¸¸ I can't be cool ─ MAY

Et voilà. Encore et toujours, il se retrouvait dans des embrouilles. Kakeru avait l'habitude, c'était son train train, mais cette fois-ci, ça allait loin. Passer à côté d'un bar le vendredi soir était loin d'être une bonne idée. Vraiment pas un bonne idée. Il y avait toujours un abruti pour boire un peu trop et se retrouver dans la rue voisine à parler et rire tout seul. Ou bien, comme à l'instant présent, emmerder Kakeru. Il le traitait de sale jaune, que tous les "jaunes" étaient des petites bites sans aucune force de caractère ni aucune volonté. Lui, il venait de se faire larguer par une asiatique, alors.

Mais là où ce fut de trop, c'était lorsque le contenu de la bouteille fut versé sur la tête de Kakeru. Les yeux du métisse se firent plus mauvais, plus sombres encore, et le poing parti sans même qu'il ne songe à se retenir. Qu'on lui parle mal, c'était une chose. Qu'on le provoque, aussi. Mais qu'on l'humilie, ça, ça ne passait pas. Il poussa l'homme à terre, s'asseyant à cheval dessus, et lui envoya son poing dans la figure. Malgré l'alcool, l'homme tenta de se débattre et griffa Kakeru dans le cou en le faisant rager davantage ; Kakeru qui répondit en l'attrapant par le col pour soulever son visage et lui mettre un coup de tête.

En réalité, c'était rare que Kakeru s'énerve à ce point. Qu'il s'en prenne physiquement à quelqu'un de la sorte. Et vu son regard, sa mâchoire serrée, et l'adrénaline qu'il ressentait, il n'était pas prêt de s'arrêter. Oh non. Parce que l'adrénaline, il adorait ça, malgré lui.

Y'a des soirs comme ça où tu te dis que t'aurais dû écouter ta conscience et que t'aurais dû rester dans ta chambre. Bah voilà, ce soir là j'aurais dû rester dans ma chambre ou alors j'aurais pas dû traîner près du Lord Hobo.
Tiens ça m'apprendra, quelle conne sur ce coup là...
Mais bon, passons, voilà, il était plus ou moins tard, à vrai dire l'heure n'était pas vraiment importante, parce que je me souviens seulement d'avoir eu une montée d'adrénaline et d'être intervenue dans une baston... Mais genre une baston de folie quoi, pas au point d'alerter les flics mais bon...

J'allais rentrer, quand je suis tombée sur eux, en fait j'avais vu de loin la scène, et ma tête me disait "Change de trottoir ma vieille ou ça va te retomber dessus..." Eh non, fallait que je fasse ma curieuse et que je m'interpose...
La scène, j'vous la décris pas, mais je sais pas, j'me suis sentie bizarre en voyant l'asiat se battre comme un lion sauvage, enfin pas un lion, mais une bête féroce ça oui... Je l'ai trouvé carrément sexy en fait, mais ça, jamais je ne me l'avouerais, puis fallait que j'fasse ma chieuse.

" Hey non mais c'est quoi ce délire ?! Frangin t'as pas honte de te battre à cette heure-ci ?!"

Ouais... réplique de merde.

Pourquoi venait-on l'emmerder maintenant et l'obliger à se dégager de là ? Le mot frangin retentit d'une manière particulière dans l'oreille de Kakeru qui s'était relevé, la fille entre lui et le mec qui tentait de s'appuyer sur le mur. Mais en l'espace de quelques secondes, l'attention de Kakeru n'était plus portée sur sa victime, non. Il avait le regard braqué sur la fille devant lui, asiatique, fragile, faiblarde. J'te brise en deux comme je veux, pensait-il. Mais allait-il le faire ? Non. Le japonais gardait la mâchoire serrée, mais sa respiration était saccadée, les pulsations de son coeur s'étant emballées. Il lui fallut une dizaine de secondes, laissant le temps à l'autre de s'éloigner dans la ruelle avant de réagir. Il s'avança vers l'inconnue jusqu'à être très proche, ne la touchant pas cela dit, et lui lança d'un ton agressif :

« Tu veux des coups aussi, frangine ? Non ? Alors écarte-toi de ma route. »

Il se recula de quelques pas sans la lâcher du regard, puis tourna le dos et s'essuya le visage, encore dégoulinant d'alcool et de sueur. Mais voilà, à peine eut-il fait quelques pas qu'un soudain vertige le prix et il pencha vers la gauche, allant appuyer son épaule pour ne pas s'écrouler. Il regarda alors le dos de la main avec lequel il venait de s'essuyer, et vit du sang. Bref éclat de souvenir.
En faisant tomber l'autre, ce dernier lui avait éclaté la bouteille sur le crâne.

