Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility"Mais des navires sont venus s'échouer dans les endroits les plus absurdes. Une vie peut bien elle aussi venir s'échouer sur un visage quelconque." - Page 2
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"Mais des navires sont venus s'échouer dans les endroits les plus absurdes. Une vie peut bien elle aussi venir s'échouer sur un visage quelconque."

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Pensées.

– Comme un sursaut dans un songe.

Réflexion, souvenirs. Compréhension, honte. Secret affronté.

Elle ne sait plus très bien ce qui l’avait émue dans tout cela. Elle savait que son ventre se tortillait, ça lui donnait parfois la nausée si elle angoissait. Il est vrai, c’était peut-être parce qu’il avait pour elle l’allure d’un songe qu’elle avait fini par s’accrocher avec désespoir à ses apparitions. Il apportait une bourrasque bienfaitrice à la maison, renouvelait et même déplaçait son monde. Sa présence chassait la pesanteur habituelle – perpétuelle, intrinsèque – de la maison. C’était comme si tout à coup ils s’envolaient, s’en allaient explorer des galaxies inconnues d’elle et qui toujours la charmaient. Elle en avait été tant charmée que l’apparition l’avait ensorcelée. Pourtant elle ne le fréquentait pas beaucoup il faut dire. Il était l’ami de son frère alors les deux garçons restaient seuls la plupart du temps. Elle, Charlie, jouait avec Heathcliff – ou bien assistait leur mère. Mais il leur arrivait de se réunir tous ensemble et de parler ou s’amuser, de prendre un goûter ou même, parfois – pas souvent mais elle se souvenait de chacune – d’aller en ville. C’était donc par bribes qu’elle l’avait connu, sa grande émotion. Fort émoi en son cœur en effet puisque chaque fois qu’il venait, elle n’avait plus peur. Et cela était un immense secret et un intense murmure, et jamais elle ne se trahira mais oui, au fond d’elle, dans les méandres et miasmes de ses entailles, Charlie avait eu peur. Peur dans cette grande maison vide malgré leurs quatre présences à elle, Alban, Heathcliff et Heather. Toutes les précautions qu’il fallait prendre avec elle, et surtout la surveiller, et s’en occuper. Cette vérité tranchante qui lui taillait la gorge. S’en occuper.

Heather était une pauvre aliénée de son travail, de la danse – pas même de l’art, juste du mouvement – et la laisser seule, c’était commettre un meurtre. Il fallait toujours quelqu’un à la maison. Quand elle avait du travail c’était simple, c’était rapide, ils étaient assurés qu’elle serait entourée. Mais les saisons creuses, Heather se laissait dans sa maison. Alors Alban ou Violet – l’un ou l’autre – veillaient sur elle. Combien de jours d’école manqués pour cette dame ? Compter lui aurait donné le vertige. Peur. Oui elle eut peur d’une chute, d’un faux pas, peur un jour de la trouver figée au sol, elle qui ne cessait de pirouetter, peur qu’elle soit morte, voilà tout. Néanmoins son décès, et c’était un aveu qu’elle faisait munie d’un masque, son décès donc, avait été, en quelque sorte, une respiration. Et puis peur aussi pour Heathcliff, ce pauvre enfant perdu dans leur famille, et Charlie se sentait coupable de n’avoir pu empêcher sa naissance car il aurait mieux valu pour lui sûrement qu’il ne soit pas vivant, coupable ainsi, et c’est sans honte qu’elle l’affirme, si elle avait pu elle l’aurait tué de ses mains à sa naissance pour l’épargner des souffrances futures.  

Pauvre enfant perdu à présent, abandonné de sa famille à 6 ans. Comprenait-il seulement pourquoi elle, Charlie, sa mère trop faible d’être sœur, l’avait laissé partir ? Et où était-il désormais, son fils, son frère, cet ange qui avait heurté la Terre ? Trop sœur, elle n’avait été que sœur, si seulement au moins ça il le savait. Peur et effroi ainsi autour d’elle, tourbillonnant à lui donner le vertige ou plutôt le tournis, battant contre ses tempes. Mais jamais éclatée dans le silence. Peur éternellement avortée, vomie, honnie. Immense murmure, plus terrible secret, la vérité la plus concentrée. Et tout cela, cet énorme univers contorsionniste et gesticulant, dans son corps, balayé par la présence la plus simple, la plus évidente, la moins originale : l’ami d’un frère.

