double trouble (( cace #7 ))

Depuis qu’elle avait été honnête avec Landon, la blonde avait tenté d’oublier Ace. Ou du moins, de prendre ses distances. Non, elle ne voulait pas totalement le rayer de sa vie. Mais elle avait eu besoin de comprendre ce qui avait pu se passer. Comprendre si ça pouvait recommencer si elle le revoyait. Et elle ne le pensait pas. Pas après avoir appris qu’il continuait à voir Rose. L’impression d’avoir été prise pour une conne. D’avoir été là pour lui, pour quoi ? Pour du vent. La colère se mélangeait à la déception. Besoin de prendre ses distances avec cet homme. Pourtant, quand elle le vit ce soir, dans cette file d’attente du train hanté, elle ne put s’empêcher de vouloir aller le voir. Lui donner un coup. Lui crier dessus. Peu importe quoi, mais il fallait qu’elle fasse quelque chose. Elle ne pouvait pas totalement ignorer sa présence. Il était seul mais semblait attendre quelqu’un. Rose peut-être ? Le prochain à monter, elle couru vers lui pour le prendre par le bras et le forcer à s’asseoir dans ce wagon. Tant pis si elle prenait la place de quelqu’un. Pas même un regard vers lui, elle attendit que le train démarre. Et une fois dans le noir, elle se sentit stupide. Elle ne savait pas par où commencer. Jouant avec ses ongles, elle regardait autour d’elle, alerte à toute chose qui pouvait apparaitre pour leur faire peur. Mais au fond, il n’y avait qu’une seule chose qui lui faisait peur ce soir : perdre définitivement Ace. « Ca va avec Rose ? » Finit-elle par demander. « Parce que moi non. » Pas avec Rose, avec Landon évidemment. Avait envie de lui mettre la faute dessus, mais au fond, il n’avait rien fait. Pour une fois.

La sensation de pas avoir vraiment un seul moment de repos le ronge depuis de longues semaines maintenant. Le stress, l'anxiété, la culpabilité ; des sentiments négatifs qui s'accumulent et continuent encore de le tirer vers les abysses alors qu'il lutte toujours pour garder la tête à hors de l'eau et ne pas se noyer, alors qu'il est maintenant coupable d'une substance qu'il s'était juré de ne jamais toucher. La seule qui fait taire les démons un temps. Mais au moins, il sort, il essaie toujours de ne pas trop se couper du monde, et après une énième dispute, il est parti dans son coin s'isoler, le regard sur le téléphone, dans l'espoir quand même qu'on vienne le chercher, mais c'est pas la personne qu'il attend qui apparaît et l'entraîne dans l'attraction, le prenant par surprise. « C-Cassie !? » Parce que sa tête blonde, même en vitesse, elle reste facile à reconnaître. Forcé dans le wagon, trop confus et surpris pour songer à partir ou la repousser, il laisse l'attraction débuter en attendant qu'elle justifie son action. Et quand la question vis à vis de Rose tombe, et qu'elle rajoute que ça va pas, il sait pas comment le prendre. Alors... il se braque un peu. « Sérieux ? C'est pour me demander ça que tu m'agresses dans la file d'attente ? » Pointe de colère, le sentiment d'injustice face à leur amitié qui semble ne plus tenir qu'à un fil ; pour autant, il soupire, se fait violence pour se calmer. « Qu'est-ce que tu me veux, Cassie ? Parce que je crois pas que t'en aies quelque chose à foutre de ma situation avec Rose. » Il est clairement sur la défensive. Y'a un truc qui s'est brisé, définitivement, et que la distance a amoché encore plus.

