petit truc. Puis elle t'encadrera. L'état de ma patiente se dégénère à vue d'oeil, on a pas le temps de trainer. C'est ce soir ou jamais." Je hochais la tête, me résignant à l'idée que finalement, j'allais devoir le faire. C'est pas comme si j'avais grand choix de toute façon. Je lui avais validé mon aide, et il était temps de me mettre à contribution. "Ok, ok. J'me motive, j'vais pas tout faire foirer, compte sur moi." J'étais à deux doigts de me foutre des baffes pour me réveiller, mais je me contenterai du café, que je me payerai. Non mais s'il croyait sérieusement qu'il allait me le payer, il s'fourre le doigt dans l'oeil.

Parfois, j'agis surtout avec mon instinct. On m'a toujours dit que c'était mauvais en tant que futur médecin, mais , moi, je pense pas. Je pense que si l'on est sur de son coup, si les actes qu'on va faire son justifiés, alors ils ne méritent pas plus de réflexion que ça. Ça m'a déjà porté préjudice bien des fois, mais tant que j'suis capable d'agir, je le ferai.

"Merci Josh, je te revaudrais ça."

Instinctivement, je savais aussi que ça le faisait profondément chier, et qu'il avait besoin de se reposer, d'avoir ses sept heures de sommeil habituel. Mais quand j'avais une idée en tête, je faisais tout pour la mettre en action. Parce que c'est le dernier espoir de Willow, parce qu'elle a pas le droit de partir avant que nous ayons tout essayé. Nous arrivions dans le hall du service de médecine interne, près de la machine à café.

"Bon, j'imagine que t'as besoin d'un grand truc bien caféiné, non ?"

N'empêche, il avait intérêt à se rendre compte de ce qu'il me demandait là, j'étais en train de louper de mes heures de sommeil pour lui. Et j'crois bien qu'à force de lui répéter, il savait que c'était important pour moi de dormir assez pour être en bonne forme le lendemain. Donc ouais, venir avec lui ce soir alors que je pouvais somnoler tranquille était un sacrifice dont il connaissait parfaitement le prix, et encore. "Merci Josh, je te revaudrais ça." Je lui souriais, le suivant à l'extérieur de la salle pour qu'on aille vers la machine à café. Il est tout simplement hors de question que je pratique quoique ce soit sans avoir une dose de caféine dans le sang. C'est l'occasion de tout louper et ça, j'en avais réellement pas envie. Pourquoi ? L'intervention aura lieu sur lui. Et on sait jamais ce qu'une procédure peut avoir comme mauvais effets sur l'organisme. Donc autant tout mettre de mon côté et être bien réveillé. "Bon, j'imagine que t'as besoin d'un grand truc bien caféiné, non ?" Je le regardais un peu à la bitch please. "Evidemment. M'enfin laisse moi prendre les commandes, j'ai une... petite habitude." Je prenais place devant la machine, ne lui laissant pas l'occasion de payer à ma place. Non mais oh. Et puis je prenais un cappuccino avec plein de sucre. D'une, le sucre est un excitant, de deux, sans ça avait très mauvais goût.

Je le laissais faire, après tout, j'y connaissais rien en café. Ça faisait parti des choses que je consommais pas. J'en voyais pas l'utilité, et ça pouvait que faire empirer l'état de mon coeur. Si je tachycarde trop, j'suis bon pour la greffe. Et la greffe, je la refuse. J'pense que je peux vivre normalement, même avec mon coeur "malformé". Il est juste ... Juste plus faible que celui de la majeur partie des gens. Si j'arrête d'essayer de faire du sports tout le temps et que je me ménage un peu, tout ira bien, et personne ne le saura.

"C'est bon, t'es réveillé ?"

Je le regardais, bien plus impatient que je l'étais normalement. Il ne devait pas me connaitre comme ça, je ne me connaissais pas moi même comme ça. Au fond, j'étais angoissé. Le doute s'emparait subitement de moi. Qu'est ce qui m'arrivait putain. J'ai jamais douté, surtout pas quand c'est sur ce genre de sujet. Mais la j'avais la bougeotte, je voulais que ce soit terminé au plus vite, pour qu'on sache réellement si on peut avoir espoir.

Une dose de caféine, c'est tout ce dont j'avais besoin pour être au taquet aujourd'hui, enfin ce soir. Après tout, fallait bien que je m'exerce d'une façon ou d'une autre donc ce petit machin qu'on fera ce soir tous ensemble, c'est comme un exercice pratique qui est bénéfique pour tout le monde. Moi, ça me permettait de voir la procédure de A à Z, sachant que je l'avais déjà bien étudiée pour l'occasion. Lui, c'était pour aider une de ses patientes qui en avait réellement besoin. Et l'infirmière, pour voir comment deux étudiants en médecine font des trucs carrément pas net le soir pendant leurs gardes. "C'est bon, t'es réveillé ?" Café commandé et ingurgité, tout était okay pour moi. J'étais déjà mieux réveillé, au taquet. Faut dire que l'adrénaline du truc faisait pour beaucoup, quand même. Je jetais alors le gobelet à la poubelle avant de me retourner vers lui, posant ma main sur son épaule. "C'est bon mec, on peut y aller." J'avais l'impression de devoir le rassurer, bien que c'était pas vraiment le cas. Il était surtout stressé parce que ça lui tenait à coeur, évidemment. Et j'allais tout faire pour pas tout faire foirer.