Comment aurait-elle pu l’abandonner ? Lâcher tous les espoirs et les merveilles et les remerciements et les bonheurs et les vies qu’elle lui devait ? Le laisser, le débrider de son attachement ? Plutôt que d’être raisonnable, elle s’était laissé aller. Elle avait continué à voir en lui l’apparition salvatrice de sa maison. Elle avait été jusqu’à le voir, lui, vraiment, et apprendre qui il était, dépasser sa considération fantasmagorique pour entendre la personne derrière le songe. Et ainsi étaient nés les maux de ventre et les nausées, les tremblements et les timidités, mais toujours réprimés derrière des éclats de rire et de la poudre de malice, des moqueries et des jeux. Hors des peurs et des silences, des apprentissages et des culpabilités, elle avait aimé. Peut-être, de tout le temps qu’ils avaient eu ensemble – le fou l’aimait en effet – ne lui avait-elle jamais avoué la terrible force (et vérité et complexité et honte) d’où avait éclos son amour pour lui. À elle-même elle se le cachait. Elle atténuait sa dévotion et la remplaçait par de l’adolescence. Mais elle l’aimait. Elle se souvenait qu’elle l’aimait. Qu’elle avait même – ô honte suprême – pleuré à son départ (mais en cachette, dans le giron d’un arbre), comme si c’était leur dernier partage, comme s’il partait pour un autre temps.
Mais Rory était là. Réapparu.
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– De ce qui reste dans les chairs, même hors de l'esprit.

2006. Heather, 42. Alban, 21. Charlie, 16. Heathcliff, 6.
Dublin. Fin. | Désenchaînement.

C’est un an après que l’église sonna.

La grosse cloche de bronze, par la corde tirée. Clamant son gong dans tout Dublin, réunissant les curieux et les nigauds.

C’est un an après qu’elle revit le monde, Heather. Trois petits mois et puis s’en vont, elle décéda subitement. Un jour comme ça, elle fut morte. Et ce fut tout.



C’est comme ça qu’il revint, l’homme, le méprisé, le honni. Ce père pauvre et bohème, c’est comme ça qu’il revint. Une histoire d’argent et de mépris. Mais le mépris était issu d’une histoire d’argent, ou plutôt d’un manque d’argent et même d’un trop peu d’argent, ce qui n’en fait pas une histoire bien originale, puisqu’elle n’était martelée que par de l’argent. Argent, donc. Il revint à cause d’une histoire d’argent. Parce que des grands-parents, des années auparavant, avaient fait fuir un pauvre homme bohème qui venait tout juste d’être père – deux fois – et qui n’avait pas assez d’argent. À leur goût, cela va sans dire. Contraint de partir, le pauvre homme, menacé de toute part – imaginez une horde d’avocats, tous à brandir des articles de leur petite bible, des articles bons à déchirer. Tout un troupeau à le considérer avec dédain, une armée vicieuse et malfaisante, qui le condamnait déjà en son innocence. Parti le pauvre homme, pour des pauvres histoires d’argent, sous couvert de problèmes inventés, comme une irresponsabilité, et pas d’avenir, et pas de métier, et des dettes et pas de toit, et aucune conscience, et même, de la pression certainement, pour qu’une dame si haut placée se soit si mal entichée, d’une homme si bassement perché. Histoires d’argent en son départ, son retour fut un heureux évènement. Car grands-parents menaçants ne voulaient pas des enfants, encombrants, répugnants, mais par-dessus tout : pas de leur trempe. Des fous élevés en Irlande, des gosses dont le sang vibrait de leur moitié pauvre. Alors on retrouva le père, et il emporta la fille. Quant au plus grand des trois, bien majeur déjà, il s’en alla bohème. Mais le plus jeune, marionnette de la mascarade, ne put que finir en foyer, l’argent des grands-parents couvrant, bien sûr, son placement, tandis qu’ils dépensèrent sommes monstrueuses pour jouer les malades au tribunal, et continuer leur vie en rentiers.

Voilà.

Elle partit, Charlie.

