breath.
La chaîne en or reflétait faiblement la lumière d'un soir alors que les ambulances et voitures de flics quittaient la rue. Il inspira un grand bol d'air, après en avoir manqué de tant. Tremblant, dans sa respiration hachée se laissait percevoir les sanglots incontrôlables d'un gangster aux allures de gamin. Un grand brun trop maigre pour être un caïd, le genre de gars qui n'oserait jamais tirer sur quelqu'un, tatoué pour se donner un genre, fauché comme les blés avec a charge une famille qui ne posait plus de questions depuis longtemps. Il avait beau ne pas en avoir l'air, ne pas en avoir l'âge, pourtant, c'était bel et bien un chef de gang. Pourtant, il avait déjà tiré sur des gens et il continuerait sûrement à le faire. C'était ce à quoi se résumait sa vie après tout, alimenter en diverses drogues un quartier beaucoup plus riche de cette maudite ville de Colombie ou la coke était aussi utilisée que la farine. Par lui-même ou par un de ses sbires le sang coulait, et coulerait encore. Fernandez ne s'était jamais vu faire autre chose de sa vie, n'avait pas le choix selon lui. Un caïd ça donne des ordres aux autres après tout... Mais depuis quand un caïd ça pleure. Depuis quand il avait le droit de pleurer lui qui se voulait si fort, si parfait. Il n'arrivait pourtant pas à faire cesser ses larmes de crocodiles qui lui donnaient un air enfantin. Les insultes franchissaient ses lèvres tremblantes. A qui elles étaient adressées, sûrement a personne. Ce n'était que de la colère, de l'incompréhension. Il serrait les poings sur ses paumes pleines de sang. Ce n'était pas le sien, c'était sa faute. Le flingue lui avait glissé des mains une dizaine de minutes plus tôt et il ne le ramassait pas, presque immobile si on oubliait les soubresauts irréguliers dû à ses larmes. Il n'entendait plus que sa propre respiration désordonné, sourd au monde, aux gens qui observaient la scène par simple curiosité. Un adolescent au look rebelle les yeux détrempés par la rage et la tristesse n'arrivait même pas à agencer deux mots dans son esprit. Angel, mort. C'était arrivé vite, trop vite. Un flic en civil et un flingue pointé dans sa direction, un foutu piège et puis pan, y'en a bien un sur les deux qui méritait de crever. En l'occurrence, c'était pas le bon. C'est Gabriel le coupable. Lui, qui était le leader. Lui, qui avait pointé son arme sur ce flic. Et puis qui avait besoin de lui, personne. Qui voulait d'un pauvre type sans avenir si ce n'est le trafic de drogue, si jeune et déjà à la tête d'un gang. Un gamin élevé par une mère célibataire ayant à charge ses trois filles et son fils depuis que son mari, lui-même flic, avait craqué sa pipe en bouffant un donuts de trop au volant de sa voiture de patrouille. Voilà pourquoi ça passait toujours crème pour Gabi Fernandez, que l'on appelait plutôt Rosario pour le différencier des centaines de Gabriel Fernandez peuplant la région. Un voyou de quartier qui échappait à la justice faute de preuve. Le fils d'un flic pour qui on avait pitié, mais qu'on essayait pourtant de coffrer. Un malin, qui s'en sortait même ce soir. A qui on ne dira rien, à qui on ne ferait rien. Il venait de perdre son meilleur ami.
"Pourquoi Harvard ?" Ils étaient assis devant la maison. Celle où il avait vécu une partie sa vie, non loin de là où il était né, là où ses soeurs continuaient de vivre. Il n'avait plus le droit de rentrer dans cette maison depuis quelques temps.
"J'ai été accepté, voilà pourquoi. C'est une des meilleures écoles du monde tu sais." La gamine d'une quinzaine d'années observa son grand-frère. La vingtaine, il portait encore quelques traces de coups dû à une bagarre plus ou moins récente, ainsi que cette expression qui ne l'avait pas quitté depuis que son "frère" était mort: la tristesse.
"Je vais veiller à ce que Lux ne craigne rien." La culpabilité rongeait l'ancien gangster comme la coke rongeait ses clients passés, doucement, mortellement. Il ne voulait plus trop parlé de ce qui s'était passé et ses conséquences. Les flics, la prison, la mère qui le renie.. Sans emploi et sans logement il a vagabondé un peu, trouvé des boulots au black, a dû suivre une thérapie même, qui s'était soldé par la découverte de la boxe et ses bienfaits. On voulait qu'il aille mieux, il avait trouvé le moyen de s'en sortir: partir. "
Elle doit couter cher cette école..." La gamine fit la moue, arrachant une mauvaise herbe plantée au bord de la terrasse en palette de bois récupérée il y a des années. Dans la boue des quartiers pauvres, même l'herbe arrivait à pousser, comme un signe d'espoir souvent arraché par les moins chanceux de ce monde, les habitants non-loin des bidonvilles coincés entre deux mondes.
