Priape & Zoïa ‡ Blame it on the alcohol

Et voilà arrivée les festivités du premier de l'an, Zoïa avait squatté la piste de danse une bonne partie de la soirée. C'était bien beau mais voilà, danser donnait soif et pour l'étancher, la miss avait opté pour du transparent, bien entendu pas de l'eau mais plus des liquides du genre gin et vodka. La tête tournait au fur à mesure des mouvements, mais l'ivresse était sympa, familière, comme il était bon d'oublier, de se mélanger à des inconnus et de se laisser aller tout simplement. De sa vie bien rangée la journée, Zoïa aimait à exposer en tant que noctambule son autre face, bien plus libre, bien plus décadente aussi. Les excès s'accumulaient et la Rousse se retrouvait légèrement désinhibée. Rien de bien méchant cependant. Lorgnant avec envie un des canapés en velours noir dans un des coins-salon de l'endroit, la Solitaire sociable d'une soirée décida de se retirer quelques instants. Soupirant d'aise, elle retira quelques instants ses escarpins dorés pour replier ses jambes sous elle et ferma distraitement les paupières, sa tête oscillant toujours en mouvement avec la musique. Elle entendit quelques instants plus tard, une voix masculine soupirer non loin d'elle, la voix semblait plutôt fatiguée elle aussi. Zoïa comprenait, ce petit coin plein de canapés moelleux ça donnait envie de se reposer tranquillement non, ce garçon allait s'assoupir sûrement. Elle daigna écarquiller un œil pour s'assurer simplement qu'elle n'était pas seule avec un psychopathe. Elle sursauta légèrement en découvrant Priape, réprima une mimique de dégoût puis eut un sourire finalement. « Hey Zacharias, tu me suis? » articula-t-elle. Enfin, elle pensait articuler quoi. « Le beau et gentil Priape Zacharias, avec sa jolie copine et ses adorables amis, mais hey quoi, t'es bourré? » lui déclara-t-elle en se mettant à rire en voyant son air euh... pas normal. Ou alors c'était elle? Va savoir. C'est flou tout ça.  

Je n’avais pas une raison de vouloir boire pour oublier cette année, en fait j’en avais plein : la découverte de la véritable personnalité de mon père, la disparition de mon cadet, le décès de l’un de mes frères aînés… J’attendais vraiment 2014 avec une impatience toute particulière. Je voulais pouvoir vraiment tourner la page, passer à autre chose. Je m’étais rendu à cette soirée réunissant une bonne partie des étudiants d’Harvard dans un état d’esprit un peu morose et pas forcément très festif. Pourtant, j’avais la plus jolie cavalière à mon bras. Les choses allaient en effet mieux avec Caly et nous nous étions rendus ensemble au bal. Ma petite amie était d’ailleurs partie parler à quelques amis et j’en avais profité pour squatter le bar et chercher dans le fond de mon verre l’envie de m’amuser… Mais après avoir passé une bonne partie de la soirée à jouer les piliers de bar, je dus me résoudre : mon humeur ne changerait pas… Jusqu’à ce que mes yeux ne se posent sur la piste de danse. Une jeune femme dansait avec frénésie. Je n’étais pas du genre à regarder les autres femmes mais la chevelure flamboyante de la danseuse attira particulièrement mon attention. On dirait… J’avais du mal à la reconnaître alors qu’elle bougeait avec énergie en rythme sur la musique, se déchainant ainsi, mais pourtant c’était bien elle : Zoïa. Un petit sourire éclaira mon visage alors que je l’observais au loin. Plus tard, mon regard croisa de nouveau la silhouette de la jeune femme alors que cette dernière venait de se laisser tomber dans l’un des canapés de la salle. Je me levai alors, quittant le bar où j’avais élu domicile depuis une bonne partie de la soirée. Je me sentis légèrement chanceler dans mon empressement. Combien avais-je bu de verres déjà ? J’avais arrêté de compter depuis longtemps... L’alcool avait finalement eu son petit effet, d’ailleurs c’était probablement pour cela que je me dirigeais vers ma collègue. Parce qu’honnêtement, c’était bien la dernière personne avec qui j’aurais voulu passer mon réveillon si j’avais été dans mon état normal. Les yeux clos, la demoiselle avait retiré ses chaussures et semblait s’accorder une petite sieste bien méritée. J’allais probablement troubler ce petit moment de repos tant pis. Je me laissai tomber sur le canapé à côté d’elle en soupirant pour attirer son attention et ses paupières s'ouvrirent alors. J'eus le droit à son regard habituel, entre l'agacement et le dégoût, puis à ma grande surprise, elle m'adressa un petit sourire. « Non je te suis pas, mais je t’ai vue danser tout à l’heure. » expliquai-je alors avec une pointe d'amusement en me remémorant la scène. Nous n’avions jamais eu vraiment l’occasion de nous parler en dehors de nos longues gardes de stage et je devais reconnaître que découvrir une autre facette de ma partenaire, plus festive et moins sérieuse, cela m’amusait beaucoup, surtout vu la nature de notre relation à l’hôpital. Sa façon de parler trahissait son état d’ébriété qui devait être au moins égal au moins. Je choisis néanmoins de nier lorsqu’elle me questionna là dessus : « Je ne suis pas bourré non… C’est toi qui me saoule, et sans me faire boire… » protestai-je sur un ton bourru.