Cassie sentit sa poitrine se serrer alors qu’elle observait son visage tendu, la lueur de méfiance dans ses yeux. Cette méfiance qui, autrefois, n’aurait jamais eu lieu d’être entre eux. Leur amitié avait été, à un moment, un refuge sans jugement ni calcul. Mais aujourd'hui, cette tension était presque palpable, déformant chaque mot qui franchissait ses lèvres. Pourtant, elle refusait de le lâcher maintenant. Elle serra les poings, hésitante, mais décidée. « Bien sûr que je m’en fais. Sinon je serais pas là, n'est-ce pas ? » Sa voix se voulait ferme, mais il y avait une note de vulnérabilité qu'elle ne pouvait dissimuler. « J’ai l’impression que tout est en train de nous échapper, toi, moi... » Elle inspira profondément, s’efforçant de trouver les mots justes. « Je sais que j'ai déconné et que je t'ai probablement laissé tomber, » avoua-t-elle, le regard rivé sur le sol de l’attraction qui semblait tanguer sous elle. « Mais j’essaie de comprendre ce qui s’est passé... » Elle s’humidifia les lèvres, hésitante mais résolue. « Si je te demande ça… c'est parce que je veux comprendre. Y a que moi qui ait eu l’impression qu’il y avait quelque chose qui se passait entre nous ? » Elle ne savait pas si c’était le mouvement de l’attraction ou la tempête d’émotions qui l’agitait, mais elle sentit son cœur tambouriner dans sa poitrine, emportée par une peur sourde de le perdre pour de bon. Après un moment de silence, où ils se fixèrent, comme en suspension dans le temps, elle murmura, presque suppliant : « Dis-moi la vérité s’il te plaît. »

La vérité, c'est que cette discussion il la redoute. Il en a peur, parce qu'il sait qu'à l'issue de tout ça, y'a peut-être tout qui va voler en éclat, qui va exploser et que rien ne puisse être réparé. Le regard rivé sur elle, complètement indifférent à l'attraction dans laquelle ils se trouvent et aux animations autour d'eux, il l'écoute avec appréhension. Chaque mot, chaque syllabe qu'elle prononce a l'effet d'une constriction autour de lui. Comme s'il ne luttait pas déjà assez avec sa propre image.  À quoi bon dire la vérité, de toute façon, quand on ne le croit pas ? Quand ses propos sont déformés, sortis de leur contexte, qu'on en oublie des facteurs ou qu'on change le sens des mots ? Il détourne son regard, laissant un moment de silence. Puis il soupire bruyamment, se faisant violence pour pas laisser la négativité le ronger. Penché vers l'avant, les mains jointes sur le bord du wagon. « Peut-être au début, en août, j'me suis dit que les sous-entendus des autres venaient pas de nulle part. Mais t'as toujours été très claire sur ta relation, Cassie. » Il se tourne légèrement vers elle. « Y'a jamais eu la moindre ambiguïté sur le fait que t'es amoureuse de Landon, et moi de Rose. En partant de là, j'ai jamais songé à autre chose. Et j'étais très satisfait de l'amitié qu'on avait. J'me disais juste, putain, enfin quelqu'un avec qui je peux parler librement ! Sans ambiguïté, ou interprétations ! Quelqu'un qui m'voit, au-delà de mes défauts et mes problèmes ! Tout ça pour que... » Soupir. « Oublie. » lâche-t-il en faisant face au chemin devant eux. Tout ça pour qu'elle ne soit qu'une énième amitié détruite par une attirance sexuelle. Il se sent crade. Sale. Y'a vraiment rien de plus que ça qui intéresse, chez lui  ?

