Non, je ne veux pas apprendre le russe - Calvin

Écouteurs dans les oreilles, je marchais d'un pas assuré dans le Yard en direction du Hall. Je devais y récupérer quelques papiers pour m'inscrire à une nouvelle option, puis dans une heure j'avais encore et toujours de la biologie. J'avais la nausée rien que de penser aux trois prochaines heures, parce que oui cette matière me rendait malade. Autant j'étais contente d'avoir arrêté les mathématiques, mais la biologie ça me pompait toute mon énergie. Parfois j'me dis que j'aurais mieux fait de devenir journaliste ou quoi. Mais non j'ai choisi de devenir vétérinaire, quelle idée ! Même si, bon, j'adore ce métier. Le froid environnant venait me stopper net dans mes pensées, je resserrais mon écharpe autour de mon cou, et je fermais mon manteau en vitesse. L'hiver se faisait de plus en plus proche et, frileuse que je suis, derrière mon rouge à lèvres, je sentais la couleur bleue arriver. Heureusement, j'avais tout prévu. Je me dépêchais afin d'atteindre le Hall au plus vite, tout le monde autour de moi luttait avec le vent pour se rendre en cours. J'arrivais enfin, doigts crispés mais j'étais toujours en vie. J'enlevais mon écharpe d'un seul coup afin de m'habituer à la chaleur moyenne du lieu. Je me dirigeais vers le secrétariat, mais comme d'habitude, je voyais pas mal de monde qui attendait déjà. Je décidais donc d'attendre sur un banc à côté que la queue se réduise, de toute manière j'avais encore quelques révisions à faire, alors, toujours en compagnie de mes chers écouteurs, j'ouvrais un cahier... de biologie bien évidemment.

Je regardais ma montre, je devais me dépêcher car mon cours arrivait bientôt, je jetais un vif coup d'oeil au secrétariat qui s'était bien vidé, alors je rangeais mon cahier avant de me diriger vers le comptoir. J'attendais quelques minutes puis je demandais mon papier d'inscription, c'était un papier administratif non nominatif alors ce n'était pas compliqué à trouver. La personne qui venait de me donner le papier me rappelait que j'avais une semaine avant de rendre le papier, une fois ce délais dépassé je ne pourrais plus intégrer l'option. J'acquiesçais puis je repartais en direction de ma salle de cours, toujours d'un pas assuré. « Mademoiselle Thomspers ! » arrivait à mes oreilles, coupais dans mon élan je me retournais vivement. Qui ça pouvait bien être? Je ne voyais personne que je connaissais mais un homme s'approchait de moi puis se présentait. « Bonjour, Mr.Mikhaïlovitch. On m'a dit que vous auriez besoin de cours de russe. » Un professeur, mais pas n'importe quel professeur, un professeur de russe, d'un côté son nom de famille ne laissait pas le moindre doutes. Je faisais la grimace. Euh, bonjour. Comment savait-il? Enfin comme était-il au courant que j'avais besoin d'apprendre le russe, personne ne sait pour mon oncle... enfin presque personne, si ce n'est ce prof qui s'est prit d'affection pour mon histoire, et j'ai eu le malheur d'en parler... dans une dissertation. On devait parler de choses qui nous tenaient à coeur... et malheureusement, cet oncle est la seule famille qu'il me reste, du moins qui a un rapport avec mes parents... alors malgré tout, oui, il me tient à coeur... seulement il parle très mal l'anglais. Mais je ne suis pas prête à le rencontrer alors étudier le russe... non merci, ce serait trop dur, trop de souvenirs.. trop de tout. Je ne sais pas qui vous a dit ça, mais... c'est une erreur. dis-je avec un sourire désolé, mais pas crédible du tout. Quelque part... j'aimerais parler russe, seulement c'est trop dur. Je chassais cette idée de ma tête, je ne pouvais pas me permettre de penser à des choses douloureuses.

Une claque, c'est ce que ce cher professeur venait de me mettre en pleine tête lorsqu'il avait dit d'un air posé « Je suis au courant pour votre oncle. » Sept petits mots qui m'arrivaient en pleine tête, j'avais donc raison, il était là grâce à cet autre professeur, j'étais furieuse... Mais encore plus contre moi-même, sans trop savoir pourquoi. Il poursuivait. « Ecoutez, si vous ne voulez pas, je laisse tomber, mais si je puis me permettre, je trouve ça dommage. En plus de nouer un lien avec votre oncle, vous apprendrez une nouvelle langue et je peux vous assurer qu'à la fin vous serez presque bilingue. » Je déglutissais, penser à mon oncle, à tout ça, me donnait des frissons dans le dos... c'était si compliqué à imaginer. Depuis toujours, je sais que je suis seule, que je n'ai plus de famille et que je dois me débrouiller toute seule, mais du jour au lendemain j'apprends que j'ai un oncle... une famille. Petite, mais j'ai une famille et c'est... perturbant, quand vous êtes habitué à vous savoir seule. Je ne veux pas mettre trop d'espoir dans mon oncle, j'ai été trop blessé et déçu pour risquer de l'être à nouveau, alors, apprendre le russe, le rencontrer... Ah dis-je spontanément. Je fixais le sol un instant devant les yeux de ce professeur. Je ne sais même pas si ça servirait à quelque chose... vous savez je le connais même pas encore... on pouvait sentir une certaine émotion dans mes dernières paroles. Je... bilingue vous dites? Mais merde Caly, pourquoi tu es encore en train de poursuivre cette conversation? Je m'en veux, je devrais être partie et avoir remercié ce professeur depuis une bonne dizaine de minutes déjà, et pourtant, je viens de poser cette question... comme si... comme si une partie de moi avait de l'espoir.

