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Un oasis. Ouais, c’était sûrement ça la vie en fait. Une succession de choses différentes et qui paraissent belles, mais finalement, personne ne sait vraiment ce qu’est la beauté. Je me rendais compte qu’on définissait de plus en plus de mots avec l’idée qu’on s’en faisait, mais on ne savait pas vraiment ce qu’ils voulaient dire. Tout ce que j’avais, c’était ce que j’avais à donné. Ce qu’elle m’avait donné durant ces deux années de bonheur, j’étais prêt à lui redonner. Nous étions assez proches maintenant. Mes bras ne demandaient qu’à entourer les siens. Assez proches, pour qu’elle puisse entendre ma voix. Je devais respirer. Je me sentais étouffer, l’atmosphère n’était pas faite pour moi ici. Il était peut-être temps de dire au revoir au passé, de sourire au présent et d’acclamer le futur. Peut-être qu’il était temps d’aller de l’avant. Non, il était temps d’aller de l’avant, en fait. La question demeurait la suivante ; devais-je aller de l’avant avec Hurricane, ou bien sans elle ? La vraie question, c’était celle-là. Durant toute ma vie, j’avais dépendu des autres. C’était malheureux d’être jeune et de dépendre des autres. J’aurais dû croquer la vie à pleine dents, j’aurais dû me taper toutes les filles que je voulais, ne pas me poser de questions futiles pour l’argent. Futile ? L’argent était si nécessaire que les questions étaient obligatoires. Cependant, aussi jeune que j’étais, je n’aurais même pas dû avoir la tâche d’élever mon petit frère. Je n’avais pas mérité cela, mais lui encore moins. Il n’avait rien mérité de tout cela. J’avais tout fait pour le sortir de ce Brooklyn pourri où la criminalité règne. J’avais été obligé de faire quelques vols pour pouvoir nous sortir de là, lui et moi, mais c’était pour lui. J’étais fier de ce que j’avais réussi à faire. Peut-être que je serais encore fier de lui à l’heure actuelle. Je ne sais pas ce qu’est devenu mon frère, mais j’étais dans le déni. Je me disais que c’était mieux comme ça. En fait, je n’acceptais pas du tout, le fait qu’il m’ait laissé, lui aussi.
Est-ce que c’était trop demandé que de vouloir qu’elle et moi, nous puissions former un nous ? Dans une autre vie, peut-être que ça serait possible. Peut-être que ce serait elle et moi, contre le monde. Juste nous, face aux autres gens. Je me fichais pas mal, d’être seul, à vrai dire. Mais je voulais tout de même être seul, avec elle. Vous dire que je suis affreusement compliqué n’est pas nécessaire, j’imagine. Je ne voulais pas entendre, ni même savoir, qu’elle était désolée. Je ne voulais pas savoir comment elle vivait cette trahison qu’elle m’avait infligée. J’espérais simplement qu’elle n’était pas rongée par les remords. Je sais que, personnellement, je ne pourrais pas vivre avec une chose comme celle qu’elle m’a fait endurer, sur la conscience. Savoir qu’elle avait eu un fils n’était pas le problème. Non, avoir un enfant pour une femme de son âge est quelque chose de tout à fait normal. Du moins, ça l’aurait été si elle avait eu cet enfant avec quelqu’un dont elle était amoureuse. Or, elle ne l’aimait pas. Je le savais, parce qu’elle était amoureuse de moi, follement et fougueusement amoureuse. « Ton quoi ? Ton quoi qui s’appelle… Cox ? Mais tu te fous vraiment de ma gueule en fait ? T’es en train de me dire que t’as fait un gosse avec un autre mec que moi ? Que t’as fui pour refaire ta vie avec le premier connard arrivé avec une putain de grosse queue ? T’es vraiment une… une vraie salope. J’me casse, j’me casse de cette ville, de ce pays, j’me barre. Oh, tu sais quoi ? J’suis marié, j’retourne à Paris, avec ma femme. » Ce que j’avais cherché à faire en la provoquant ainsi ? Je ne sais pas franchement. Peut-être que j’avais simplement essayé d’activer à nouveau ce qui m’avait fait craquer auparavant. Les souvenirs me hantaient. Moi, je n’avais jamais réussi à changer. J’étais toujours le même petit con que celui dont elle était tombée amoureuse. J’étais attiré vers le passé comme s’il était un aimant. Il m’était impossible de me retourner et de faire quelques pas vers l’avenir, impossible. « Tu… tu… tu es marié ? Vraiment ? Je sais que je suis une salope, je le sais. C’est comme ça que me considérait mon … ex. Et oui, j’ai eu un enfant, il n’était pas désiré. Il n’était pas désiré, parce que je ne savais pas que j’étais enceinte. Je ne le savais pas et je ne le voulais pas. Je voulais que cet enfant soit de toi, qu’il ait tes yeux. Ton sourire. Si tu veux partir, pars. Je ne te retiendrais pas. Parce que je sais, j’sais que t’es plus heureux sans moi et que ta vie sera trois fois plus belle sans