Cassie le regardait, cherchant à percer le mur de désillusion qui se dressait entre eux, et cette froide distance dans ses mots la frappait comme un coup de poing. Elle entendait ce qu’il disait, chaque syllabe portant son lot de tristesse refoulée et de frustration. Il semblait presque se refermer sur lui-même, avec cette expression douloureuse qui lui fendait le cœur. Elle savait, au fond, qu’il n’avait jamais voulu que leur amitié soit réduite à ça. Mais elle ne pouvait s’empêcher de ressentir ce vide grandissant, une blessure invisible qui s’ouvrait de plus en plus large entre eux. Elle inspira profondément, la gorge nouée. Comment pouvaient-ils en être arrivés là ? « Ace, c’est pas… c’est pas juste une question d’attirance ou de sous-entendus. J’ai jamais voulu que tu te sentes… comme ça. » Sa voix se brisa légèrement, mais elle se reprit, cherchant les bons mots pour combler l'abîme qui s'était creusé. Elle baissa les yeux un instant, sentant la culpabilité s’insinuer en elle. Tout ça semblait si stupide et injuste. Elle n’avait jamais eu l’intention de lui imposer ce regard, cette pression insidieuse. Il lui avait toujours semblé être quelqu’un avec qui elle pouvait être elle-même, sans crainte d’être jugée. Mais peut-être, pensa-t-elle amèrement, avait-elle trop attendu de lui, sans réaliser le poids de ses propres attentes. Le silence s’étira entre eux, oppressant. « Je voulais juste que tu saches… » Elle marqua une pause, essayant de mettre de l’ordre dans son esprit. « Que t’es pas juste… une personne de plus dans ma vie. T’es important pour moi, vraiment. Ça me fait chier de penser que je puisse te perdre. » Elle serra les poings, les ongles s’enfonçant légèrement dans sa paume. Il détourna le regard, mais elle n’abandonna pas. « Si on en est là, c’est totalement ma faute, je le sais, et j’suis prête à le reconnaître. J’ai été maladroite, j’ai fait des erreurs, et je me rends compte que je blesse tout le monde, à commencer par Landon. » Sa voix s’adoucit, presque implorante. « Et je sais pas quoi faire… » Elle posa délicatement une main sur son bras, hésitante. Peut-être que c'était trop tôt pour tout oublier, mais elle ne pouvait s’empêcher de s'accrocher à l'espoir que tout n'était pas perdu. « Dans tous les cas, je te blesse toi ou Landon… Mais je lui ai promis de penser d’abord à lui. »

Malgré la déception et la frustration, il croit ses paroles. Il se doute qu'elle regrette et qu'elle n'a jamais voulu entacher ce qu'ils avaient, mais elle a eu le malheur de passer après d'autres déceptions, d'autres commentaires. Le timing avait été des plus horrible pour lui, mais ça, personne n'avait deviné l'accumulation en un temps record. Et malheureusement, les portes qu'il avait commencé à laisser ouvertes pour les autres se refermaient brutalement depuis quelques temps ; raison pour laquelle il se déroba sèchement à son contact, croisant les bras sur lui-même en un geste protecteur, voulant éviter le moindre contact physique. Ni elle, ni nul autre. Plus envie. La langue mordue et le regard fuyant, Ace cherche encore comment s'exprimer, quoi répondre, sans offrir de nouvelles failles pour laisser une opportunité de le braquer. Puis il finit par lâcher quelques mots, peut-être plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu. « Votre relation me regarde pas, c'est ton problème, pas le mien. » La distance est là, imposée derrière ce mur de glace d'où il la regarde avec méfiante. Elle est pas la seule, à se prendre un tel traitement ; mais c'est difficile de pas le prendre personnellement, définitivement. « Quand est-ce que ça a commencé ? Ces pensées. Ces envies. » Incapable de la regarder. Il fixe le devant du wagon, visage fermé, bras croisés, laissant le fossé entre eux bien en évidence.