"J'ai une bourse et je vais travailler... Je vous enverrai de l'argent, promis." Lina arracha un nouveau brin d'herbe, plus violemment. Les filles avaient décidé de se débrouiller sans lui, de faire ce qu'il fallait pour conserver les avantages qu'il leur avait offerts, qui les avait fait sortir du bidonville au bout de la rue là où ils étaient nés.
"On a pas besoin de ton argent Gabriel." "Je crois que si" Jamais on ne l'appelait Gabriel, hormis sa mère, qui s'obstinait à croire que le premier prénom de son fils lui allait beaucoup mieux. Un ange, jusqu'à ce qu'il se fasse chopper et coffrer quelques mois. Elle ne le savait pas, pour elle, il les a juste abandonné. Déchu, l'ange n'existait plus à ses yeux. Il entendit du bruit derrière eux. Par la porte ouverte, il avait distingué sa mère dans la cuisine en train de faire la vaisselle. Il n'osait rien dire, ni rentrer après avoir fait le mort tant de temps.
"Maman va bien ?" "Oui" "Et les filles ?" "Ça va aussi, on y arrive" "Tu travailles je suppose" Elle hocha la tête, alors qu'elle était toujours appuyée sur l'épaule de son ainé. Devant eux la pluie s'abattait avec force sur la terre brute, c'était la saison des pluies.
"Tu fais le trottoir, c'est ça ?" Elle ne dit rien Comme beaucoup de gamine, aussi aisément que lui était rentré dans le trafic de drogue, elle, avait dû commencer à se vendre. C'est simple, si simple...Si commun, si dérangeant, si rabaissant, pour elle, eux, lui.
"Ça te regarde pas" dit-elle comme si elle tentait de nier. Comme si se voiler la face allait changer ce fait, elle se prostituait.
"Au contraire, si. Je suis ton frère, c'est moi qui dois gérer ça." Il en était persuadé du moins, figure paternel de la famille depuis que leur père était mort, c'était lui la défense, lui l'argent qui rentrait. Cela faisait presque six ans, qu'il avait cette responsabilité; celle de les protéger.
"Tu nous as lâché" "Dieu, m'a lâché. Mais je vous aime toujours et je veux prendre soin de vous.""Bouge-toi un peu Fernandez !" Le temps de revenir sur Terre le coup était déjà parti, frappant de plein fouets son flanc gauche; Il n'avait même pas eu le temps de le bloquer. La boxe. Pourquoi il avait choisi de se tourner vers ce sport ? Pour expulser sa colère surement. Pour arriver à éliminer cette rage sur des sacs de sables et à l'occasion, des hommes n'ayant aucun problème à se faire frapper sur le ring. Il a appris à encaisser, à utiliser sa grande logique au profit d'un sport. Ne plus avoir l'air d'être le plus faible. Il répliqua au coup avec férocité, rage, ne retenait même pas un hurlement de colère lorsque le coup heurta la chaire. C'était l'anniversaire de sa mort. "
Doucement mec ! Qu'est-ce que tu as aujourd'hui ?" Ca n'allait pas. Comme tous les ans, à cette date, il revivait plus que d'ordinaire la scène. Cela aurait dû être lui. Il aurait dû se retrouver devant la balle, lui, et pas Angel. Maria ne serait pas veuve, son enfant aurait un père. Il s'est toujours senti responsable, cela durera surement toute sa vie. Loin du monde des gangsters, il n'a plus peur de perdre des hommes...Il a peur de ses souvenirs.
"J'suis désolé" Essoufflé sans n'avoir rien fait, il recula. Qu'est-ce qui lui arrivait personne ne savait. Il ne raconte pas son histoire, son passé. Qui a envie de savoir que le gars assis à côté de soit en cours est un ex-criminel qui vendait et consommait de la coke. Il n'y touche plus depuis longtemps, n'y pense même plus. Qu'est-ce qu'être défoncé lui a rapporté ? La mort d'Angel. Et curieusement, grâce à ça.. Il s'en était sorti. Il a quitté les bas-fonds de la Colombie, a changé de vie du tout au tout. Tout ça parce qu'on a descendu son meilleur ami, et qu'on l'a envoyé en prison. Ça lui a partiellement remis les idées en place, contrairement à beaucoup qui finissent par plonger plus encore dans cette spirale de violence et de délits. De la Colombie il ne lui reste pas grand-chose. Un passeport, quelques babioles et Lux qu'il avait retrouvé là. Peu de choses lui manquait, peut-être le fleuve, la nourriture...Sa famille. Mais il a changé, radicalement. Il est plus mature qu'avant, chose qui semblerait difficile à croire; ll est plus sérieux, impliqué dans ses études, persuadé qu'il pourrait se repentir assez pour ne plus avoir honte devant ceux qu'il a blessé. Être un exemple de réussite, s'en sortir définitivement. Ne pas replonger, être fort.