Comme Elwyn avant elle, elle délaissa sa terre natale et sa maison de bois, ses frères et la jument, le vieux monsieur et les histoires chantantes, musique et danse, folie et amour. Abandonna Londres et ses grands-parents, ce qui était soulagement, mais quitta aussi son amie de toujours, blonde courageuse qui illuminait ses séjours dans la grande capitale, Reaghan cette sœur par âme, qui se battait pour sa vie.
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– De ce qui reste dans les chairs, même hors de l'esprit.
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Jour de ciel bleu. Enterrement.

Bien sûr. Oui bien sûr. Elle n’était pas si mauvaise. Après tout, cette femme, elle n’était pas si mauvaise. C’est ce qu’ils diront plus tard, tous les gens. Oui ceux-là même qui sont devant vous en cet instant, à secouer leur tête. « Après tout elle n’était pas si mauvaise. » Cracheront-ils, un peu par ci, un peu par là. À la volée. Au hasard, en définitive, pour dire quelque chose. Un petit mot en pitance – ou en pitié. De civilité, pour brandir toute véracité. Et c’est tout.

Mais elle, cette enfant, – son enfant pour tout dire – savez-vous ce qu’elle fera ? Ce qu’elle se dira ? Y en a-t-il eu un seul pour se le demander ? Qu’est-ce que ses gosses, à cette femme, ils en pensaient au fond ? Parce qu’à parler et jaser, ils s’aveuglaient. Tous des œillères sur les yeux ces bons à rien. Et, surtout, la plus grande vérité, leur plus terrible honte, celle sur laquelle ils crachaient à tous vents, riaient à gorge déployée – pour bien montrer que non, bien sûr, non, eux, non, ce n’était pas possible – ainsi de leur plus grand secret : la peur. Ils étaient tous effrayés de voir cette femme. Ils ne comprenaient pas. Elle n’était pas comme eux – pourtant elle avait reçu la même éducation. Que s’était-il passé dans sa tête pour qu’elle soit si loin ? Une pièce fêlée dans son cerveau, chuchotaient-ils en cachant les yeux de leurs rejetons.

Mais ô combien ils avaient tort, tous ces effrayés. Cette mère l’était plus qu’aucun d’entre eux ne le serait jamais, et cette vérité tambourinait contre le cœur de son enfant, cette pauvre fillette qui progressait à pas de chats dans la maison de bois.
Elle vomissait d’amour, voilà tout. Entendez-le bien. Elle vomissait d'amour. Se tuait par amour, se tordait dans tous les sens, s’épuisait, n’en finissait jamais de s’épuiser, toujours plus se crevant, littéralement se crevant, exténuée et abrutie par la vie – sa vie – qu’elle s’efforçait de ne pas laisser filer au-devant d’elle, toujours devant courir – non, prier, supplier, agripper, attraper le corps traînant sur le sol – pour ne pas être en reste, en obtenir quelques pincées et distribuer ces miettes à ses gosses – et quels gosses bon dieu ! Quels gosses ! Des êtres comme des poussières perdues dans l’air, à voleter, toujours voleter de plus en plus, chercher où se poser, mais sitôt une branche trouvée, un vent qui vient les remuer, les soulever, les écarter. « Pauvres gosses. » Amours purs en vérité, disséminés dans un giron protecteur – surprotégés mais elle ne le savait pas, ne l’aurait pas voulu, c’est une erreur d’amour qu’elle a fait, c’est tout, une erreur d’amour – où ils tâtent le monde à travers des bulles de verre, englobés ainsi dans un cristal holographique, cristal de réflexion, à la fois spectre et miroir et hermétique et récepteur et émetteur, tout dans un tout, le monde qui converge vers ces bulles, qui se répercute contre ces parois et se propulse vers le ciel ou bien qui le transperce et y diffuse une myriade de sens. Alors, étourdis du monde sont ces enfants, pris dans la splendide violence d’une tornade sensible, leur jetant à la figure ou aux pieds toutes les réalités et tous les murmures de l’univers – et eux de les recevoir, et d’en avoir mal à la tête, et étourdis, étourdis du monde sont ces enfants esseulés. Un élan ravageur, ces perceptions. Néanmoins ils étaient roseaux et jamais ces êtres devenant, personnes en puissance, ne s’abattaient jusqu’au sol, finis, noyés. Leurs yeux n’étaient pas les mêmes que ceux des vôtres mais cela n’empêchait pas qu’ils soient vivants. Ils vivaient. Croyez-le. Oh, folle, folle critiquaient ces gens.