Cassie sentit le poids du silence s’installer entre eux, lourd et oppressant, comme un mur invisible qu’Ace avait dressé pour la maintenir à distance. Elle baissa les yeux, un instant, réalisant à quel point il s’était refermé, à quel point tout semblait s’effriter. Chaque mot qu’elle aurait voulu dire se coinçait dans sa gorge, écrasé par la froideur dans son regard, le ton tranchant de sa voix. Elle savait qu’il n’avait pas tort, que quelque chose s’était brisé, peut-être irrémédiablement. Mais face à ses questions, le cœur serré, elle prit une grande inspiration, rassemblant le peu de courage qu’il lui restait. « Je… » Elle hésita, ses mains se tordant nerveusement. « Ce n’était pas... enfin c’était pas récurrent. Juste deux fois. » Elle savait combien cela pouvait paraître dérisoire maintenant. Mais elle se refusait à mentir ou à minimiser ce qu’elle ressentait. Elle lui devait au moins ça. Elle releva un regard incertain vers lui, voyant bien le fossé qu’il maintenait, ses bras croisés comme un rempart infranchissable. « Mais tu réponds pas à ma questions… enfin pas vraiment. » La frustration de ne pas pouvoir lui expliquer ce qu’elle-même ne comprenait pas parfaitement la rongeait, mais elle s’efforça de rester calme. « Peut-être que… peut-être que c’est moi qui me suis imaginé des choses ... » Sa voix se brisa légèrement, mais elle se força à continuer. « Alors que toi, il faut croire que tu n’as juste simplement jamais oublié Rose. Avec ta rupture qui n'en était pas vraiment une apparemment... » Elle marqua une pause, se demandant si ses mots avaient un quelconque effet derrière ce mur de méfiance qu’il arborait désormais. « J’ai juste besoin de connaitre ton ressenti à toi. Pour passer à autre chose. »

Deux fois. Quelles fois ? Juste une envie, ou un désir ponctuel ? Ça répond pas, à ses yeux, à la question posée ─ mais dans le fond, il a pas envie d'insister. Pas envie de connaître les détails, de ternir les souvenirs, de déformer davantage son idée de leur relation passée, alors finalement, le flou c'est pas si mal. Et là, elle lui demande son ressenti, à lui. Par rapport à quoi ? Leur relation ? Rose ? Les ambiguïtés ? Le regard d'Ace devient légèrement pensif puis se ferme quelques secondes, cherchant à faire de la place dans son esprit, trier les idées, faire sens de ses pensées. Puis il rouvre les yeux, le visage se relevant, regard un peu dans le vide, ignorant les tableaux faisant peur autour d'eux. « J'aime Rose. Elle est la première et la seule fille que j'aime, et même si on est séparés, ça retire rien à ça. Pire, je suis obsédé par elle, comme beaucoup s'amusent à m'le rappeler. » Les pensées dérivent un peu, le regard aussi, distrait. « Elle est la seule que je veux, quand bien même je peux avoir une réaction physique à quelque chose ou quelqu'un, ça veut pas dire que moi j'ai envie de me taper la personne derrière. Rose est la seule avec qui j'ai envie d'être, la seule que j'aime, et elle a même pas besoin de me le dire pour que je sache que c'est réciproque. Peu importe les merdes, on a toujours su se retrouver derrière, malgré les engueulades, les coups, les insultes et les trahisons. Malgré son frère, même. La première à s'être imposée, m'avoir aimé malgré mes tares, à encaisser mes pires erreurs et malgré tout, continuer d'me vouloir. » Son regard finit par se poser sur Cassie. « Que j'sois plus avec elle veut pas dire que j'l'aime plus. Ni que je suis prêt à me taper la première venue. Et ma relation avec Rose a rien à voir avec toi, parce que toi, t'as toujours été en couple avec Landon. Si t'as pensé que ma rupture avec Rose était pour toi une opportunité avec moi, alors t'as peut-être plus de problèmes dans ton couple que tu veux l'admettre, et t'aimes certainement moins ton mec que tu veux t'en convaincre. » Et comme si cela ne suffisait pas, il se sent presque dans l'obligation de porter un dernier coup, encore plus cruel et brutal. « J'ai au moins eu, de mon côté, la décence de quitter Rose quand j'ai commencé à ressentir de l'attraction pour Fallon. Parce que Rose mérite pas de s'faire tromper par un connard qui manque de céder à ses pulsions pour du cul. » La froideur de ses paroles est aussi violente que sauvage. Pas de compassion dans ses mots, ni d'affection ; à croire qu'il a enterré leur amitié, quand en réalité, il est juste planqué derrière ses murailles pour éviter une énième blessure, une énième déception.

