Un repas entre amis ► Jude

J’avais passé une très, très mauvaise nuit. J’avais terminé mon stage à l’hôpital hier assez tard, et même si cela n’avait pas été la seule chose qui m’avait passé une nuit horrible, ça y avait contribué. En fait, avant d’aller à l’hôpital hier, j’avais envoyé un long sms à Apple, pour lui dire ce que j’avais sur le cœur, à savoir que j’étais désolé pour tout, que je l’aimais et qu’elle était très importante pour moi alors que je ne voulais pas la perdre, et juste qu’on recommence à zéro car elle me manquait. Mais quand je vis sa réponse hier soir, je crus que je m’enfonçais dans le sol et j’allais devenir dingue. Elle m’avait carrément envoyé balader, me disant qu’elle regrettait de m’avoir rencontré, qu’elle me haïssait et tout ce genre de chose qui m’avaient vraiment mis très très mal. Et si Roxanna n’avait pas été là, je crois que j’aurais replongé. Enfin non, je ne crois pas, j’aurais replongé alors que cela faisait un mois que je n’avais plus rien pris, aucune drogue, rien. Cette nuit avait été longue, et j’étais juste resté allongé près de Roxanna, à ne rien dire, la gorge complètement nouée, les mains tremblantes. Aujourd’hui, je n’étais pas forcément de bonne humeur, je repensais sans arrêt à ce que Apple m’avait dit…que j’étais le pire meilleur ami au monde, qu’elle me haïssait et qu’elle ne voulait plus jamais me reparler… J’avais complètement oublié que j’avais rendez-vous ce midi avec Elia, c’est son sms qui me fit redescendre sur terre. J’étais dans les vestiaires en train de me changer de ma tenue d’interne et je sortais de l’hôpital. Je devais avoir une très mauvaise mine et des cernes sous les yeux. Avançant jusqu’au parking, je reconnus tout de suite la voiture de la demoiselle et je me dirigeais vers elle, essayant de lui afficher un sourire tant bien que mal. « Hey… », lançais-je d’une petite voix à la jeune femme en arrivant à sa hauteur, la prenant dans mes bras en guise de salutations. « Bon…tu veux manger où ? » Je préférais poser cette question-là avant d’en arriver aux « comment ça va ? », car je n’avais vraiment pas envie d’avoir à répondre à cette question…

Je le sentit tout de suite, que Elia avait compris que quelque chose n’allait pas. En même temps, la jeune femme était plus ou moins habituée à me voir dans des sales états. En fait, elle était peut-être plus habituée à me voir triste et malheureux, que de me voir heureux. Lorsque nous nous étions croisés à Cancun, ça avait dû lui faire bizarre, de me voir souriant comme ça. Mais depuis cette histoire avec Apple, surtout, depuis le texto qu’elle m’avait envoyée pour me dire que j’étais le pire meilleur ami qu’on pouvait avoir, qu’elle me haïssait et qu’elle regrettait qu’on se soit rencontrés, j’avais l’impression de retomber petit à petit au fond du trou. Cette histoire, m’avait même rendu très fragile au point que j’eus faillis replonger, mais Roxanna avait su trouver les bons mots pour m’empêcher de faire cette erreur. Je fermais les yeux durant notre étreinte, sentant la main de la jeune femme caresser doucement mon dos. Elia avait toujours été là pour m’écouter parler, comme j’avais été un habitué du bar où elle travaillait, elle avait pris pour habitude de faire ça, aussi de m’empêcher à prendre le volant après avoir trop bu ou ce genre de chose. En fait, elle était un peu comme…ma psy, même si je détestais me confier aux gens. Avec elle c’était différent, car je savais qu’elle ne me jugerait pas, jamais. J’avais certainement dû lui raconter mon passé, la mort de ma mère et de mon fils quatre mois plus tôt, un soir où j’étais trop bourré pour me souvenir de quoi que ce soit le lendemain et même si ça m’aurait gêné avec n’importe qui d’autre, ça ne me gênait pas avec Elia, car elle n’avait jamais fait allusion au fait qu’elle connaissait mon passé miséreux. « Si tu veux on peut manger dans un resta, à moins que tu préfères un snack ? », demanda-t-elle calmement. Je me détachais de ses bras, esquivant un sourire – même s’il devait semblait faux – avant d’hausser les épaules. « Mh…je roule pas sur l’or en ce moment, alors je dois avouer que je préférerais un snack… », répondais-je doucement avant de me racler la gorge. « Alors, pas trop dur de revenir ici après avoir connu le paradis à Cancun ? », demandais-je avant de me mettre à marcher près d’elle : il y avait plein de snack tout près de l’hôpital, pas besoin de prendre la voiture.