moi, sans que j’hante tes pensées. » Est-ce qu’elle était sincère en disant cela ? Depuis que je l’avais revue, du moins, depuis le moment où je pensais l’avoir perdue pour toujours, je n’arrivais plus à évaluer la sincérité des gens. Elle m’avait promis de l’amour jusqu’à la fin de nos jours et elle m’avait laissé en plan dans mon lit d’hôpital. Autant vous dire que je n’accordais plus à confiance. À personne. « Est-ce que tu te rends compte que moi, je n’ai jamais pu refaire ma vie ? Je n’ai jamais réussi à la refaire parce que j’étais bloqué dans le passé avec moi, mais maintenant que je sais tout ce que tu as, je pense que je vais réussir à pouvoir baiser ma femme sans penser à mes sentiments pour toi ! J’comprends pas comment tu aies pu faire ça, comment c’est possible de faire un gosse alors qu’on est en couple avec la mauvaise personne ? Tu l’aimais le père de ce petit ? Il est où d’ailleurs ? Pis… arrête de dire que j’suis plus heureux sans toi, tu sais très bien que j’suis un vrai cadavre quand t’es pas là. Savoir que tu vas bien m’a redonné de l’appétit, déjà. » Elle plantait alors lourdement son regard dans le mien. Ses yeux rongés par les larmes, je me disais qu’encore une fois, j’allais la faire pleurer. Je me consolais en me disant que je ne savais faire que ça… la faire pleurer. Cinq années plus tard, ils s’aiment toujours. C’est digne d’un grand Shakespeare, n’est-ce pas ? « Oui je m’en rends compte Reed, moi non plus je n’ai jamais plus refaire pleinement ma vie. Parce que tu étais toujours là et là, nous n’avions jamais voulu avoir d’enfant, c’était surtout moi qui ne le voulait pas. Oui je l’aimais. Oui mais je l’aimais d’une façon différente que je t’aimais toi. Toi je t’aimais parce que tu me rendais heureuse, parce que tu me faisais sourire. Mais lui je l’aimais … par dépit je crois, parce que je croyais qu’il pourrait me rendre heureuse. Mais il ne l’a jamais fait. Parce que je pensais à toi. Où il est … Attends-moi. » Elle s’arrêta pour grimper les escaliers, puis en redescendre. « Il est parti, enfin il m’a demandé de partir après m’avoir avoué qu’il avait couché avec ma meilleure amie. Et parce qu’il a vu ça, Parce qu’il a vu les lettres que je t’écrivais, il a vu … la bague de fiançailles, les photos. Prend la, rends-toi compte de tout ce que j’ai pu faire, de toutes les larmes que j’ai pu verser. Et crois ce que tu veux, je ne t’ai jamais oublié. Jamais. »
Je me demandais comme c’était possible d’aimer. Après tout, aimer, c’est quoi ? C’est apprécier des gestes, apprécier une coiffure, mais aimer une personne c’est totalement insensé. On aime une personne parce qu’elle nous fait du bien, on l’aime pour ce qu’elle fait de notre vie. Moi, j’aimais une femme qui m’avait fait vivre un enfer, et qui continuait à l’heure actuelle. Comment je pouvais m’accrocher à ce venin humain ? Durant notre romance, je sentais mon sang couler entre mes veines, je sentais ce bonheur émaner de ma peau chaque matin, mais depuis, plus rien. Juste un acide amer qui me rongeait intérieurement.« J’arrive pas à en croire mes yeux… J’me demande juste si tu crois que ça a été simple pour moi ? J’te signale que c’est toi qui m’as abandonné. Tu sais que j’étais à l’hôpital, en plus t’as jamais cherché à savoir si j’étais vivant quoi… C’est ça qui m’a le plus blessé. J’suis en tout cas très… je ne sais pas c’que je ressens, vis-à-vis de l’image de la bague dans cette boîte, mais c’est un bon sentiment, en tout cas. J’aurais aimé la voir à ton doigt, mais… j’imagine que c’est trop demandé ? » Je ne savais pas vraiment comment elle allait prendre ce que je venais de lui. J’imagine qu’elle allait croire que je lui demandais de mettre la bague, ce qui paraissait logique. Je l’avais demandée en mariage, certes. Elle en avait épousé un autre. J’avais juste imaginé, qu’elle aurait gardé la bague à son doigt. Comme un hommage, un souvenir, mais non, rien. « J’ai appelé, un bon nombre de fois appelé pour savoir. Pour savoir si tu étais réveillé, et chaque jour elle me répétait, les infirmières me répétaient que tu n’étais pas encore réveillé. Alors je pleurais en lâchant le combiné comme une imbécile » Elle me regardait, caressant la boîte qui comportait la bague, avant de l’ouvrir et de me défier, naïvement. « Met moi la alors… » Je la regardais, un sourire attendri. Ma réponse n’allait cependant pas lui plaire. « Écoute Hurri, j’suis pas venu pour faire l’enfant. Cette bague, tu ne la mets pas, tant pis, mais j’suis pas ici pour ça, j’ai passé l’âge de jouer. J’essaye de grandir et d’évoluer là, alors s’il te plaît, arrête. »
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