« Putain l'enfoiré... » maugréa-t-il tout en se laissant aller contre le mur, s'essayant par terre.

Évidemment. S'en sortir indemne aurait été trop beau. Il maudit l'autre gars intérieurement, et se rappela la présence de la fille. Tout pour lui ; manquerait plus qu'elle vienne le materner et là, ce serait le pompon. Looser par excellence.

Je le savais... je savais que j'aurais pas dû sortir de chez moi et encore moins changer de trottoir. Je pensais avoir bien fait, je pensais que comme ça sa victime aurait pu le laisser tranquille.
Mais apparemment ma phrase ne l'avait que plus énervé qu'autre chose, et je regrettais déjà d'être là, vu la façon dont il me fixait. Je sentais que mon coeur venait de rater un battement, et ce fut seulement lorsqu'il s'approcha de moi sans me toucher, que là je commençais à avoir peur. Putain, mon coeur, à ce moment précis s'accélérait, je ne comprenais pas vraiment pourquoi, mais j'avais peur. Une des rares fois d'ailleurs en y pensant.

Son ton se fit agressif, ce qui était parfaitement compréhensif, je l'avais interrompu dans une baston, alors que je ne le connaissais même pas, je ne savais rien de lui...Quelle conne, pourquoi fallait-il que je me trouve là...
Mon coeur se serrait de plus en plus, j'avais l'impression d’étouffer, et je savais que si je disais quoi que ce soit, j'étais à peu près certaine que je me prendrais un coup à mon tour...
J'étais appuyé contre le mur dans la ruelle, mes jambes tremblaient pendant que je l'observais se retourner et ce fut lorsque j'aperçu le sang sur son dos, que je me doutais qu'il avait quand même pris cher lui aussi. Je voulais l'aider. Sans savoir pourquoi. Mais sa façon d'être et le fait d'être aussi désagréable et agressif, je ne disais plus rien.

Je l'observais se laisser glisser le long du mur pile en face de moi, c'était peut-être le moment pour moi de le laisser finalement dans sa merde et rentrer me coucher. Tout indiquait qu'il ne voulait pas de ma présence, donc en reprenant plus ou moins conscience de la situation, je commençais à quitter la ruelle...

" Désolée d'être intervenue..." fis-je tout de même avant de rajouter " Si t'as besoin j'peux t'appeler une ambulance, mais j'pense plutôt que t'en as rien à foutre que j'te propose mon aide..."

La fierté mal placée de Kakeru lui hurlait de l'envoyer paître et de l'ignorer, de faire la grande gueule qui n'a peur de rien et n'a besoin de personne. Son côté raisonnable, lui, tranquillement chuchotait que s'il restait comme ça, il finirait par avoir l'air con en plus d'être dans la merde. Le silence du japonais face à la proposition de la jeune femme fit bien comprendre que ce n'était ni un oui, ni un non. Il resta les idées dans le vague un moment, baissant la tête et fermant temporairement les yeux pour se reposer un court instant ; après quoi, il releva le visage vers elle, toujours un peu sonné. Lorsqu'il parla, il eut l'impression de hurler, alors que dans les faits, il avait une voix un peu moins assurée qu'une personne normale.

« T'es ce genre de fille ? Tu te barres quand tu vois un abruti pisser le sang parce que tu crois qu'il va te violer ou connerie du genre ? » Il esquissa un vague sourire moqueur, un très bref rire ironique s'échappant de ses lèvres. « File moi juste de quoi m'essuyer et je pourrai rentrer. C'est qu'une égratignure à la con. »

Peut-être bien, peut-être pas. Il ne comptait pas demander une réelle aide, juste un service lambda que n'importe quel type enrhumé demanderait à un passant. Un mouchoir. Ou autre truc, qui peut essuyer. Lentement, Kakeru pris appui sur un de ses genoux et se releva contre le mur, haletant. Il lui semblait pâlir et avoir envie de vomir, mais il luttait et savait qu'il ne le ferait pas. Il avait connu pire. Son regard se reposa sur la jeune fille.