Mais si ces enfants peuvent tant être c’est bien parce qu’elle fut là, cette mère.

Souffle embué se mouvant dans la maison, évidemment elle n’était pas tendre et n’avait aucun geste de douceur, aucun acte d’amour – filial, clament-ils, amour filial, seul amour permis quand il s’agit d’enfants, amour oui mais filial comme si l’amour d’un parent pour son enfant était plus sain qu’un autre corps passionné, comme si les parents avaient droit d’amour, droit exclusif, comme si l’amour c’était juste un ensemble réglé et juridique, et plus que tout, détaillé, décortiqué, classifié, étiqueté, amour comme quelque chose de scientifique et mathématisé et politique avec un ordre et des permissions et des interdits universels, alors qu’il n’y a rien de plus subjectif que ce sentiment et que les années, les cultures, les expériences ne pourront jamais expliquer ou prohiber, ni même constituer en un modèle, et surtout pas celui d’un autrui. Évidemment, elle ne faisait pas ça. Mais ils avaient tort, tous ces effrayés. Comment supporter cette réalité sublime ? Il y en a qui ne peuvent pas, c’est tout. Nous ne sommes pas tous capables d’éprouver le sublime, sûrement. Faudrait-il penser. Pensent ceux qui prennent des raccourcis. La vérité c’est que le sublime, il faut simplement le trouver. Trouver la bonne personne pour l’atteindre. Qu’importe où et pourquoi, même ailleurs qu’en amour, même en marche. Chacun saura le comprendre une fois qu’il l’aura éprouvé. Pour l’heure, seuls ceux qui se sont rencontrés et les rêveurs ouverts le conçoivent. Tous ces effrayés sont obtus et serrés, un amour vrai, un amour qui n’a pas de nom, de qualificatif, de degré, de nature, un amour qui soit amour, un élan du corps et de l’âme tout simplement, ils n’osaient pas l’imaginer. Et elle ainsi de se brider. De s’être bridée tant de fois. Cette femme, son tort, son étrangeté, sa marginalité, son erreur, sa folie, c’était d’aimer. D’aimer. Juste ça. Un petit mot de rien du tout qu’on nous balance de partout. Qui n’a plus ni intensité ni saveur. Aimer. J’aime. Verbe banalisé, dépersonnalisé. Alors ainsi, si tout le monde ose le proclamer à tout va, comment se fait-ce qu’ils en aient si peur ? Et pourquoi écarter cette mère parce qu’elle n’a fait aucun cas des édits aristocrates, toute leur jurisprudence sous-jacente, celle qui brasse inlassablement le monde même à l’heure des entreprises ? Elle n’avait jamais rien fait de mal.

Elle avait commencé par être attendrie de la courbe d’un menton, touchée par un sourire, émue d’une phrase gentille. Tout cela ainsi avait commencé dans la douceur. Et ainsi, personne ne s’était méfié. La douceur ne fait pas peur, la douceur n’a pas de force. Croient-ils. Se sont-ils laissé berner. Car c’est justement au cœur de cette douceur, dans les plus fines mailles de ce sentiment, que s’est tissée l’émotion la plus grande et la plus pérenne, la plus sincère, celle qui n’avait aucun artifice ou loi, celle qui pouvait braver les codes dirigeants et pompeux, battre au-delà de l’entendement : cet amour, oui. Heather Lestwood s’était éprise d’un pauvre vendeur de tickets de cinéma, dans une pudeur fine et d’apparence éphémère qui dans le temps grossissait, à l’ombre de la jeunesse, et c’est pour cela qu’elle s’était battue contre sa famille, c’est pour cela qu’elle s’était faite mère, par amour, par amour au plus simple et paroxysme de son existence, rien d’autre.
Elle avait eu un fils, avait encore pu avoir la force d’avoir une fille. Mais aussitôt le juridique et l’ordonné et le scientifique l’avaient rattrapée, de plus en plus fort, et elle avait dû plier, courber son dos et son échine, baisser la tête et, pire que tout – les yeux.