« Ben je t’invite, comme sa on mange dans un bon petit restau, celui que tu préfères même, sa fait longtemps qu’on s’est pas vu mis à part Cancun alors dit oui stp » Je souris, et j’hochais la tête positivement. Je savais qu’elle insisterait de toute manière. Malgré le fait que je ne me sente vraiment pas bien, je n’avais pas annulé mon rendez-vous avec Elia. C’était même, une occasion de pouvoir me changer un peu les idées, ce qui pourrait me faire, que du bien. Elia, avec son sourire, apportait toujours un peu de fraicheur et de bonne humeur et même si je sentais, qu’elle était au courant pour me passer, j’appréciais qu’elle ne m’en parle pas, qu’elle ne tente pas de m’extirper des informations alors que je détestais, parler de mon passé. C’est vrai que les gens me regardaient avec pas mal de préjugés : j’étais un drogué, qui faisait toujours la gueule et qui couchait avec tout ce qui bouge. Mais les gens, ne savaient pas pourquoi, j’étais comme ça. Et toute personne, qui a ce genre de problème, cache forcément quelque chose dans son passé qui l’a poussé à toucher le fond comme ça. Mais ça, les gens ne s’en préoccupent pas, ils préfèrent s’en tenir à l’image, et pas à ce qu’il y a derrière. Toujours le sourire aux lèvres, la jeune femme s’approcha de moi pour me prendre le bras, alors que nous marchions au restaurant le plus proche. Ça n’était pas ça qui manquait, autour de l’hôpital universitaire. Surtout des petits restos pas trop chers. « Si c’est un peu dur je dois avouée, j’ai passé une semaine de folie mais il faut bien retourner à la réalité. Par contre je compte bien remettre ça & avant l’année prochaine & toi ? » Je ris en la regardant, elle était toute bronzée, beaucoup d’entre nous l’étions, avec le magnifique temps que nous avions à Cancun. Cela nous changeait radicalement d’ici. J’haussais les épaules, glissant une main dans la poche en jetant un rapide coup d’œil au ciel tout gris. « Dur…j’étais mieux là-bas, ça c’est sûr. » Là-bas, il n’y avait plus toutes ses histoires de guerres entre les maisons, il n’y avait pas les cours, il y avait le beau temps, la plage. Surtout que là-bas, j’avais passé ma première nuit avec Roxanna, enfin, la première nuit à ne pas juste regarder la télé et se faire des câlins innocents. « Disons que…ouais, c’est ça. Retour à la réalité…une réalité de merde », soufflais-je en esquivant un léger sourire à la petite brune.

Elia respirait la bonne humeur, c’était toujours le cas quand je la voyais. Ce que je trouvais incroyable d’ailleurs, mais c’était une des raisons pour lesquelles j’aimais beaucoup sa présence. La jeune femme avait sans arrêt ce sourire sur le visage, sauf quand je la contrariais de trop, comme j’avais certainement dû le faire la dernière soirée à Cancun, à cause de cette dispute. C’est vrai que j’aurais dû me calmer, mais en même temps, c’était tellement injuste qu’Andy s’en prenne à moi alors que jamais je ne lui avais cherché des histoires, du moins, pas pendant les vacances. Et si je laissais passer ça, on allait croire qu’Andy avait le dessus, alors que pas du tout. Je pourrais l’écraser comme une minable petite mouche cet enfoiré. En tout cas, ce qui était sûr, c’était que je ne pouvais plus le voir en peinture depuis ce voyage, c’était officiel et définitif. C’est pour ça d’ailleurs, que je n’allais plus chez les Eliot et que c’était Roxanna qui venait elle chez les Mathers : j’étais bien la cible numéro un des petits bleus, tout ça à cause d’Andy, en plus. Enfin, je me fichais de la réputation que je pouvais avoir, au fond. Tant que mes amis savaient qui j’étais. Même si ça n’était plus le cas d’Apple qui avait radicalement changée depuis quelque temps, et qui se comportait comme une vraie peste à mon égard. Si je m’étais moqué d’elle dans l’article du journal de la fac, c’était parce qu’elle avait commencée à se moquer de mes tendances suicidaires, et ça m’avait beaucoup blessé, car elle seule avait été là quand ma mère et mon fils sont décédés il y a cinq mois.