« M'oblige pas à rajouter un "s'il te plait à la fin". »

Finalement ça avait l'air de bien le faire chier que je le laisse planté dans la ruelle, saignant et en mauvais état. J'esquissais un sourire moqueur à mon tour lorsque je me retournais vers lui, j'me rendais bien compte qu'il avait besoin d'aide. Sa phrase me fit pâlir, enfin plus ou moins, parce que oui j'avais été violée dans une ruelle, il y a de ça des années lorsque j'étais à Séoul, mais, ça, personne ne le savait. Pas même ma meilleure amie, c'était quelque chose que je voulais garder pour moi, et je ne voulais que personne ne l'apprenne...

Lorsqu'il me demandait quelque chose pour essuyer sa blessure ( oui c'en était une et pas seulement une égratignure à la con comme il le disait ), je soupirais et revenais vers lui, plus ou moins apeurée, parce que oui sa voix avait encore un ton agressif.
Il pâlissait à vue d'oeil que je me rapprochais de lui, et là je voyais bien que je devais l'aider et oublier le fait qu'il avait été désagréable avec moi. Je soupirais et une fois près de lui je l'obligeait à se rasseoir à nouveau histoire que je m'occupe de lui, à contrecœur certes, mais j'avais décidé de ne pas le laisser dans la merde.

" J'suis pas obligée de te demander un s'il te plaît puisque tu viens de le dire si gentiment." dis-je plus ou moins amusée, parce que ce type au final semblait gentil, enfin du moins je l'espérais. Je fouillais dans ma poche et ne trouvais pas de mouchoir, du coup, bien qu'il fasse froid, j'essayais de déchirer un morceau de mon tee shirt ( à manches longues hein ) et lui tendais le bout de tissu.

" Bah quoi, j'avais pas de mouchoir sur moi, désolée hein... puis c'est mieux que rien non ? " fis-je doucement, avant d'enlever une mèche de cheveux collée sur son front, où du sang coulait également...

" T'es salement amoché en fait..."

Ha... Bien qu'il se savait capable de beaucoup d'horreurs ─ son manque de compassion et de compréhension de l'autre en étaient souvent responsables ─ il savait reconnaître une personne naturellement son opposé. Et quelque part c'était la première image qu'il voyait en l'asiatique devant lui. Sans opposer de résistance, il se rassit par terre, n'ayant de toute façon pas la force de lui résister. Il releva alors le visage vers elle et l'observa un moment sans un mot, se foutant royalement de savoir si ça la dérangeait ou non. De toute façon, vu son état, il semblait buguer sur tout et n'importe quoi. Elle se moquait de lui, en plus, et cela le fit légèrement grimacer et grincer des dents. Ta gueule, pensa-t-il.
Cela dit, lorsqu'il la vit déchirer sa manche, il fronça les sourcils. Pourquoi déchirer son vêtement ? C'était stupide. Il ne l'aurait même pas fait pour quelqu'un d'autre. Aussi peu matérialiste soit-il, c'était quelque chose qu'il ne compris pas sur le coup.

Sans un mot, Kakeru attrapa le tissu qu'elle lui tendait. Il replia les jambes et posa ses coudes dessus avant de venir compresser la manche contre sa tête, essuyant au passage du sang qui allait lui couler dans le cou.
Puis elle eut un geste envers lui qui le fit réagir assez brusquement ; elle approcha sa main de son front et le toucha, et la réaction fut immédiate. Il recula si vivement la tête pour esquiver le geste qu'il percuta l'arrière de son crâne contre le mur et lâcha un juron de douleur, baisant la tête pour poser ses deux mains sur l'endroit où il avait tapé.

« Bordel ça fait mal... ! »

Ses doigts se crispèrent dans sa chevelure alors qu'il serrait les dents. L'adrénaline retombait, et il ressentait finalement la douleur des coups reçu par l'autre durant leur bagarre. Il avait mal. Et pas qu'un peu. Ses yeux se fermèrent et il demeura silencieux, tentant comme il pouvait de ne pas exprimer sa douleur face à elle.

Son regard était posé sur moi, j'me sentais fixée et je savais que ça finirait par me mettre mal à l'aise... Je n'avais pas l'habitude, enfin je n'avais plus l'habitude je devais avouer, et je ne savais plus où me mettre... Je le laissais prendre le morceau de tissu pour qu'il essuie sa plaie et pendant tout ce temps je demeurais silencieuse.

Je sursautais enfin lorsqu'il voulu esquiver mon geste, je ne pensais pas à mal et ne lui voulait pas faire peur, mais apparemment c'était le contraire. Bien sur il se cogna contre le mur, j'avais même pas eu le temps de lui dire attention qu'il jura comme quoi il s'était fait mal. Logique, et c'était encore une fois de ma faute...