Les mots d’Ace retombèrent entre eux, aussi coupants qu'une lame. Chaque phrase trouvait son chemin, plantant en elle une douleur sourde, un mélange de honte et de regret qui la faisait presque reculer, comme si elle s’était prise un coup en pleine poitrine. Les émotions se mêlaient en elle, tourbillonnaient, et Cassie se sentit terriblement exposée, vulnérable sous la lumière crue de ses paroles. Elle aurait voulu répliquer, s'expliquer, mais les mots lui manquaient, se coinçaient dans sa gorge. Elle savait qu’il n’avait pas tort, que tout ce qu’il disait était, dans le fond, douloureusement juste. Mais elle ne pouvait s’empêcher de ressentir ce besoin irrépressible de lui répondre, de défendre ce qu'elle pensait être ses intentions. Malgré elle, Cassie posa un regard franc sur Ace, cherchant son regard glacé pour s’y accrocher, même si elle savait qu’il ne lui restait plus grand-chose à quoi se raccrocher. « Je n’ai jamais voulu que tu penses ça, Ace. Que j’ai cherché une excuse, ou pire, que j’ai attendu que tu sois libre pour… » Sa voix se brisa, la douleur qu'elle ressentait se répercutant dans chaque syllabe. Elle prit une profonde inspiration, essayant de garder le contrôle, même si son cœur battait à tout rompre. « Ce n’est pas de l’opportunisme, ni une question de manque dans ma relation avec Landon. Peut-être que c’est là que tu me comprends pas… » Elle baissa le regard, ses doigts se crispant contre ses jambes alors qu’elle luttait pour garder son calme. « C’était pas pour du cul. C’était pour… » Elle chercha ses mots, tâtonnant dans l’obscurité de ses propres ressentis, s'accrochant à l’idée qu’elle pouvait encore faire quelque chose pour sauver les quelques miettes de leur amitié. « Parce que tu comptes pour moi, et parce que… malgré tout, même si j'aime Landon, t’as une place importante. Je me rends compte que j’ai tout gâché, Ace, que j'ai merdé avec toi. Avec lui. » La distance qu’il imposait entre eux, ses mots cruels, son regard fermé lui donnèrent le sentiment de tout perdre en un instant, et malgré elle, ses yeux s'humidifièrent. Elle détourna le regard pour chasser cette faiblesse qui la trahissait. « Je … » Elle prit une pause, haussant les épaules dans une résignation amère. « Je t’emmerde Ace. » Elle resta silencieuse, la gorge nouée, espérant que ce train arrive rapidement à la sortie. Quelle idée elle avait eu. Le train continuait son chemin, et peu importe ce qui pouvait arriver, rien ne lui faisait peur. Elle restait de marbre, laissant les larmes couler sur ses joues. Alors que le train s’arrêtait, sans réfléchir, elle descendit. Il devait bien y avoir une sortie quelque part. Les figurants devaient bien avoir leur propre entrée et sortie. A ce moment-là d’ailleurs, elle sentit quelqu’un l’attraper par le pied. Un coup de pied donné, elle se mit à courir. Sans savoir où elle se dirigeait. Allait surement se retrouver tout aussi perdue que dans sa tête. Et alors qu’elle voulu prendre son téléphone pour s’aider de la lampe torche, elle ne le trouva pas. « Fais chier. » Ça semblait être un jour sans pour la petite blonde. Elle continua à marcher, ne voyant plus le train autour d’elle. Plus rien d’ailleurs. Jusqu’à se prendre un mur et décider de s’y coller et rester ici. Quelle conne. Quelle conne. Les larmes coulèrent davantage, jusqu’à ce qu’elle se décide à crier. Elle devait faire sortir cette colère. Et l’endroit s’y prêtait bien.