« Ne dit pas ça, c’est bientôt la fin de l’année, c’est bientôt l’été, pense à ça .. d’ailleurs tu envisages de faire quoi cet été ? Tu pars ? Ou tu restes à Cambridge ? » J’haussais les épaules, c’est vrai que la fin de l’année approchait à grand pas, et j’avais vraiment hâte. J’imaginais déjà à quoi pourrait ressembler les vacances, à ne pas devoir aller en cours, pouvoir rester toute la journée avec Roxanna…exactement comme à Cancun. Le paradis sur terre, même si Cambridge n’était pas forcément le lieu de vacances le plus fun. Mais c’était mieux que rien, et mieux que de rester tout seul dans mon coin. « J’ai pas les moyens de partir en vacances, donc j’pense que je vais rester ici… », répondais-je à la jeune femme en essayant de lui offrir à nouveau un petit sourire. C’est vrai qu’à mes 22 ans, je pourrais enfin toucher l’argent que mes parents m’avaient laissés, mais je savais déjà qu’il n’y en aurait pas beaucoup. Avec les médicaments que je devais prendre régulièrement à cause de ma leucémie guérit, mais menaçante de pouvoir revenir, mes visites à l’hôpital et mes études à Harvard, je n’aurais pas le luxe de pouvoir le dépenser comme ça, pour des bêtises. « Et puis, si je passe en 5ème année, j’vais devoir faire encore des stages à l’hôpital donc…pas de vacances pour moi ! Et toi ? » C’est vrai que mes études me prenaient beaucoup de temps, mais c’était ce que je voulais faire, et ce que j’aimais faire. Pouvoir guérir des gens comme on m’avait guérit autrefois.

C’était tout ce que j’avais, après tout. Mes études, et je n’avais aucune envie de me louper. Je ne me voyais vraiment pas redoubler une année, surtout que, en passant en 5ème année, j’allais avoir beaucoup plus de cours pratiques, de stages que si je restais en quatrième année. J’allais devenir externe, et c’était la partie la plus intéressante des études avant de devenir interne en sixième année. J’avais vraiment hâte, car rester assis sur un banc, à prendre des pages et des pages de notes, de la théorie, encore et encore, c’était vraiment, disons-le, très chiant. Mais bon, il fallait bien passer par là ! Et puis, redoubler une année alors que je comptais me spécialiser en oncologie (cancer), ça allait m’allonger encore plus la durée de mes études. Car j’en avais pour encore environ 5 ou 6 ans avec ma spécialisation, même si après la quatrièmes année de médecine, c’était plus des stages et de la pratique que de la théorie. « C’est vrai, sa va être encore plus dur en montant. & pour ma part je ne pars pas. J’ai tout ici, mes amis, ma famille. Je partirais peut être ailleurs une semaine ou quoi mais c’est tout, j’aime bien les vacances à Cambridge » J’hochais la tête en riant légèrement. C’était pareil pour moi d’ailleurs, j’avais tout ici. Enfin tout…disons, mes quelques amis (qui se comptaient sur les doigts de la main vu ma grande popularité à Harvard) et surtout, j’avais Roxanna. Je ne me voyais franchement pas partir sans elle, ne pas la voir pendant des semaines…non, c’était inconcevable, vraiment. « Alors tu choisis quel restaurant ? » Je regardais face à moi les quelques resto qui étaient tous les uns à côté des autres dans la grande rue. J’haussais les épaules, je n’avais pas envie d’en prendre un trop cher, surtout que c’était elle qui allait payer. « Mh…l’Italien ? J’ai envie d’une pizza ! », lançais-je en souriant à mon amie avant d’entrer dans le resto. On nous conduisit à une table pour deux près de la grande fenêtre qui donnait sur la rue. Je m’asseyais face à la demoiselle, sans regarder la carte car je savais déjà exactement ce dont j’avais envie. « Et toi alors, ça se passe bien les études ? Tu vas monter en quatrième année c’est ça ? »