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Réflexion, souvenirs. Compréhension, honte. Secret affronté.
Elle ne sait plus très bien ce qui l’avait émue dans tout cela. Elle savait que son ventre se tortillait, ça lui donnait parfois la nausée si elle angoissait. Il est vrai, c’était peut-être parce qu’il avait pour elle l’allure d’un songe qu’elle avait fini par s’accrocher avec désespoir à ses apparitions. Il apportait une bourrasque bienfaitrice à la maison, renouvelait et même déplaçait son monde. Sa présence chassait la pesanteur habituelle – perpétuelle, intrinsèque – de la maison. C’était comme si tout à coup ils s’envolaient, s’en allaient explorer des galaxies inconnues d’elle et qui toujours la charmaient. Elle en avait été tant charmée que l’apparition l’avait ensorcelée. Pourtant elle ne le fréquentait pas beaucoup il faut dire. Il était l’ami de son frère alors les deux garçons restaient seuls la plupart du temps. Elle, Charlie, jouait avec Heathcliff – ou bien assistait leur mère. Mais il leur arrivait de se réunir tous ensemble et de parler ou s’amuser, de prendre un goûter ou même, parfois – pas souvent mais elle se souvenait de chacune – d’aller en ville. C’était donc par bribes qu’elle l’avait connu, sa grande émotion. Fort émoi en son cœur en effet puisque chaque fois qu’il venait, elle n’avait plus peur. Et cela était un immense secret et un intense murmure, et jamais elle ne se trahira mais oui, au fond d’elle, dans les méandres et miasmes de ses entailles, Charlie avait eu peur. Peur dans cette grande maison vide malgré leurs quatre présences à elle, Alban, Heathcliff et Heather. Toutes les précautions qu’il fallait prendre avec elle, et surtout la surveiller, et s’en occuper. Cette vérité tranchante qui lui taillait la gorge. S’en occuper.
Heather était une pauvre aliénée de son travail, de la danse – pas même de l’art, juste du mouvement – et la laisser seule, c’était commettre un meurtre. Il fallait toujours quelqu’un à la maison. Quand elle avait du travail c’était simple, c’était rapide, ils étaient assurés qu’elle serait entourée. Mais les saisons creuses, Heather se laissait dans sa maison. Alors Alban ou Violet – l’un ou l’autre – veillaient sur elle. Combien de jours d’école manqués pour cette dame ? Compter lui aurait donné le vertige. Peur. Oui elle eut peur d’une chute, d’un faux pas, peur un jour de la trouver figée au sol, elle qui ne cessait de pirouetter, peur qu’elle soit morte, voilà tout. Néanmoins son décès, et c’était un aveu qu’elle faisait munie d’un masque, son décès donc, avait été, en quelque sorte, une respiration. Et puis peur aussi pour Heathcliff, ce pauvre enfant perdu dans leur famille, et Charlie se sentait coupable de n’avoir pu empêcher sa naissance car il aurait mieux valu pour lui sûrement qu’il ne soit pas vivant, coupable ainsi, et c’est sans honte qu’elle l’affirme, si elle avait pu elle l’aurait tué de ses mains à sa naissance pour l’épargner des souffrances futures.
Pauvre enfant perdu à présent, abandonné de sa famille à 6 ans. Comprenait-il seulement pourquoi elle, Charlie, sa mère trop faible d’être sœur, l’avait laissé partir ? Et où était-il désormais, son fils, son frère, cet ange qui avait heurté la Terre ? Trop sœur, elle n’avait été que sœur, si seulement au moins ça il le savait. Peur et effroi ainsi autour d’elle, tourbillonnant à lui donner le vertige ou plutôt le tournis, battant contre ses tempes. Mais jamais éclatée dans le silence. Peur éternellement avortée, vomie, honnie. Immense murmure, plus terrible secret, la vérité la plus concentrée. Et tout cela, cet énorme univers contorsionniste et gesticulant, dans son corps, balayé par la présence la plus simple, la plus évidente, la moins originale : l’ami d’un frère.
