(cody) another hearts call

Il y a quelque temps, Cody avait fait la connaissance d'une prostituée très gentille, vraiment. Non, il ne faisait pas partie de cette catégorie d'hommes tellement en manque qu'ils devaient ouvrir le portefeuille pour qu'une fille daigne ouvrir ses cuisses. Il avait plus de classe, puis vous voyez, si un jour il devait acheter une maison, il prendrait une où il n'y a pas trop de circulation aux alentours en évitant évidemment d'être à proximité d'un péage. Ben voilà, Cody voyait la prostitution de la manière suivante. Après, il ne jugeait pas ; quand il était ado, il collectionnait les capsules de bière et haïssait toutes les personnes qui critiquaient sa passion. Certains collectionnent les capsules, d'autres les .. Bref. Il avait beaucoup de respect pour cette prostituée. Tamara, de son prénom. Ou de son nom d'artiste, rien n'assurait qu'elle ne l'avait pas bidonné là-dessus mais il s'en fichait pas mal. Après être rentré une énième fois tardivement de la bibliothèque, il fut bien content de trouver son lit chez sa mère. Le mec avait une chambre dans sa résidence, mais rien ne valait le confort de chez maman, non ? Il finit par tomber dans les bras de Morphée quand, soudain, il fut réveillé par son portable qui vrombissait contre le bois de son chevet. Il n'y a pas idée d'appeler aussi tard mais qu'importe, maintenant qu'il est réveillé il décrocha. Toujours la tête dans son oreiller, il parvint toutefois à prononcer un imperceptible ; « … Allô ? » Sortie, métro, besoin de toi. OK. Message reçut. Il reconnut la voix fragile de Tamara et pour qu'elle l'appelle comme ça en panique, il devait y  avoir un truc qui clochait. Rhaaaa, avoir copiné avec une fille de joie nuisait sérieusement à la santé. Et ça, ce n'était pas marqué sur les paquets de capotes. Habillé d'un vieux jean, d'un gros pull et d'une veste par-dessus, il descendit les rues de Cambridge et courut à travers les pâtés de maison jusqu'à la fameuse sortie de métro citée quelques minutes plus tôt. Il dévala quatre-à-quatre les marches puis se stoppa net, manquant de peu de perdre l'équilibre et de tomber en arrière lorsqu'il vit Tamara abordée par un inconnu. Sauf qu'il ne faisait pas que l'aborder, il essayait de glisser sa main sous le trench la brunette, ce qui est un geste très malpoli quand on ne connaît pas bien la personne. En plus, il n'y a qu'en Russie qu'on embrasse les gens sur la bouche pour dire bonjour, ce n'était pas tout à fait une coutume américaine. D'ailleurs, il aurait dû interpréter les débattements comme un refus mais soit, on va dire qu'il est un peu dur de la feuille. « Tamara ? » se risqua Cody pour attirer l'attention des deux protagonistes. « Merde, il se passe quoi ?! » ajouta-t-il en haussant la voix. Il se précipita vers eux et parvint à pousser le chaud-lapin pour l'éloigner de Tamara, à qui Bleeker intima de regagner la rue. « Elle te doit combien ? J'vais payer, c'est bon, laisse-la tranquille. » Il dégaina son portefeuille. Comme il était naïf de croire qu'il pouvait régler TOUS les conflits en se la jouant fair-play. Ah, il était loin de s'imaginer que ça risquait de très vite dégénérer.