" Excuse moi j'aurais pas dû... Je devrais peut-être partir et ne plus faire de boulette..."avais-je à peine eu le temps de dire, alors que lui semblait enfin ressentir la douleur.

Je l'observais fermer les yeux, et je ne savais plus où me mettre, si je bougeais, il le prendrait mal ou esquiverait encore mon geste et si je partais, il me prendrait pour une garce sans coeur.

" Je peux faire quelque chose ? Enfin je veux dire à part fermer ma gueule ? "

Je n'aimais pas ce silence et je n'aimais pas cet endroit, j'avais l'impression de revivre mon viol dans cette ruelle à Séoul, bien que je sois aux Etats Unis aujourd'hui. Je frissonnais, je ne savais plus quoi faire pour l'aider et j'me sentais tellement inutile...

Pourquoi se sentir aussi mal à l'aise ? Pourquoi tirer une tronche pareille ? Kakeru releva brièvement le regard vers elle lorsqu'elle s'excusa. Encore. Ca l'énervait. Pourquoi s'excuser ? Il ne réfléchit même pas et vociféra tel un chien enragé.

« Putain mais tu vas arrêter de t'excuser oui ?! » Il soupira, puis baissa d'un ton. « C'est bon quoi, je t'ai rien reproché et je vais pas crever... »

Pourquoi les gens se sentaient souvent dans le besoin de s'excuser, de dire qu'ils étaient désolés ? Kakeru ne le faisait jamais. Il ne s'excusait pas et n'était jamais désolé. Parce qu'il ne le pensait pas. Mais tout le monde n'était pas un con comme lui, fallait dire. Le japonais poussa un soupir et regarda lentement autour de lui. Il n'y avait plus personne, la rue était dégueulasse, et elle, elle était là, à attendre il ne savait pas quoi. Elle voulait partir ? Qu'elle parte, il ne penserait rien d'elle ─ après tout, lui il en aurait rien eu à foutre. Mais elle lui semblait hésiter. Il avait presque envie de lui demander pourquoi, mais pas assez pour le faire. Alors il garda le silence à son tour. C'était pesant, un tel silence, mais il s'y accomodait très bien. Ca ne le dérangeait absolument pas. Néanmoins, le bruit de plusieurs voix parvint jusqu'à ses oreilles. Ca puait l'embrouille, s'ils restaient là.

« Si j'étais toi, je me tirerais bien vite avant que d'autres crétins bourrés débarquent. Alors bon vent. »

Une sorte de mise en garde pour la remercier du bout de tissu. "Va vite te mettre en sécurité car je serai clairement pas en mesure d'encaisser une deuxième baston", en quelques sortes. Kakeru se releva alors à nouveau, reprenant un peu mieux ses esprits, dans le but de partir lui aussi de son côté. Et ramper jusqu'à chez lui comme un gros bouseux, parce que voila, on lui avait versé de l'alcool sur la gueule ─ donc il puait ─ avait la tronche ensanglantée et surtout, de la crasse et de la poussière collée à la peau.

Il me criait dessus... il devait peut-être en avoir d'avoir affaire à une fille gnangnan et trop craintive comme moi... Il aurait ptêt préféré tomber plutôt sur une fille sexy et canon qu'il aurait rencontré après la baston et qui ne l'aurait pas interrompu... J'devrais pas être là, j'devrais être dans mon lit à manger du pop corn devant des films à l'eau de rose et laisser couler mes larmes. Mais non, j'étais dans cette foutue rue qui puait l'alcool et le sang, j'étais avec ce crétin tête brûlée au lieu d'être au chaud...

J'pensais avoir bien fait, mais non, au lieu d'un simple merci, il me criait dessus et j'en avais ma claque de sa tête de con. Des voix se firent entendre non loin de là où on était, et l'asiatique me conseillait de partir, de le laisser planté là, histoire de ne pas m'attirer des ennuis à mon tour. Le bon vent venant de sa part était de trop, mais je n'allais pas le laisser s'en sortir. Je remettais mon manteau et me relevait à mon tour, le suivant, un sourire nerveux aux lèvres.

" J'vais pas te laisser te traîner par terre et encore moins te laisser rentrer seul, alors soit tu te décides à me dire où tu loges, soit je fouille dans tes affaires histoire de trouver ton portefeuille ou je ne sais quoi qui m'aiderait à trouver ton appart ou autre." fis-je en agrippant son bras, histoire de l'aider à tenir droit et lui montrer que quand je voulais, je pouvais être encore plus chiante.