Heather avait été interdite d’expression. Celui qui lui avait montré la voie du sublime avait été chassé – deux fois, c’était trop – et elle n’avait plus eu qu’à se jeter dans une passion de substitution. Cette passion était ainsi devenue le seul moteur de ses actions et elle y avait placé tout son amour. Ainsi tout le sublime s’était inscrit dans sa danse, et aussi toute la nécessité de cette danse. Car il était sa nourriture et son breuvage, ses rentes et ses besoins. Ainsi les bourgeons de son émotion, deux pauvres enfants sans mère calomnie-t-on, étaient filiation de l’art. Être d’amour obligé de se retenir, de se contenir, de se comprimer, elle n’avait aucun geste de douceur, aucun acte d’amour, pas de tendresse, évidemment.
Comment aurait-elle pu en exprimer un seul ? L’amour l’avait conduite à sa perte. Elle ne voulait pas blesser ses enfants en les aimant. Elle ne faisait plus que les regarder de loin, le cœur à jamais tordu, privé de vie. Heather Lestwood, condamnée à l’insensibilité par tous les effrayés qui, ensuite, critiqueraient son manque de « sentiment maternel ». Critiqueraient aussi son engagement dans la danse. Critiqueraient son éducation, son délaissement, son mutisme. Les belles pensées. Et eux qui ne comprenaient pas sa fuite en Irlande. N’entendaient rien à son abandon de Londres. Qui étaient-ils, ces hommes, pour juger cette mère ? – hurlerait plus tard de l’intérieur le corps de sa fille.

Après tout elle n’était pas si mauvaise. Cracheront-ils. En pitance, par pitié. À la volée. Pour dire quelque chose. Ne pas se sentir bête le jour de son enterrement. Ne pas exposer aux yeux de tous leur hypocrisie. Leur curiosité. Désir de voir, désir voyeur, qui était le pervers et le pédophile dans cette histoire sinon eux ? Comment expliquer autrement leur plaisir à étudier cette âme critiquée en son crépuscule, à regarder ce corps de femme éclatant de candeur ? Tous obscènes à venir la voir en sa dernière exposition, attirés par sa mort, fascinés par la vision de celle qui toujours avait été inaccessible et qui désormais n’était plus qu’un bâton froid et figé, exposé, à la merci de tous, comme mis en cage – la même chose que les indigènes du Paris colonial. Bête de foire, Heather Lestwood. Elle n’était rien d’autre qu’une bête de foire. Mais clamera sans cesse la révolte dans le sang de ses enfants. Et ils martèleront la terre, crieront et riront aux éclats pour se faire entendre et venger la parole volée de leur mère, exploseront de présence et étoufferont les foules par une habitude tactile pour reconquérir la réalité physique bafouée de cette femme. Tandis que les offenseurs se baladeront vicieusement dans le cimetière, échangeant des moues de tristesse – pitié et compassion à vomir – aux proches éplorés, et partout, partout diffusant leur sacro-sainte parole de civilité pour sauver leur image, échapper à la figure du voyeur morbide, du curieux hypocrite, du pique-assiette de crémation. Quel bel enterrement c’est, susurreront-ils – un rictus de dégoût ravalé de justesse.
« Après tout elle n’était pas si mauvaise. » Cracheront-ils. – Après tout ils n’étaient pas si effrayés.
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– De ce qui reste dans les chairs, même hors de l'esprit.

Période d'épanouissement. Charlie, 16 à 18 ans.
Du monde à Cambridge.

Alors elle fit les gros yeux et bientôt son rire franchit ses lèvres. Ils avaient gagné. Elle cédait. Plongea à son tour dans l’eau, et tant pis pour les vêtements mouillés. Il faisait trop chaud pour résister, elle s’élança dans l’eau, trempa sa robe.

Déjà plusieurs mois effacés depuis le départ. Déjà des villes de foulées, des visages de rencontrés. Aux côtés de cet homme son père, elle avait filé en Italie, pays de ses ancêtres paternels. Avait goûté à Bologne et aux maisons rouges, aux porches et aux pavés, à cette langue inconnue, nouvelle, une musique étonnante qui tintinnabulait à ses oreilles. Découverte muette alors de cette famille inconnue, mais les regards de ses cousins l’accueillaient avec bienveillance et elle sentait que son père avait hérité d’eux sa bonhomie sincère. Vérone, après plusieurs semaines, s’était dévoilée à Charlie. Doucement faisait le tour de sa famille paternelle, apprenait quelques mots de langue ritale, ne prenait plus qu’une fourchette pour les pâtes. Et puis ils descendaient, loin dans le Sud, là d’où sa famille tenait son origine. Ce n’était qu’en 1960 que sa grand-mère, ses frères et sœurs, ses parents, avaient émigré en partie pour le Nord italien, subissant la crise financière, espérant trouver fortune en Bologne et Milan. Voyage au cœur de ses racines, des origines avec un goût d’étrange, pour cette rousse si Irlandaise.