Certaines colères sont passagères, d'autres persistent. Plus la blessure est profonde, plus la rancune est tenace, et si l'affection n'est pas à la hauteur, alors c'est compliqué d'en sortir. Pourtant, Ace ne peut pas nier qu'il a beaucoup d'affection pour la blonde. Ces souvenirs sont précieux, avec le sentiment d'avoir trouvé une égale, une sorte de miroir au féminin ; et c'est ce qui rend la situation particulièrement douloureuse et compliquée. Raison pour laquelle il ne répond pas, se mure dans le silence, malgré les larmes qu'il perçoit du coin de l'oeil. Et lui aussi, ça le bouffe. La peur de parler, de se confier, d'approcher quelqu'un à nouveau, de crainte qu'un énième dérapage se produise. Il détourne le regard à l'opposé d'elle, s'enfonce davantage dans son siège et maintient cette distance froide malgré la douleur d'être dans une telle situation. S'il ne pleure pas, il peut pas ignorer en revanche le noeud dans sa gorge et le poids écrasant sur son torse, comme s'il étouffait ; le wagon s'arrête. Et d'un coup, elle sort, repoussant la maigre barrière, sous le regard surpris de l'asiatique. Il ne l'interpelle pas pour autant, mais alors qu'il s'apprête à sortir pour la suivre, sa main se pose sur quelque chose de dur : le téléphone de Cassie. Alors que le wagon s'apprête à redémarrer, Ace sort à son tour avec précipitation, et part dans la direction empruntée par Cassie, dans l'espoir de la retrouver. Il songe à l'appeler, au début, mais se fit plutôt à son instinct, alors qu'il s'engouffre dans l'obscurité.
Et cette obscurité, il se l'explique pas, mais ça le terrifie. Aucune idée de ce qui s'y planque, ni de ce qu'il va y trouver. Les pas sont hésitants, craintifs, alors qu'il déglutit péniblement et se fraie son chemin en ignorant les bruits étranges... et les débuts de voix, qu'il associe au manège. C'est qu'une attraction, qu'il se répète en boucle ; y'a rien qui va le choper. Rien qui va le prendre à revers. Y'a personne qui l'attend, là, juste en face, quand bien même le coeur s'emballe et les mains sont moites. Jusqu'à entendre le cri et son sang se glace. Figé sur place, le téléphone de Cassie à la main, Ace baisse le regard, et constate qu'il tremble, et que son anxiété, c'est pas la peur du manège.

Ne viens pas pleurer
Combien de fois dois-je te le dire, tu es inutile
T’as tellement peur, c'est pitoyable
T'es vraiment qu'un abruti.
Ils vont finir par te trahir, tous, comme toujours.
T'es la dernière personne que j'écouterai, et que je laisserai m'donner des conseils.

Évidemment, il peut rien faire, lui. C'est de sa faute s'il sait pas avoir des relations normales avec les autres, et il les détruit tous à la moindre frustration. Il étouffe. Faut qu'il sorte, là, de suite, maintenant. Il peut pas rester. Alors tant pis ; le téléphone tombe au sol quand il veut poser ses mains sur ses oreilles, et il ferme les yeux en tournant les talons, ne regardant qu'à moitié le chemin qu'il prend pour revenir vers la route de l'attraction et suivre les rails et la lumière, jusqu'à quitter les lieux. Et une fois dehors, c'est un sprint qu'il fait jusqu'à s'isoler quelque part. Faut qu'il fume, et vite.

Plus personne viendra t’aider parce que t’auras tout foutu en l’air
C'est ce que tu mérites.
Ils vont tous te laisser tomber, comme d'habitude.
Regarde ce que tu as fait. Encore une fois.