PAVEL NOVAK ~ Misha Collins

Transpirant à force de pédaler sur son vieux vélo, Pavel se rendait à l'école, cartable sur le dos, armé de courage, son battant ne sachant plus que faire. Il n'aimait pas vraiment s'y rendre, bien qu'étant un excellent élève, les autres enfants n'étaient pas des plus complaisants en sa compagnie. Ils ne comprenaient rien, absolument rien. Ils ne savaient même pas le mal qu'ils avaient pu lui faire en jetant ses chaussures dans la poubelle de la cantine, après les avoir trompées et maltraitées. Il n'avait qu'une seule paire et sa mère ne désirait pas faire de dépenses en ce qui concernait ce genre de choses. Elle ne trimait pas plus de douze heures par jour pour tout foutre en l'air dans l'achat de vêtements ou de babioles, comme elle le répétait si bien et si souvent. Lorsque le pauvre enfant s'était présenté devant elle, balbutiant et pleurant en racontant ce qui s'était passé le jour-même, elle lui avait juste demandait s'il préférait manger des légumes et de la viande à la fin du mois, ou des chaussures. La réponse avait été nette. La famille vivait déjà bien trop dans la privation.
Et qui dit pas de chaussures, dit ne plus pouvoir sortir. Heureusement, Pavel avait pu emprunter celles que son grand-frère, Frederik, avait portées étant plus jeune. Une paire très usée qui avait failli terminer dans le bac à ordures, si seulement elle n'avait pas été « dédicacée » par un lieutenant de police ayant fait visite à l'école de Frederik. Ce dernier avait toujours rêvé de faire carrière dans la police. D'ailleurs, ce serait certainement bientôt chose faite, songeait en cet instant Pavel, se concentrant sur le fait de suivre son frère, pédalant juste devant lui. Encore cinq minutes de trajet et ils seraient parvenus à destination. La petite fratrie avait toujours été soudée comme les doigts d'une main, ne se quittant que très peu. De toute manière, il n'y avait pas vraiment le moyen d'avoir de l'intimité dans le tout petit appartement où ils habitaient avec leur mère. Leur père n'avait jamais été présent, ils ne le connaissaient pas. Mais cela ne posait pas vraiment problème.
« Après tout, on est bien ensemble... » songea Pavel, toujours autant concentré sur la route, ses petits yeux bleus scrutant les alentours. Ce fut à cet instant que l'indicible se produisit. Une horreur. Un quart de seconde et une vie qui bascule à tout jamais. Deux vies qui basculent. La vie d'une famille unie volée pour l'éternité.
Si seulement le jeune enfant avait vu cette voiture débouler à temps ! Si seulement ! Mais ce ne fut pas le cas. Le coup fut brutale et fatale. Les vélos ne purent résister face à ce monstre de métal qui venait de les frapper avec une force incroyable. Un dragon cracheur de mort. Sur la route, il ne restait plus que le cartable de notre jeune Pavel, dont les onces avaient été arrachées durant le choc.

Le réveil fut difficile. Le réveil fut long. Un œil puis l'autre. Une blessure à la tête. Devant lui, sa mère. Elle se penchait pour l'embrasser tendrement. Mais elle ne souriait pas, au contraire. Les traits de son visage étaient sévères. On aurait dit qu'elle venait de prendre une dizaine d'années en un laps de temps très court. C'était peut-être le cas ?
« Ne bouge pas mon ange... » lui souffla-t-elle, alors que Pavel se noyait dans ses propres larmes. Il n'était pas bête, il avait compris. Son frère était mort. Plus jamais il ne le verrait. Plus jamais il ne pourrait lui rendre ses chaussures...

* *

Pavel pédalait encore sur son vélo, comme chaque matin. C'était un vélo neuf, l'autre était devenu bien trop petit. A vingt ans, on ne fait plus la même taille qu'à dix, il s'agit là d'une véritable évidence. Il se rendait à l'université. Il avait décidé de suivre un cursus de mathématiques, et il n'était pas peu fier de son choix. C'était ce dont il avait toujours rêvé. Sa mère était heureuse. Son fils allait avoir de bonnes études et un bon métier au final... Personne dans la famille n'avait encore obtenu de diplôme dans la famille.

**

Vingt-six ans. C'était au cours d'un colloque que le jeune homme avait trouvé son âme sœur : Maria Smith, une américaine âgé de trois ans de plus que lui. Une belle idylle qui avait commencé très simplement. Elle avait conduit à un mariage. Le mariage du siècle. Du moins aux yeux de la mère Novak qui avait fait en sorte que tout soit absolument parfait. Trente ans, et marié. Ce fut d'ailleurs ainsi que Pavel quitta son pays adoré pour se rendre aux Etats-Unis. Maria voulait un enfant. Jenny naquit un an plus tard. Une magnifique fillette possédant les yeux de son père et la somptueuse chevelure blonde de sa mère. Les diplômes de notre trentenaire étant des plus réputés, il ne lui avait pas été très difficile de trouver un emploi dans l'une des meilleurs universités du pays. Le couple nageait dans le bonheur, ne manquant de rien, vivant comme dans un rêve.

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Les rêves se terminent toujours lorsque le matin se lève, tout le monde le sait. Et le réveil fut encore plus brutal que celui de l'hôpital alors que Pavel n'était qu'un enfant. Encore un accident. Encore. Il devait être maudit. Maria était morte. On l'avait appelé et on le lui avait annoncé d'un manière si brutale que notre jeune professeur en avait fait une vraie crise. C'était il y avait deux ans. Deux années qui paraissent quelques mois à peine. Que dis-je ? Quelques jours.
Pavel sombra alors dans l'alcoolisme, l'ivresse lui donnant la sensation de vivre à nouveau. Il ne perdit pas son emploi, chanceux qu'il était. Mais il perdit bien plus. Sa fille. Les services sociaux l'accusèrent de négligence. Il était trop dangereux pour un enfant de vivre chez un père alcoolique. On lui enleva donc sa seule raison d'exister, de continuer à participer aux vas-et-viens de ce monde en perpétuel changement.
A présent, Jenny vit chez sa grand-mère, à Prague. Pavel n'a de cesse de l'appeler tous les jours pour prendre de ses nouvelles, il lui envoie des cadeaux et va lui rendre visite plus ou moins frauduleusement dès que l'occasion se présente. Les liens ne se brisent pas et la douce voix de son enfant lui avouant qu'il lui manque lui brise le cœur chaque soir.

Depuis un an, il lutte contre son alcoolisme, prêt à tout afin de récupérer son enfant, sa flamme, son cœur. Un long combat qu'il ne veut plus perdre. Au nom de l'ange qu'est sa fille, au nom de Maria, sa défunte épouse.