MEGARA K. ROSEBURRY ► Natalie Portman

Chère Alice,

Cela fait bien longtemps que je n’ai pas fait saigner ma plume sur une feuille afin de t’écrire. C’est dingue, j’ai l’impression d’être rouillée, de ne pas savoir quoi dire. J’ai un tas de choses à te raconter mais je ne sais pas par quoi commencer, et puis après tout je ne suis même pas sûre que tu liras cette lettre, ou que tu la recevras, l’avenir est incertain comme tu me le disais souvent. Ta présence me manque, tes sourires aussi, et surtout nos longues conversations. Tu dois m’en vouloir d’avoir laissé passer les années avant de t’envoyer quelque chose, mais pardonne-moi je n’ai pas eu la force de prendre mon téléphone en main pour t’appeler ou ne serait-ce que t’envoyer un texto. Je me souviens de notre dernière conversation, hormis celle que nous avions eue à mon départ. Je regrette tout ce que j’ai pu dire à ce moment-là, je venais juste de perdre Jake et il me manquait terriblement, tu sais cette explosion ce n’était pas rien. Plus beaucoup de monde en parle aujourd’hui, je pense que c’est devenu tabou, et moi, alors que tu me demandais des nouvelles, je m’étais contentée de t’envoyer sur les roses te reprochant tous les maux du monde, qu’est-ce que j’avais pu être stupide. J’espère que tu ne m’en voudras pas mais j’ai demandé de tes nouvelles mes parents, bien qu'eux aussi je ne leur parle pas souvent. C’est dur parfois de faire comme si de rien n’était, et pourtant… Alors, comment vont-ils eux ? Je sais et tu sais comment est papa, il ne dira jamais rien à propos de son état, certainement son côté Américain, en tout cas c’est de lui que j’ai obtenu mon éternelle discrétion. J’espère que sa santé va mieux, qu’il avance dans les bras de maman. La pauvre, elle doit être fatiguée… Si tu savais à quel point je m’en veux de vous avoir laissés, je me dis que je serai peut-être mieux à Paris, là où sont mes racines, et puis je me ravise en disant que cette ville ne m’a apporté que son lot de souffrance et de nostalgie. D’ailleurs, comment évolue la ville ? Voilà sept ans que je n’ai pas mis les pieds là-bas, la tour Eiffel me manque, oui ça peut te paraître ridicule et j’entends d’ici ton rire mais ça fait partie des choses qui me manquent terriblement, comme mes parents, comme toi. Il m’arrive encore de réagir comme si tu étais dans la pièce d’à côté, je crie et ris toute seule dès que j’arrive à terminer un plan ou dès que j’ai une idée brillante. L’autre fois je regardais un film à la télé, un film Américain qui se déroulait soi-disant à Paris, et je voyais la ville sous la neige, tu te souviens des batailles que l’on faisait lorsqu’on était petites ? Et du bonhomme que l’on appelait Monsieur Carotte ? J’ai toujours cette photo où tu l’enlaces tendrement avant de te mettre à pleurer parce que tes affaires étaient trempées. Je crois que je divague, c’est tout moi ça non ? Une pensée par-ci, une pensée par-là, c’est absurde je ne demande même pas l’essentiel, à savoir, comment tu vas ? Et comment va Simon, si tu es toujours avec, sinon pardonne-moi de retourner le couteau dans la plaie, mais à vous voir avant de partir, je me doute qu’une route a été largement tracée pour vous deux. Tu passeras le bonjour à ta petite famille, à ton frère et à ta petite sœur, et à mes parents si tu les vois toujours dans les quartiers. Ma mère m’avait dit que tu avais repris la maison familiale, peut-être que maintenant tu l’as vendue. J’aurais dû t’écrire plutôt, je le sais en écrivant ces mots, mais tu sais que je n’ai jamais été très douée pour ça, et comme tu peux le voir je n’ai pas changé. Que dire d’autre ? Ici c’est fantastique, je me sens comme un poisson dans l’eau, tu devrais voir la différence avec Paris. Oh je n’ai rien d’exceptionnel à te raconter, après tout je ne suis plus nouvelle ici, ça fait quelque temps que j’étudie. Je n’ai pas changé, je m’intéresse toujours à l’architecture, et j’obtiendrais bientôt mon doctorat, comme tu vois j’ai toujours mes rêves de petite fille dans la tête. J’ai fait des rencontres fantastiques, tout roule. Je vis dans un petit coin, c'est mon petit chez moi, ça date un peu mais j'aime bien cette ambiance. J’ai même adopté un chat, je l’ai trouvé dans la rue un soir où il faisait froid, il était sous une voiture, blotti contre le trottoir. En parlant de voiture, je n’ai toujours pas osé passer mon permis, je souhaite rester en bonne santé et ne pas tuer les gens qui m’entourent. La mentalité est très différente ici tu sais, il m’a fallu du temps pour m’y habituer. Ma vie a enfin du piquant, après cette enfance paisible et cette adolescence aussi calme, je vis enfin, je fais enfin quelque chose qui me passionne. J’espère que c’est pareil de ton côté, je sais que tu étais très prise par tes projets de maison avec Simon, j’espère que le plan que je t’avais fait à cinq ans tiendra debout, sinon je décline toute responsabilité. Tu devrais venir ici tu sais ? En vacances peut être. Je ne l’ai pas proposé à mes parents car ils ne croulent pas sous l’or, surtout avec les soins de papa. Je travaille à la bibliothèque en dehors de mes cours, ce n’est pas ce qui pourrait me rapporter le plus mais je travaille au moins dans quelque chose qui m’intéresse, ça paye mes études en plus de mes bourses et je mets un peu de côté pour payer le voyage à mes parents, même si ce n’est pas prêt d’arriver. Je crois que je ne vais pas tarder à te laisser, je ne sais pas quoi te raconter d’autre et puis j’ai des pâtes qui sont en train de cuire, et oui je suis toujours aussi nulle en cuisine, et visiblement maladroite vu l’état de ma cuisine. Comme tu vois je n’ai pas changé, non rien à changer en fait, à quelque chose prêt. Je file, j’espère te revoir bientôt, tu me manques, prends soin de toi, promis je t’écrirais plus souvent. J'espère que je reste ta meilleure-amie, comme on se l'était promis, même si je suis toujours aussi incorrigible.

Je t’embrasse, Megara.