Il était étrange de retrouver ici le visage de Priape. Zoïa était du genre à donner dans la contradiction et rare étaient les personnes qui avaient accès aux deux versants. C'était ce qu'on risquait à se rendre aux soirées données par l'université, mais finalement la Rousse s'en contrefichait l'alcool aidant. Le Dunster s'était installé à côté d'elle, lui assurant qu'il l'avait vu danser, cela n'avait rien d'étonnant, elle avait passé la majeure partie sur la piste danse. Les bavardages c'était pas tellement son truc. Elle eut un petit rire, et posa des prunelles langoureuses sur Priape, bien qu'exagérées. « Je danse bien, tu as vu ça Zacharias? Je suis presque aussi douée pour la médecine que pour la danse. » lâcha-t-elle en amorçant un léger mouvement de tête. « Ouais ma mère était danseuse classique c'est dans mon sang tu vois! Enfin, j'espère juste pas finir comme elle, sous norset et mariée à un con. » dit-elle en pouffant et en posant sa main sur son épaule. Non mais euh?? Cherchez pas... « Enfin tu t'en fous de tout ça va! » ajouta-t-elle en balayant ses paroles d'un revers de main. Sa dernière phrase la fit rire et elle le regarda dédaigneuse, comme elle en avait l'habitude. « Pour ça que tu es là, il te manque l'ivresse à ta petite vie triste Zacharias. Mais viens donc, je vais t'en donner. T'as soif? » lui demanda-t-elle en basculant sa tête en arrière et fermant distraitement ses paupières. Oublier pour boire, boire pour oublier, c'était un peu le même créneau.

Zoïa me lança une perche que je ne pus m’empêcher de saisir. « Si t’égares encore d’autres dossiers et que tu te fais renvoyer, tu pourras envisager une reconversion.» Façon subtile de lui rappeler son étourderie de la dernière fois. Oui, bon pour ma part je n’avais pas été au meilleur de ma forme non plus ce jour là, et j’aurais probablement mieux fait de me taire, mais l’alcool ne m’aidait pas à réfléchir posément et j’avais parlé un peu impulsivement… Cependant, les confessions que la jeune femme me fit ensuite me désarçonnèrent un peu plus. Pourtant elle m’avait raconté cela avec une franche légèreté, nouvel argument d’ailleurs en faveur de la théorie selon laquelle mon interlocutrice était saoule, disons que Zoïa et moi étions plus habitués à nous envoyer mutuellement des piques qu’à nous confier sur les troubles de notre enfance. « Peut être que je m’en fous pas Zoïa… » répondis-je avec un air soudain plus sérieux. Je glissai alors sur le canapé pour me rapprocher de mon interlocutrice alors que celle-ci penchait sa tête en arrière, paupières closes m’invitant à plus d’ivresse. Je tendis alors ma main droite vers elle pour la poser délicatement sur son menton. D’une douce pression de mon pouce et de mon index, je la fis redresser le visage vers moi avant de plonger mon regard dans le sien. « Peut être que j’ai envie d’en savoir plus sur toi, de découvrir qui tu es réellement, de connaître le moindre de tes secrets, de résoudre le mystère que tu représentes… » fis-je avec un air grave… Je tins probablement une vingtaine de secondes avant de perdre mon sérieux et de me mettre à rire. « Ouais t’as raison en fait. Je dis n’importe quoi ! Je suis bourré ! » fis-je en laissant tomber ma main en pouffant…