Comment aurait-elle pu l’abandonner ? Lâcher tous les espoirs et les merveilles et les remerciements et les bonheurs et les vies qu’elle lui devait ? Le laisser, le débrider de son attachement ? Plutôt que d’être raisonnable, elle s’était laissé aller. Elle avait continué à voir en lui l’apparition salvatrice de sa maison. Elle avait été jusqu’à le voir, lui, vraiment, et apprendre qui il était, dépasser sa considération fantasmagorique pour entendre la personne derrière le songe. Et ainsi étaient nés les maux de ventre et les nausées, les tremblements et les timidités, mais toujours réprimés derrière des éclats de rire et de la poudre de malice, des moqueries et des jeux. Hors des peurs et des silences, des apprentissages et des culpabilités, elle avait aimé. Peut-être, de tout le temps qu’ils avaient eu ensemble – le fou l’aimait en effet – ne lui avait-elle jamais avoué la terrible force (et vérité et complexité et honte) d’où avait éclos son amour pour lui. À elle-même elle se le cachait. Elle atténuait sa dévotion et la remplaçait par de l’adolescence. Mais elle l’aimait. Elle se souvenait qu’elle l’aimait. Qu’elle avait même – ô honte suprême – pleuré à son départ (mais en cachette, dans le giron d’un arbre), comme si c’était leur dernier partage, comme s’il partait pour un autre temps.
Mais Rory était là. Réapparu.
Heather était une pauvre aliénée de son travail, de la danse – pas même de l’art, juste du mouvement – et la laisser seule, c’était commettre un meurtre. Il fallait toujours quelqu’un à la maison. Quand elle avait du travail c’était simple, c’était rapide, ils étaient assurés qu’elle serait entourée. Mais les saisons creuses, Heather se laissait dans sa maison. Alors Alban ou Violet – l’un ou l’autre – veillaient sur elle. Combien de jours d’école manqués pour cette dame ? Compter lui aurait donné le vertige. Peur. Oui elle eut peur d’une chute, d’un faux pas, peur un jour de la trouver figée au sol, elle qui ne cessait de pirouetter, peur qu’elle soit morte, voilà tout. Néanmoins son décès, et c’était un aveu qu’elle faisait munie d’un masque, son décès donc, avait été, en quelque sorte, une respiration. Et puis peur aussi pour Heathcliff, ce pauvre enfant perdu dans leur famille, et Charlie se sentait coupable de n’avoir pu empêcher sa naissance car il aurait mieux valu pour lui sûrement qu’il ne soit pas vivant, coupable ainsi, et c’est sans honte qu’elle l’affirme, si elle avait pu elle l’aurait tué de ses mains à sa naissance pour l’épargner des souffrances futures.
Pauvre enfant perdu à présent, abandonné de sa famille à 6 ans. Comprenait-il seulement pourquoi elle, Charlie, sa mère trop faible d’être sœur, l’avait laissé partir ? Et où était-il désormais, son fils, son frère, cet ange qui avait heurté la Terre ? Trop sœur, elle n’avait été que sœur, si seulement au moins ça il le savait. Peur et effroi ainsi autour d’elle, tourbillonnant à lui donner le vertige ou plutôt le tournis, battant contre ses tempes. Mais jamais éclatée dans le silence. Peur éternellement avortée, vomie, honnie. Immense murmure, plus terrible secret, la vérité la plus concentrée. Et tout cela, cet énorme univers contorsionniste et gesticulant, dans son corps, balayé par la présence la plus simple, la plus évidente, la moins originale : l’ami d’un frère.
Comment aurait-elle pu l’abandonner ? Lâcher tous les espoirs et les merveilles et les remerciements et les bonheurs et les vies qu’elle lui devait ? Le laisser, le débrider de son attachement ? Plutôt que d’être raisonnable, elle s’était laissé aller. Elle avait continué à voir en lui l’apparition salvatrice de sa maison. Elle avait été jusqu’à le voir, lui, vraiment, et apprendre qui il était, dépasser sa considération fantasmagorique pour entendre la personne derrière le songe. Et ainsi étaient nés les maux de ventre et les nausées, les tremblements et les timidités, mais toujours réprimés derrière des éclats de rire et de la poudre de malice, des moqueries et des jeux. Hors des peurs et des silences, des apprentissages et des culpabilités, elle avait aimé. Peut-être, de tout le temps qu’ils avaient eu ensemble – le fou l’aimait en effet – ne lui avait-elle jamais avoué la terrible force (et vérité et complexité et honte) d’où avait éclos son amour pour lui. À elle-même elle se le cachait. Elle atténuait sa dévotion et la remplaçait par de l’adolescence. Mais elle l’aimait. Elle se souvenait qu’elle l’aimait. Qu’elle avait même – ô honte suprême – pleuré à son départ (mais en cachette, dans le giron d’un arbre), comme si c’était leur dernier partage, comme s’il partait pour un autre temps.
Mais Rory était là. Réapparu.
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