Cody avait couru aussi vite qu'il pouvait, quitte à transpirer comme un jambon sous cellophane en perdant un peu plus de son sex-appeal légendaire chaque seconde qui passait. D'aussi loin qu'il s'en rappelle, c'était la première fois que Tamara l'appelait. D'habitude, ils se rencontraient au hasard le long de la rue qu'elle fréquentait bien malgré elle la nuit. Il lui avait laissé son numéro pour les « cas d'urgence » lui avait-il murmuré ce soir-là. Il faut croire que ce soir, c'en était un. Quel soulagement quand il vit qu'elle était encore dans cette fameuse bouche de métro. Enfin le soulagement dura quelques secondes, juste le temps de voir que c'est pas la main de Tamara que ce type voulait serrer. Cody vit rouge. Pourtant, il ne se mettait pas souvent en colère. Oh, il grinchait pour un oui, pour un non, pour un bus en retard, pour une fille qui le quitte, mais jamais il n'allait à la rencontre du conflit. Mais là, pas le choix. Il connaissait Tamara, sa situation. Déjà qu'il n'était pas confiant à l'idée qu'une fille aussi fragile déambule en ville la nuit pour vendre son corps, l'imaginer victime d'un prédateur aussi vorace le pétrifiait au plus haut point. Mais son immobilisme dura quelques secondes, juste le temps de se précipiter vers le gars et dégager la belle. « Quoi ? Il te doit de l'argent ? Il ne comptait même pas payer ? » La première gaffe de la soirée – oui, parce qu'avec Bleeker il y en avait TOUJOURS une. Finalement, voyant la silhouette svelte et élancée du gars et en comparant avec son corps d'athlète qui aurait arrêté le sport depuis au moins dix ans, Cody se rétracta et marmonna à Tam en attrapant sa main ; « Ouais, on s'en fout, on s'en va. » Mais l'agresseur ne vit pas les choses de la même manière. Il ne s'en foutait pas de voir Tamara partir si facilement, simplement parce qu'un toutou comme Cody lui avait dit de partir. Il tira violemment le bras du brunet qui perdit son équilibre et dévala en rouler-bouler les dernières marches de la sortie de métro – cinq, d'après le nombre approximatif de fois où il avait senti sa tête cogner le bitume – et gisa en bas, tellement sonné par les coups qu'il venait de recevoir dans la chute. Il était encore conscient, à en juger par les quelques grognements qui s'échappaient de sa bouche ; « Nooooon, j'veux pas me réveiller, j'ai pas fini ma nuit. » Oh non, la nuit n'était pas finie pour lui. Il ne croyait pas si bien dire.

Quelque chose – le destin sûrement, une connerie de ce genre – devait vouloir à tout prix que Cody s'affirme et sorte enfin de sa bulle dans laquelle il se complaisait. Qu'est-ce qui lui avait pris de jouer les pseudos super héros, comme s'il avait réellement des comptes à rendre à Tamara ? Il ne la connaissait pas, c'est vrai, et on ne peut pas vraiment dire que faire entrer une prostituée dans sa vie était la chose la plus intelligente à faire. Mais c'était Cody, il croyait naïvement – comme un dogme – que si tout le monde aidait tout le monde alors tout se passerait mieux dans le meilleur de monde. Sauf que ça n'arrivait qu'au pays des Bisounours, à la rigueur des Teletubbies. Pas à Harvard en tout cas. Il ne refusa pas l'aide de Tamara et parvint à se relever durement mais sûrement. Ses côtes le faisaient souffrir sans parler de sa tête. Une fois à la maison, il risquait de se faire une cure au Doliprane et aux haricots surgelés pour atténuer ses douleurs. Sonné, ses paupières demeuraient closes, sentant les mouvements et entendant les discours désolés de Tamara. « Il en faut plus pour se débarrasser de moi ... » Il grimaça sur la fin. À noter ; sa mâchoire douillait également. S'aidant de la rambarde de l'escalier, il se hissa sur ses jambes puis marcha jusqu'à Tamara en faisant quelques détours tant son esprit divaguait. On aurait dit qu'il était complètement bourré et croyez-moi, il aurait préféré ça. « OK, on arrête de se voir, j'ai plus d'ennui, génial, la vie est belle. Mais toi, qu'est-ce qui t'aidera à ne plus avoir d'ennui ? » Son ton était grincheux, limite teinté de reproches en pensant qu'elle ne voulait vraiment plus l'avoir dans les pattes. Plus d'ennui ... Ouais, ben Cody s'en fichait. Se casser la gueule dans les escaliers aurait pu arriver ce matin sur le perron de chez lui à cause du verglas et il aurait là aussi pu se faire tuer. Il en avait rien à faire de ça – surtout que quitter à crever, autant le faire d'une manière héroïque comme dans Titanic – mais s'il ne vole pas au secours de Tamara, qui est-ce qui le fera ? Si Jack n'avait pas secouru Rose dans son moment de détresse lorsqu'elle menaçait de sauter par-dessus bord, il n'y aurait pas eu d'histoire et ça n'aurait strictement au fait que le bateau coule à la fin. Donc quitte à plonger, il préférait être là à ses côtés pour la délivrer au maximum de ce genre de calvaire.