C'était tellement bizarre de se retrouver là en compagnie du Dunster, en même temps heureusement qu'elle était bourrée parce que du coup elle ne se rendait pas trop compte de la situation. « Je pourrai toujours te coller mes pointes au cul. » lui dit-elle d'un ton tranchant en le fixant froidement. Lui rappeler l'histoire du dossier c'était bas. Mais fallait pas croire ça lui plaisait ce petit jeu là, la rivalité, ça permettait de se booster, de donner le meilleur de soi. Zoïa avait appris à se construire dans l'adversité et non pas avec des mots tendres ou des encouragements. Elle ne connaissait que la froideur et s'en accommodait. La tête en arrière, ses paupières closes, profitait simplement de la sensation légère d'ivresse. C'est alors qu'elle sentit la main masculine attraper son menton pour remettre le Dunster dans son champ de vision. Machinalement, ses ridelles fines de peau laissèrent place à des billes limpides, brillantes mais tout à fait sérieuses. C'était peut-être la première fois qu'elle regardait Priape vraiment, sans se cacher derrière une apparence hautaine ou dédaigneuse, et il avait fallut de l'alcool pour y parvenir. Ses paupières se fermèrent de nouveau. Et l'apprenti-médecin avoua finalement son trop plein de substances alcoolisées. Son rire se fit discret, léger, et ses yeux reprirent leur attention habituelle. « Je suis une femme pleine de secrets Zacharias, on ne lit pas en moi comme un livre ouvert et même le simple fait que je sois ivre ne te le permettra pas. » Elle se leva droite et fière, et resta statique quelques instants avant de tituber et de se retrouver au point de départ. Valait mieux laisser passer un peu de temps. Retirant ses pieds de ses escarpins haut perchés qu'elle avait renfilé pour l'occasion, elle posa ses petons sur les genoux de Priape. « J'ai trop mal aux pieds Zacharias. Regarde si j'ai rien de cassé, allez fais ton job mon grand! » lui dit-elle en découvrant ses dents d'un sourire carnassier et en se mettant à rire de plus belle. Elle était drôle Zoïa bourrée finalement.

