Sven&Anna + just wanna know if you're okay

Trois gardes d’à filée. Trois jours qu’Anna n’avait pas réellement fermé l’œil plus d’une heure ou deux, et trois jours qu’elle n’avait pas non plus vu sa fille. Cela commençait à peser lourd dans la balance, il fallait dire ce qui est, et pourtant la jolie russe était fidèle au poste, prête à se rendre dans son bureau pour corriger le monceau de copies qui s’y entassait depuis un moment déjà. Hors de question qu’elle rentre avant d’avoir terminé car après, les vacances de Noël iraient bon train, elle serait sûrement autant occupée à tenter de festoyer avec ses proches qu’à opérer des malheureux s’étant viandés sur une route enneigée… en bref, elle marchait à la vitesse d’un demi escargot atteint de strabisme lorsqu’elle l’aperçut, de façon tout aussi hasardeuse qu’inattendue : Sven. A priori, elle aurait très bien pu le prendre pour un étudiant lambda mais il avait été si souvent admis aux urgences à cause de ses soucis de drogue qu’elle connaissait désormais son visage. « Bonjour » lança-t-elle d’une petite voix discrète alors qu’il semblait s’affairer dans son casier d’un air on ne peut plus sérieux et concentré. « Je ne vais pas vous importuner longtemps, je vous ai juste aperçu et… je voulais savoir comment vous alliez. » Oh il devait sûrement être entre deux cours ou peu désireux de lui parler mais Anna savait faire preuve de discrétion et ne comptait pas évoquer quoi que ce soit en rapport avec son dossier médical. Juste parler en général et lui demander comment il allait, comme elle l’aurait très certainement fait avec beaucoup d’autres étudiants à vrai dire.

« Il n’y a aucune raison de me remercier, je suis contente que vous alliez mieux » répliqua-t-elle d’un ton des plus sérieux, laissant pleinement entendre qu’elle pensait ses mots et ce bien qu’Anna n’ait hélas pas forcément la possibilité de se souvenir avec précision de chaque patient ayant foulé le même sol qu’elle au sein de l’hôpital où elle travaillait d’arrachepied en tant que neurochirurgien. « Comment je vais ? Et bien, si les professeurs sont plus ou moins déjà en vacances ici, ce n’est pas vraiment le cas des médecins, vous vous en doutez. Le moral est bon, la fatigue c’est un tout petit peu moins vrai » ajouta-t-elle d’un ton légèrement plus amusé, cherchant à nouer un contact disons un peu plus humain avec cet étudiant, afin de lui prouver qu’elle ne le voyait pas uniquement comme un patient lambda parmi des milliers d’autres. Il était en soi un brin particulier… puisqu’il n’aurait jamais dû tomber entre ses mains. Anna s’occupait de tout ce qui touchait à la neurochirurgie et non au reste, mais parfois, lorsque les urgences sont débordées et que les internes sont doublement tentés de faire des conneries, il faut bien mettre la main à la pâte d’une façon ou d’une autre. « J’espère avoir la possibilité de passer un moment avec mes proches au moment des fêtes. Et vous ? Est-ce que vous avez prévu de partir ou bien d’être avec des gens que vous aimez ? » Anna n’avait pas pour habitude de parler de façon aussi humaine, ni aussi intéressée… c’était réellement pour la bonne cause qu’elle le faisait.

Anna ne put s’empêcher de sourire de façon amusée face au discours du jeune homme : s’il pensait que le métier de la jolie russe forçait le respect, elle n’était pas du même avis. Il en fallait, point final, elle n’était pas du genre à s’encenser dans tous les sens et à péter plus haut que son séant. Sans doute était-ce une erreur de sa part mais elle avait fondamentalement gardé la modestie qu’elle possédait bien avant que de devenir chirurgien. « Je dirais qu’il faut des médecins pour sauver des vies, mais ça n’inspire pas le respect pour autant. C’est une vocation, que l’on a ou que l’on a pas. Vous savez, je suis devenu moi-même chirurgien car il y a quelques années, un chirurgien m’a sauvé la vie. C’est peut-être ridicule mais c’est un peu ma façon à moi de lui dire merci, et de lui faire comprendre, si toutefois il lit mes recherches, que je veux perpétuer ce travail pour lequel il avait le feu sacré. Ceci dit les médecins ont tous des vacances, le tout est de réussir à les poser et quand il y a des urgences, comme souvent au moment des fêtes, ce n’est pas évident je dois l’admettre » continua-t-elle d’une voix douce, restant bien évidemment à distance mais cherchant, à sa manière, à le déculpabiliser : il avait fait des conneries certes mais désormais, il avait la possibilité d’agir autrement. Libre à lui de continuer à se bousiller ou, au contraire, d’aller de l’avant et d’essayer de vivre, tout bonnement. « Disons que je croise les doigts… mais je suis un peu avantagée du fait que je suis maman. C’est un peu stupide comme système mais en général les parents sont privilégiés, pour passer du temps avec leurs enfants, même en bas âge. Mais si je suis d’astreinte, je m’arrangerai pour qu’un proche me l’amène tout de même afin que je passe un moment avec elle, si je n’ai pas d’urgence à traiter. »