Elle retrouva bientôt un climat un peu moins étranger, bondissant de Bologne jusqu’en Suisse au mois de juillet, son père accourant auprès d’un ami, servir dans un restaurant le temps d’un été. Pour autant la Suisse, si ce n’est dans le paysage, ne se fit pas radicalement différente de la botte européenne ; ils étaient encore un peu dans cette culture ritale, résidant en partie italienne de ce pays divisé en trois. Le séjour s’acheva une fois la saison terminée, et qu’allaient-ils faire désormais s’inquiéta Charlie ? Voyager, lui répondit ce père. C’est pour cela qu’ils s’envolèrent au Luxembourg de septembre à novembre, son père se faisant réceptionniste, remplaçant un employé parti en congé maladie, puis atterrirent non loin en Allemagne où cet Italien se fit traducteur dans un musée, dévoilant à Charlie ses capacités pour toujours prendre quelque chose d’un pays, et s’en tirer ensuite. Après avoir vogué à Flinders Island, avoir frôlé le Brésil, ils sont remontés, plus sûrement, vers les États-Unis où New York leur servit d’escales quelques jours avant de se poser à Cambridge, les pieds dans la ville. C’est parce qu’il fallait que Charlie fasse ses rêves, mais les fasse bien, qu’ils s’étaient arrêtés dans une ville, avait expliqué le père à son enfant. Parce qu’elle avait pu bien sûr se contenter des cours par correspondance tout le long de leur périple, et des ateliers de théâtre à la volée, et de leurs entraînements musicaux, au temps du lycée. Bien sûr qu’elle avait pu. Mais il s’était fait père, et parce qu’il ne voulait pas qu’elle connaisse un jour le déni qu’il avait subi, car il était un brin bohème et pas assez stable, désirait offrir à cette fille d’Irlande la possibilité d’éclore en sécurité.

C’est pour cela, Charlie, qu’elle avait fini à Harvard, armée de son énergie et de sa passion, se présentant là toute seule, rousse et positive, Irlandaise aux mille légendes, Italienne aux bords d’elle-même, mais, surtout, comédienne. Comédienne de vies et de peurs et de drames et de comédies et de secrets et de tragédies et de merveilleux et de fantaisie et de frissons et de l’absurde. Comédienne à jamais, théâtre sa vie.

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– Ce qui est tu.

Lettre morte.

Entre ses mains, la lettre. Celle jamais envoyée, toujours gardée dans l’intimité d’une boîte blanche, fermée d’une petit clef. La lettre soulevée, pesée, haussée. Mais toujours repartie là où elle était née, entre les mains de Charlie. Mains qui jamais n’avaient eu le courage de la porter à leur destinataire. À quoi bon, puisque lui non plus ne l’avait jamais recontactée ? Leur histoire n’était plus qu’un spectre oscillant dans les ombres du passé. Renouer contact, une ineptie. Il ne servait à rien de vouloir se parler à présent. La flamme en elle-même ne devait plus battre qu’en songe seulement. Ce qu’elle prenait pour sentiment et manque n’était qu’un souvenir. Et le fait qu’elle n’ait jamais envoyé la lettre n’était-ce pas la preuve même de cela ? Si elle l’aimait vraiment toujours, elle ne se serait pas posé de question. Elle l’aurait envoyée. N’est-ce pas ? Non, ce n’était plus qu’un morceau de mémoire agité sous le vent de l’esprit et qui, lors des fortes rafales, se prenait pour pièce du présent. Elle ne l’aimait plus, voyons. Et lui non plus. Comment osait-elle confondre vérité et habitude ?