Ma petite réflexion avait atteint son but et j’eus le droit à un regard glacial de ma chère rivale. Pourtant ni les éclairs que ses yeux me lancèrent, ni la menace qu’elle proféra à mon égard, ni même le ton tranchant qu’elle employa, ne me firent me départir de mon sourire amusé. Non, ce fut ensuite que l’atmosphère changea. Probablement sous l’effet de l’alcool, Zoïa commença à me confier des fragments de sa vie personnelle que je ne soupçonnais pas, me laissant un instant hébété. Je décidais finalement de jouer sur le même tableau qu’elle, l’invitant à relever les yeux pour un échange de regards intense et quelque peu troublant qui ne dura qu’un très court instant, mon taux d’alcoolémie ne m’aidant pas à garder mon sérieux plus longtemps. Mais mon interlocutrice ne semblait pas prête à se laisser découvrir, elle me le fit bien savoir. « C’est un défi que tu me lances là, c’est ça ? » demandai-je alors. « Tu sais combien j’aime les challenges alors ne me tente pas trop. » Oui, Zoïa avait raison, elle était une vraie énigme, surtout pour moi. Malgré le temps que nous avions passé ensemble, généralement à contre cœur, j’avais appris très peu de choses sur la jeune femme, probablement en savait-elle aussi peu sur moi. Nous étions bien trop occupés à nous chamailler lors de chacune de nos rencontres. Elle tenta d’échapper à ma tentative de lever le mystère Zoïa en se levant du canapé. « Attends… » Elle tituba et retomba aussitôt sur le canapé provoquant un nouvel éclat de rire chez moi. J’avais définitivement l’alcool joyeux ce soir. Si quelqu’un m’avait dit que j’allais rigoler autant en compagnie de ma partenaire de stage, je ne l’aurais probablement jamais cru… « T’as vu je fais de la télékinésie ? Je te maintiens dans ce canapé à côté de moi par la simple pensée. » confiai-je alors en riant. « En fait, dans une autre vie j’étais un jedi… » L’excès de boisson me faisait vraiment dire n’importe quoi… Enfin, mon interlocutrice sembla se résoudre à passer davantage de temps en ma compagnie. Je la regardais alors avec des yeux ronds retirer ses chaussures et déplier ses jambes pour venir poser ses pieds sur mes genoux, m’invitant alors à les examiner avec des airs de princesse avant de se mettre à rire. « Et tu veux un massage peut être aussi ? » répliquai-je en essayant de repousser ses jambes. Puis soudain, une idée me fit changer d'avis : « Ok, je t’examine et en échange tu devras répondre en toute franchise à la question de mon choix. » Bourré oui, mais j’avais pas oublié pour autant le défi qu’elle m’avait lancé, ou que je m’étais persuadé qu’elle m’avait lancé, quelques minutes auparavant. « Mais bon t’es au courant que même si je suis l’étudiant le plus doué de notre promo, l’ortho c’est vraiment pas mon domaine préféré. » avouai-je ensuite.

Ses lèvres fines s'étirèrent en une moue réprobatrice. Bien entendu qu'elle connaissait le goût de Priape pour les défis, tout simplement parce qu'elle nourrissait le même. Les deux énergumènes sitôt leurs fesses posées sur les bancs de la faculté de médecine en première année avaient entretenu l'un à l'égard de l'autre une rivalité sans faille, aussi constante que stimulante, énervante, confortable. Priape, c'était le mec qu'elle s'appliquait à détester, celui qu'elle voulait dépasser peu importait les conditions et Zoïa s'appliquait à s'y tenir. Ce qu'il lui proposait était une pente glissante sur laquelle elle ne s'engagerait pas habituellement, mais l'alcool aidant, apportait son lot de désinhibitions. Elle se mit à rire en retombant de tout son poids sur le sofa. « Ah c'était donc ça le secret. » Elle le regarda légèrement hautaine, un sourire en coin. « Mais pas étonnant que tu sois un Jedi, un gentil petit Jedi, tu finiras aussi vert et ridé que Yoda. » Sa main vint se poser délicatement sous son menton tandis qu'elle toisait presque gentiment. « Non moi je préfère le côté obscur de la force tu vois. » Ouais bon n'importe quoi chez elle aussi, y'en avait pas un pour relever l'autre. Il tenta de repousser ses jambes, d'ailleurs elle ne savait pas vraiment pourquoi elle avait fait ça, enfin si pour le chercher, le mettre mal à l'aise, l'emmerder quoi, mais apparemment le Dunster était plutôt docile ce soir. Ça tombait bien elle aussi. « Deal. » lui dit-elle en arquant l'un de ses sourcils. C'est fou comme quelques verres d'alcool ça aidait à parler, encore plus au type qu'on adorait détester. « Mais oui, l'ortho c'est pour les brutes, toi ce que tu veux c'est sauver des vies non? » Ouais Priape, c'était la chirurgie, la classe, la technique, tandis qu'elle avait opté pour la médecine légale, soupeser, décortiquer, observer, mesurer, comprendre et analyser. Ils étaient aussi doués dans leur domaine que différent, mais il s'avérait finalement que certaines choses les rassemblait. Et aussi surprenant soit-il, il s'avérait que c'était la boisson.