Anna émit un tout petit sourire amusé. C’était un exploit en soi étant donné qu’elle n’était pas du genre très démonstrative dans son genre, déformation professionnelle oblige, mais lorsqu’elle sentait que quelqu’un avait besoin d’un peu plus de chaleur humaine que ce qu’elle n’offrait d’ordinaire, faire l’effort coulait de source pour elle. « Si tout le monde aidait tout le monde vous vivrions dans un monde idéal, vous ne pensez pas ? N’allez pas culpabiliser pour si peu, chacun fait ce qu’il peut de sa vie » poursuivit-elle, cherchant à ne surtout pas lui enfoncer la tête sous l’eau ou à le faire culpabiliser, surtout pas alors que cela faisait un moment qu’il n’était plus venu à l’hôpital à deux doigts de l’overdose. Il fallait lui faire voir les choses autrement à ce jeune homme, quelque chose disait à la jolie russe qu’il en avait bien besoin ! « Oh vous savez, si nous étions dans un système parfait, on s’ennuierait ferme… ceci étant, cela m’est déjà arrivé à plusieurs reprises de ne pas forcément prendre de vacances à Noël mais de me rattraper au jour de l’an. Tout le monde n’aime pas nécessairement fêter Noël, vous savez. Mais vous avez raison… avoir un enfant relativise beaucoup de choses. Si on n’aime pas Noël, on peut faire l’effort pour que nos enfants gardent le plus longtemps possible leur innocence, du moins c’est ce que j’essaye de faire de mon côté. Vous aimez Noël, Eirik, ou pour vous c’est une fête comme une autre ? » Anna était curieuse de sonder ce jeune homme. L’avoir su tant de fois en peine lui faisait quelque chose, c’était normal… elle possédait un cœur, comme tout le monde, et il arrivait forcément un moment où la vie de ses patients influait sur la sienne, même si elle essayait de l’éviter.

« Je trouve personnellement que c’est le manque de perfection des gens qui le composent qui rend ce monde attrayant. Si tout était parfait, alors… il n’y aurait plus raison de râler sur rien. Mais ceci dit, il ne faut jamais rêver radin ou petit, c’est ridicule. Un rêve ne coûte pas cher et fait beaucoup plus de bien qu’on ne le pense. » Combien de patients Anna avait-elle opérés en leur redonnant de l’espoir ? Certes, médicalement parlant, cela ne pouvait pas être une donnée à prendre en compte mais la jolie russe faisait fi de ce qu’elle avait appris pour justement la prendre en considération. Quelqu’un qui espère possède un meilleur moral, et l’optimisme aide à la guérison, cela a été maintes et maintes fois prouvé. La preuve, Eirik ici présent : pourquoi n’avait-il pas fait de séjour à l’hôpital depuis un petit temps ? Parce qu’il donnait l’impression d’être mieux dans ses baskets. Cela pouvait n’être que passager, ça n’en n’était pas moins vrai. « Pourquoi bizarre ? J’ai longtemps détesté Noël vous savez. Je pourrais en bavasser avec vous pendant des heures mais depuis la naissance de ma fille, je lui offre le rêve comblé d’innocence qu’elle mérite. Cela me fait rajeunir, d’une certaine manière… d’ailleurs, est-ce que vous avez cinq minutes pour prendre un café ou êtes-vous sur le point de vous rendre à un cours ? Le couloir est en plein courant d’air, ce serait stupide que l’on tombe malade vous comme moi avant les fêtes ! »