Le gars était enfin parti, sans même se soucier de l'état de santé de Cody. Il pourrait être mort ou bien légume, il s'en balancerait le coquillard un soir d'hiver. Heureusement, Tamara ne prit par la poudre d'escampette et se précipita jusqu'au corps de Cody, gisant. Dit comme ça, on aurait dit qu'il était raide, mais non. Juste un peu sonné, au pire il aurait deux-trois bosses et des difficultés futures à s'asseoir mais rien de bien méchant en soi. Une fois debout, il s'approcha de Tamara, ne pouvant décemment pas laisser plus d'un mètre de distance entre eux. Elle continuait, insistant sur le fait que c'était de sa faute, que tout était de sa faute, ce à quoi Bleeker réagit presque instantanément ; « Mais t'es têtue toi ! Si tu veux qu'il ne m'arrive jamais rien, viens m'aider le matin à me raser au risque je m'entaille la gorge. Surveille-moi au déjeuner pour pas que je m'étouffe avec une boulette de viande. Puis la nuit, on sait jamais, je pourrais me réveiller avec une envie pressante, trébucher et dégringoler les escaliers exactement comme ici. Quitte à ce qu'il m'arrive toujours une bricole,  je préférerais que ce soit pour toi. » Qu'il est mignon ! Ce n'est pas pour rien que Bleeker rime avec Lover, si vous voulez mon avis. Ces doigts soulignaient délicatement les cernes naissantes de Tamara, tentant de barrer le chemin à toute larme faisant une tentative d'évasion. La voyant grelottante et malgré qu'il sentait l'hypothermie à pleins poumons, il retira sa chaude veste pour la déposer sur les épaules de Tamara, par-dessus son trench. Il n'imaginait même pas Ô combien elle était habillée chaudement en-dessous. Ahah, joke. Lui, à l'intérieur, il sentirait presque ses os en breloques s'il développait davantage son sens de la parano. Cody devait être en miettes à l'intérieur mais comme il le disait souvent ; tant que ça tient encore en un seul morceau c'est que c'est pas si cassé. « Les gens meurent dans les hôpitaux. Si tu veux m'achever, c'est le meilleur moyen. » Même dans Grey's Anatomy les gens mouraient. Certains entraient pour une cheville cassée et on finissait par leur détecter un cancer et c'est donc pour toutes ces raisons que Cody n'irait pas à l'hôpital ce soir. Il laisserait la Mère Nature le réparer.

Jamais Cody ne s'était imaginé comme le prince charmant. Oui, là, il avait tout du Prince Philip qui débarque sur son cheval blanc secourir la belle, mais ses défauts se comptaient à la pelle. Il ne fallait pas l'oublier. On va dire que Tamara était encore sous le choc, que Cody était la lumière qui illuminait sa vie, blablabla. Il prenait ça avec le sourire, toujours tout en philosophie. Le sourire mutin, il riposta ; « J'peux me comporter comme un vrai connard avec toi si tu veux. » Il lui faudrait de l'entraînement, il risquait de devoir regarder au moins deux-trois saisons de Skins pour étudier à la perfection toutes les mimiques des connards dans ces séries. Il lui faudrait de l'entraînement, c'est sûr, impossible n'entrait pas dans son vocabulaire. « Oui, enfin tes doigts de fée ... » Il se pinça la lèvre histoire de se retenir de finir sa phrase. Il ne doutait pas qu'elle était habile de ses mains à tel point qu'elle en avait fait son job, mais Cody n'aimait pas se rappeler toutes les secondes que Tamara était une prostituée. Oh. Mon. Dieu. Il était ami avec une prostituée. Si sa maman  l'apprenait … Elle lui ferait la morale en le priant de faire attention à ses fréquentations. Mais bizarrement, une fois lové contre Tamara dans le métro, il en oubliait tout ce que pourrait penser sa mère, c'est fou. S'il n'avait pas aussi mal aux côtes, il l'aurait enlacé contre lui. Il opta simplement pour rester contre elle, la tête légèrement penchée vers la sienne. « Ben, t'es simplement tombée sur les mauvaises personnes, voilà tout. » Il ne se prenait pas la tête et il dirait toujours qu'il n'avait rien d'exceptionnel. C'est parce qu'il connaissait son histoire, qu'il savait donc qu'elle n'avait rien d'une branleuse (quoique dans un certain sens, siiii) qu'il avait décidé de la soutenir quoiqu'il arrive. Voilà tout. Il acquiesça d'un signe de tête pour répondre à son ultime question avant de perdre son regard à travers la vitre de la rame.