« Encore mieux. Vous pourrez vous préparer et vous ferez surement bonne impression devant lui. » me disait-il. Mais est-ce que j'avais envie de me préparer? Est-ce que j'avais vraiment envie de faire bonne impression... oui quelque part, car il était mon oncle, mais j'ai tellement peur, peur de sa réaction. Je ne connais que très peu de choses sur lui, et je ne sais même pas s'il sait que j'existe... j'espère que non, de tout mon coeur. S'il le sait, ce serait la fin, je serais déçue car il m'aurait abandonné. Mais mes parents m'ont toujours dit, durant nos 13 ans de vie commune, qu'il fallait avoir de l'espoir, car sans ça, on ne peut avancer. J'ai de l'espoir, vraiment, sinon je n'aurais pas posé ma dernière question seulement... je ne sais pas si c'est suffisant ici. Peut-être, mais je ne pense pas que parler Russe soit suffisant pour faire bonne impression. Je doutais, bien évidemment, mais ce professeur, il semblait si déterminé... que je succombais presque à l'idée d'apprendre cette langue. « Bilingue. Vous savez, ce n'est pas vraiment compliqué. Puis, je propose aussi des cours de soutien en dehors de mes cours magistraux. » Il avait envie de m'aider. C'était gentil de sa part... mais je ne comprenais pas. Alors, spontanénent, je cherchais une réponse à cette question. Pourquoi vous faites ça? Enfin j'veux dire, pourquoi m'aider... dis-je en le regardant les yeux vides, j'avais perdu mon assurance du début de notre conversation, penser à tout ça me rendait faible quelque part, et dieu ce que je détestais ça.

« Pourquoi dite-vous cela ? Si ce n'est pas indiscret. » me demandait Mr Mikhaïlovitch. Je ne savais pas trop quoi répondre... car je ne savais pas trop la réponse non plus. Parce que mon oncle est peut-être un homme froid... ou peut-être qu'il ne se préoccupera pas de moi, peut-être qu'il sait que j'existe et qu'il s'en fiche... il y a beaucoup de peut-être qui font que je ne pense pas pouvoir l'impressionner juste en parlant sa langue... parce que ça ne peut se résumer à ça. Parce que je ne sais pas qui il est... ce qu'il pourrait attendre de moi. Vous voyez, j'me demande même s'il sait pas que j'existe, et s'il le sait ça voudrait dire qu'il m'a abandonné... puis même je ne pense pas que parler sa langue sera suffisant... si je ne suis pas la hauteur, apprendre le russe ne servirait à rien. Je veux faire bonne impression, vraiment, parce qu'il est de ma famille mais... je veux pas être déçue vous voyez. Je venais de déballer un charabia incompréhensible, et je venais surtout de m'ouvrir à ce professeur, malgré moi. Mais il avait demandé... et j'avais besoin de me vider, trop de choses me passaient par la tête... j'allais exploser si je ne parlais pas. Je suis désolée de vous raconter tout ça... vous avez sûrement mieux à faire dis-je avec un sourire qui exprimait mon désarroi. « La famille c'est important. On ne doit pas se poser des limites à cause de la barrière de la langue ou de quoi que ce soit. » Il avait raison, je le savais... mais je ne sais pas ce que c'est d'avoir une famille, je ne sais plus, et ça me fait peur... Il continuait et je l'écoutais d'une oreille attentive. « Ne reculez pas. C'est important de connaître nos origines. Puis, peut-être qu'il a des choses à vous dire. » Le problème, c'est que j'avais l'impression de reculer toute seule en le rencontrant car je retournais dans mon passé, mes racines... et j'avais vraiment peur... Oui je sais... mais c'est compliqué... je n'ai jamais eu de famille, je ne sais pas ce que c'est. Et voilà, je continuais à faire des confessions. « Et vous, pourquoi vous hésité à le rencontrer ? » Je ne savais pas quoi répondre, j'étais si perdue, comme dans mes dernières paroles... Pour toutes les raisons que je vous explique... parce que j'ai peur. Quitte à être honnête, autant l'être jusqu'au bout.