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J'aimais cet endroit. Pour le calme et la tranquillité qu'il m'offrait mais, aussi pour l'anonymat. Je pouvais être qui je voulais sans me soucier du reste, sans que l'on se demande ce que fiche une pom-pom girl dans une librairie et encore plus une Eliot dans une boutique de livres usagés et poussiéreux. Cet endroit regorgeait de petites merveilles, de textes originaux et d'auteurs inconnus, je pouvais y passer des journées entières. Ce que j'aimais par dessus tout, c'était de ne pas être obligée de faire la conversation, de discuter avec quelqu'un, de pouvoir rester dans mon coin sans risquer d'être dérangée ni jugée pour le fait d'être seule avec un livre. Cela me permettait aussi de me changer les idées, d'oublier les tracas du quotidien. Elie et moi avions rompu peu de temps après la Saint-Valentin, suite à un adultère que je n'avais pas pardonné. Ironiquement c'était aussi la raison pour laquelle nous nous étions séparées, parce qu'elle avait aussi appris pour le mien, pour ma relation avec un autre, parce que je n'avais pas su la choisir elle. Je devais passer à autre chose, ne serait-ce que pour mon petit-ami qui s'était montré incroyablement gentil ses derniers temps alors que nous avions pour habitude de passer notre temps à nous insulter et se jeter des objets en tout genre sur la figure. M'asseyant à une petite table calée contre un mur, je m'apprêtais à jeter un journal qu'une personne avait oublié lorsqu'un titre m'interpella. Un accident fait un mort et deux blessés. Je tournais la tête, sentant mon cœur faire un bond dans ma poitrine. Je savais de qui il s'agissait pour avoir vu l'article un peu plus tôt sur une page internet. Le décès de Coraleen m'affectait toujours autant même si je m'efforçais, comme à mon habitude de ravaler mes sentiments. J'avais toujours du mal à le croire, à l'accepter, elle nous avait quitté si tôt et si vite qu'on arrivait à espérer qu'il s'agisse d'une plaisanterie de mauvais goût, qu'elle soit encore en vie et réapparaisse, souriante et pimpante entre les murs d'Harvard. Dieu que la vie est injuste, avais-je pensé en premier lieu après avoir laissé ma rationalité reprendre le dessus. Les accidents de la route surviennent tous les jours, des gens meurent tandis que d'autres naissent, ainsi va la vie. Si nous devions savoir à quel âge, à quel moment et en quelles circonstances nous devions mourir, la vie deviendrait un drame, un échec parce qu'en sachant comment nous finirions, nous serions obligés de constater que nous ne pourrions rien y faire, que nous ne pourrions aller au devant de la mort elle-même. Dire que Cora s'était levée un matin, s'habillant, se maquillant comme tous les autres jour sans se douter qu'elle ne reviendrait pas fermer les yeux dans sa chambre ce soir-là, que cette journée serait la dernière... peut-être était-ce au fond quelque chose de souhaitable ? J'entends par là de mourir subitement sans s'y attendre au lieu d'une mort lente et douloureuse qui nous aurait été annoncée... je baissais les yeux et pliais le journal entre mes mains, l'écrasant, blanchissant les jointures entre mes mains pour le jeter à côté dans la corbeille adjacente.
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