Once upon a wish [Xiver

Lovée contre lui, elle relit quelques notes sur l’application de son téléphone, destinées à la prochaine édition du Crimson. Elle qui se vante de toujours préférer utiliser un stylo et du papier, elle ne peut pas réfuter, de la technologie, la praticité. Si elle ne l’utilisait pas, elle ne pourrait pas vivre des moments tels que celui-là. Une doucereuse attente du repas – certainement délicieux – que Manfred est en train de leur préparer. Même si elle se sent toujours gênée et qu’elle s’est proposée encore, malgré les mois passés, de l’aider. Et qu’armé de son éternelle gentillesse, le majordome a refusé. Ce genre d’instant, c’est tout ce dont elle a rêvé, elle en est intimement persuadée. Et modifiant la tournure d’une de ses phrases, son attention est récupérée par sa moitié, « Ils disent là-dessus que les amérindiens étaient déjà… affaiblis lorsque les puritains anglais sont arrivés dans le Massachussets. » Evidemment, la brune fait derechef le lien avec la conversation qu’ils avaient tenu par messages interposés. L’origine de Thanksgiving, et tout ce que ça peut impliquer.

Il continue de lire l’article, de lui expliquer, elle en pince une seconde ses lèvres, presque amusée qu’il tente de justifier des actes vieux de centaines d’années. Et surtout de contredire les croyances de son père… Néanmoins, d’un côté, elle préfère que ce débat, ils l’aient maintenant plutôt qu’une fois de retour là-bas. « Thanksgiving… » qu’elle reprend en soupirant, « dans notre version, » et oui, elle est d’accord avec cette version-là, même si elle est prête à faire des efforts cette année, « c’est surtout une fête inventée par les pèlerins qui ont célébré leurs premières récoltes en faisant un grand repas… Le problème, c’est qu’ils ont remercié leur divinité pour une terre qui n’était pas la leur. Ils fêtent et remercient pour quelque chose qu’ils ont volé. » Elle grimace par peur d’avoir explosé l’ambiance. « Bref je t’épargne toute la partie génocide. » son peuple décimé, même elle, elle le passe sous silence.

Ce qu’ils ont appelé Le Nouveau monde n’était pas nouveau pour ceux qui l’occupaient déjà. De nombreux peuples amérindiens qui ont été décimés par les pèlerins, les ancêtres de ceux qui prennent à présent plaisir à partager, le jour de Thanksgiving, un énorme repas. Mais elle préfère se rassurer en se disant qu’ils en profitent aussi pour faire des bonnes actions, rattraper les comportements qu’ils ont tout le reste de l’année. Une journée pour tenter de contrer toutes les autres. Et dans le geste affectueux de Sheng, qui pose son visage contre elle, elle en oublie ses guerres intérieures, derechef, s’apaise.

Puis le débat se clôt naturellement, à la faveur du repas que le majordome de l’étudiant leur a préparé, d’une œillade lancée en direction de la table, il commente ce qu’il voit alors que la Haiwee ne comprend que de moitié, « Ah. Tu vas voir, il est très fort à çà. Il ne m’a jamais laissé gagner. » Un jeu donc, qui est de mise habituellement lorsqu’on consomme de la volaille. Cela dit, elle fronce un peu les sourcils, parce que s’il pensait que c’était Manfred qui allait, avec elle, s’y adonner, elle se prend conscience que ce ne sera pas le cas, puisqu’il repart en direction de la cuisine, déjà. « Je crois que ça va plutôt se jouer entre toi et moi. » Et bien évidemment, elle compte sur sa chance de débutante, une énième fois.

Lorsqu’elle se redresse, elle a une scène de la série Friends, en tête, une sitcom qu’elle a regardé avec rapidité, enchaînant les épisodes sans les voir passer. Frottant ses mains sur ses cuisses ;  « Tu m’expliques ? » parce que certes, elle se souvient du feuilleton, mais comme d’habitude, il lui manque quelques informations. De ses lacunes, elle n’éprouve plus aucune honte, parfaitement en accord avec elle-même et en confiance dans leur relation.

« C’est le repas. » Elle plisse les paupières, l’air renfrogné, avant de rouler des yeux, parce qu’elle se dit qu’il sera éternellement tenté de se moquer de sa naïveté, même si elle s’est amoindrie avec les années. « On va sucer l’os. C’est régime avant Thanksgiving. » Alors elle soupire, secoue le visage par la négative, et répond à son sourire.

Tandis qu’il s’installe, il explique cette fois avec sincérité. « Un jeu de chance. Tu vas aimer, » jusque là, c’est bien ce dont elle se souvenait. Il attrape l’ossement et le fait tourner entre ses doigts. « On prend chacun l'une des pattes et lorsque ça casse, c'est celui qui a la plus longue qui... gagne. » Le visage incliné, elle contemple l’arme qu’il tient entre ses doigts, et elle réfléchit un peu à tout à la fois. Mais la première chose qu’elle prononce, un brin insidieuse, c’est ça ; « C’est biaisé d’avance. » Non pas parce que mère nature l’a forcément doté de la plus longue, mais parce qu’il a aussi naturellement plus de force qu’elle, donc, il va obtenir le plus gros côté, étant donné qu’il va plus forcer. « Puis… » elle reprend, n’ayant pas encore accroché de ses doigts, le fameux bréchet, « t’as oublié un détail. » Celui dont elle se rappelait le plus, ce qui lui plaisait, éternelle romantique et rêveuse, lorsqu’elle regardait sa série télévisée. « Avant de le briser, il faut qu’on fasse un vœu. » Et le gagnant verra le sien se réaliser. Inutile de préciser que la brune, quant à celui de son petit ami, est déjà rongée par la curiosité. Même si elle se vante très souvent de le connaître, parfois, elle ignore encore les désirs qu’il garde à l’intérieur. Les volontés de son cœur.