« Elwyn,

Il est tard, c’est l’heure secrète en laquelle les étoiles du ciel rencontrent leur jumelle dans l’écume de mer. Je perturbe quelques instants leur ballet de ma présence, là assise sur ma terrasse, au milieu de leur réunion. Ce ne sont pas les astres de notre Irlande qui me font face. Comme toi j’ai quitté la terre d’émeraude. Qui sait si cette lettre te parviendra ? C’est Terence qui m’a donné ton adresse, mais peut-être es-tu déjà en route vers une autre ville.
Pourquoi t’écrire, un an après ton propre départ ? C’est la rengaine qui tourne aussi dans ma tête, si tout comme moi tu t’étonnes de mon geste.
J’ai beaucoup pensé à toi les premiers mois. Ensuite, cela me frappait tout à coup sans prévenir. Mais je ne te cache pas que par la suite, ton souvenir est devenu un peu moins fort. Je ne comprends pas pourquoi ces temps-ci ton image ombre perpétuellement mes pensées. J’en ai été tellement assaillie que j’ai éprouvé le besoin de t’écrire, vois-tu.

Il y a eu autant d’évènements que de mois. Heather était déjà internée quand tu es parti je crois ? Je ne sais plus trop, tout se confond. Elle est sortie. Et maintenant, elle est morte. Les gens ont dit qu’elle était morte parce qu’elle était si folle qu’à l’hôpital ils lui ont fait prendre tant de cachets qu’elle en a fait une overdose. D’autres ont dit que c’était l’anorexie, la dépression, certains ont même inventé qu’elle avait été dans le coma et qu’elle était morte en légume, coupée de son esprit. Il y en a un qui a murmuré à mon oreille que ses enfants l’avaient empoisonnée car ils n’en pouvaient plus. Celui-là était vraiment un parasite pour ne pas savoir qu’il s’adressait à sa fille. Imagine sa tête quand quelqu’un juste à ce moment est venu me faire ses condoléances. C’était drôle.
Ils ont tous beaucoup parlé sur son décès. Mais personne n’a compris qu’elle était morte d’amour. Un inconsolable chagrin d’amour. La perte de sa vie. Car désormais, quand les gens la voyaient, ils n’apercevaient plus la danse mais regardaient uniquement la danseuse. La tarée de Lestwood.

Elle est morte parce que les gens ont tué sa danse. Elle est morte parce qu’ils portaient un prédicat sur chacun de ses gestes. Parce que plus personne n’écoutait son corps car tout le monde jugeait son humanité. Et tous ensuite de glorifier leur homicide par de longs discours ! Ils l’ont assassinée, je le jure. Elle est morte assassinée.
Je ne suis pas triste, tu sais. Je n’ai pas pleuré. Je n’ai rien fait.--------------Qu’était-elle pour moi, après tout ? Non, je n’ai pas pleuré. Je ne peux pas être triste.
Ce sont seulement les autres qui me mettent en colère. Ils l’accusent de sa mort comme si elle s’était suicidée alors que ce sont eux les coupables.

J’ai dû partir, après ça. Ils ont trouvé mon père. « Ils », qui ? Je ne sais pas trop moi non plus. Mais de solides magouilles avec mes grands-parents, pour sûr. Ils ne voulaient pas notre garde. Tant mieux. J’aime Londres, sauf eux.
Heathcliff a dû aller en foyer, tu sais ? J’ai peur pour lui. Je n’ai pas le droit de savoir où il est. Mais j’ai déjà commencé les recherches. Ils ne me le voleront pas à vie !
Alban, lui, a pu aller où il voulait puisqu’il était majeur. Je ne sais pas du tout où il est parti, désolée. Lui et moi nous ne nous parlions plus trop depuis l’internement de Heather. C’est de ma faute, je sais. Mais sans ça, elle serait encore en vie.

Mon père est à moitié italien. Alors voilà, je t’écris depuis le pays des pâtes. Je ne comprends rien aux discussions de toute la famille – on est chez ses parents et il y a aussi les frères, sœurs, leurs enfants… une belle pagaille – et c’est difficile pour se parler. Mais je crois que c’est un homme sympathique. Il fait beaucoup de musique, on a commencé doucement à en faire ensemble le soir pour tout le monde. La musique, c’est un langage universel. En tout cas… C’est dur de s’adapter à leur nourriture. Mais les légumes ont du goût ici !
Désolée. Je te raconte n’importe quoi.

Je crois que tu me manques, Elwyn. L’Irlande et l’Angleterre me manquent. Ma maison, mes amis, mes habitudes, tout cela me manque. Mais, je veux dire, tu me manques. Différemment du reste. Un peu à la façon dont Heathcliff me manque. Mais toi, ça fait un an déjà, et tu n’es pas mon frère. Alors pourquoi je continue à me souvenir de toi comme ça ?
Je continue à penser à nos après-midis, aux regards amusés d’Alban sur nous, à tes peintures, aux batailles de coussins, à toutes les bêtises qu’on a pu faire au final, à toi qui as été assez fou pour partager mon sentiment. J’étais si jeune face à toi. Il faut bien croire que « l'amore non bada né all'età né a nient’altro che non sia l’amore », je suppose. Je peux te le dire maintenant, je crois. J’avais peur. De ça. D’aimer. J’étais morte de peur. Je le suis toujours, quand j’y pense. Mais quand j’étais avec toi, ça n’a jamais été tout ce que je pensais – tout ce que je craignais – que ça puisse être. J’ai l’impression, mais il fait nuit et à cette heure mon esprit redouble d’erreurs aussi puis-je dire des bêtises, des bêtises bien nocturnes, peu importe, il est tard et je me dis : J’avais l’impression que nous, ce n’était pas exactement comme les autres. Ce n’était pas normal. Tant mieux. J’aurais eu terriblement peur d’avoir un petit-ami à l’américaine, tu sais ? J’aurais été une très nulle petite-amie, je crois. Mais tu n’étais pas comme ça, et c’est sûrement pour ça que je t’ai aimé – et j’ai peur aussi de dire ça, j’ai toujours été réticente à l’idée de prononcer ces mots. Au passé, ils sont plus faciles à écrire.
Ça fait un an, Elwyn. Tu me manques encore. Idiot.

Que fais-tu et comment vis-tu ? Qui sont tes proches à présent ? On ne s’est plus parlé depuis tellement longtemps. Et ma lettre est d’un larmoyant. J’ai toujours détesté ça.
Elle est larmoyante mais je ne suis pas triste. Et puis, je m’amuse avec les gens d’ici.

Est-ce que tu peins encore, Elwyn ? Heather aimait tes peintures. J’espère que tu pourras aller aux Beaux-Arts comme tu en rêvais. Mais si Heather a été sensible à tes dessins – oh elle te parlait même ! – c’est qu’indéniablement, ton art est esthétique, au sens étymologique. Ils ne peuvent pas te refuser ! S’ils le font, tu me le diras ? J’irai les voir ! Et je leur expliquerai, à ces incapables. Œuvres à l’appui – j’ai quelques dessins de toi dans une boîte et un carnet.
Je le ferais, tu sais ? Oui, tu sais.

Je mettrai l’adresse au dos de l’enveloppe, si jamais tu veux me répondre. Ce n’est pas grave, si tu ne le fais pas. Je comprendrai. J’accepterai. C’est un peu ridicule que l’on se recontacte maintenant, alors que nos vies ont sûrement tant changé, n’est-ce pas ? Je suis un peu ridicule de t’écrire. Tu me manques, je ne sais trop l’expliquer. C’est ridicule.

Oh ! J’ai été à Rome la semaine dernière. Elwyn, il y avait des doubles de toi partout, je riais dès que je voyais un Romain. J’aurais dû acheter une armure dans une de ces boutiques de souvenirs et te l’envoyer, mon centurion ! – J’avoue. J’ai failli. Malheureusement, je n’avais pas encore ton adresse. Je demanderai s’il est possible qu’on y retourne… Oui. Imagine mon sourire et j’imagine ta grimace.

Imaginer, c’est tout ce qu’il reste n’est-ce pas ? L’avantage c’est que c’est infini. Et puis, j’ai un don pour ça, n’est-ce pas monsieur le Centurion ? (Je te l’assure encore une fois, tu ferais un excellent Romain ! Mets-toi au latin et ce sera parfait !)

Je ne sais pas si on se reverra un jour, si tu te souviens de moi, si ma lettre a une quelconque raison – je crois qu’elle est complètement insensée – mais tu me manques et t’écrire, c’était un peu être avec toi.

Tu me sais déjà folle, alors j’espère que tu ne me prendras pas pour une désespérée après ça.
J’espère que tu vas bien Elwyn. J’espère que ton départ d’Irlande t’a été bénéfique.

Que les étoiles – et tes pinceaux – soient avec toi Centurion !

Mary. »
(Invité)

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