small drops of happiness ─ Cace #6

Les dernières 24 heures avaient été des plus chaotiques, dans la vie d'Ace. Une altercation violente, puis une arrestation, une nuit en garde à vue, l'apparition d'un des sbires de son père en présence de Rose, puis récupérer sa moto, sa discussion avec Redd, puis son après-midi avec Fallon, et maintenant, Cassie qui venait lui rendre visite. Et face au miroir, Ace regardait ses blessures en se demandant comment camoufler un minimum celles de son cou. Parce qu'il n'avait rien dit à son amie sur ce qui lui était concrètement arrivé, et que si voir son nez ne l'inquièterait pas plus que ça, le coup, en revanche... Ace songeait qu'elle risquerait de ne pas être très ravie. Mais il n'avait rien, ni écharpe, ni foulard, ni col roulé dans ses vêtements. Juste le masque de moto, qui serait définitivement suspect ; mais tant pis. Ça ferait l'affaire. Sweater à capuche, pantalon de survêtement, les mêmes vêtements qui respiraient le confort pour le corps qui avait été un peu brusqué. L'appartement demeurait toujours un peu chaotique, à son image, mais restait propre. Le piano dans un coin de l'appartement, en fin de L, entouré de meubles et de ce qu'on devinait être le coin administratif, puis le salon, avec un canapé et deux fauteuils, une table basse, et une télé non câblée, juste pour la PS5 qui y était branchée et les services de streaming. Pas trop de décorations, le home decoring, c'était pas le délire d'Ace. Quand à l'entrée, voisine de la cuisine ouverte sur le salon, elle donnait directement sur le couloir qui menait à la chambre et la salle de bain. Pas le grand luxe, mais suffisant pour un gars comme lui, dont le taff payait suffisamment bien pour être tranquille. Ace était encore dans le salon quand on toqua à la porte, et après un regard par dessus son épaule, il lâcha simplement un ; « Tu peux entrer ! C'est ouvert. » alors qu'il laissait filer sur l'écran de la télé un peu de musique, histoire d'avoir un peu de bruit de fond. Une playlist random, un peu pop, au volume bas. Ça ferait l'affaire.

Cassie poussa doucement la porte, jetant un coup d’œil autour d’elle pour prendre la mesure de l’endroit. Un sourire lui échappa en découvrant l’intérieur d’Ace ; simple, presque dépouillé, mais avec une touche personnelle discrète qui lui ressemblait bien. Elle repéra d’abord le piano, un détail qu’elle ne lui connaissait pas et qu’elle rangea immédiatement dans un coin de sa tête. Elle se tourna vers Ace, un sourire amusé en coin, ses yeux l’observant attentivement malgré elle. Il portait ce masque de moto, ce qui la fit légèrement lever un sourcil. « T’as décidé de m’accueillir en mode ninja, aujourd’hui ? » plaisanta-t-elle en s’avançant dans le salon, faisant semblant d’ignorer le masque tout en l’observant de près. Elle avait remarqué la tension dans ses épaules, cette façon de se tenir légèrement de biais. Elle ne pouvait pas ignorer l’évidence : il était visiblement marqué par quelque chose. Elle lui tendit un sac en papier. « J’ai ramené de quoi te requinquer, » dit-elle avec une note de douceur dans la voix. « J’avais envie d’un petit poké bowl, j’espère que t’aimes bien. » Puis elle s'installa sur le canapé, posant son regard franc sur lui, lui laissant l’option de parler s’il le souhaitait. Elle croisa les jambes, jouant distraitement avec une mèche de cheveux. « T'as eu une nuit difficile, non ? » Elle ne posait pas vraiment de question ; c’était plus une invitation, un espace qu’elle lui offrait pour partager, sans pression. Elle savait que, tôt ou tard, il finirait par lâcher le masque – au propre comme au figuré. « Je pense que ça risque d’être compliqué de manger avec ça sur la tête. »

« J'ai froid. » Gros mensonge éhonté, qu'il ne cherchait même pas à être convaincant ; il accentua même le ridicule du visuel en remontant le masque jusque sous son nez et ses oreilles, couvrant ainsi son cou et le bas de son visage alors qu'il s'activait à récupérer des verres. La blessure de son nez bien visible jusque sous ses yeux n'était que le point de départ de ce qu'il anticipait déjà être un mélange de colère et d'inquiétue de la part de Cassie. Oh, il le voyait venir à des kilomètres, le moment où elle réaliserait qu'on avait cherché à le tuer ce soir-là. Revenant vers le canapé avec deux verres et deux bouteilles ─ eau et coca-cola ─ qu'il déposa sur la table, il prit place à son tour avec un soupir d'aise et abaissa encore un peu le masque jusque sous son menton avant de poser les yeux sur elle. Pendant un instant, il la regarda en silence, pesant le pour et le contre, avant de hocher la tête. « Ok. Je peux le retirer, mais avant toute chose, sache que je vais bien. C'est moche à voir, et tu vas sûrement imaginer le pire, mais ça va. » Il insiste. Peut-être un peu trop d'ailleurs, ce qui démontrerait l'inverse de ce qu'il affirme ; reste qu'après ces mots, Ace attrapa le masque qui reposait autour de son cou et le remonta, le passant par-dessus sa tête jusqu'à le retirer, dévoilant ainsi la blessure. Le cou rougi, mélange de rose, rouge et bleu, dont la marque visible de doigts qui l'avaient étranglé remontait jusqu'à la nuque. Des mains qui avaient pris la largeur entière de son cou... et qui l'avaient terrifié, lui, de la conséquence s'il n'avait pas réussi à attraper son casque pour se défendre. « Ta-daaa... » lâchait-il sans entrain.

Cassie le fixa, figée, alors que la réalité de ses blessures s’imposait à elle. La marque sur son cou, cette preuve évidente d’une violence brutale, lui fit l’effet d’un coup de poing. Son cœur accéléra malgré elle, ses émotions tiraillées entre l’inquiétude et la colère. Elle resta silencieuse un instant, essayant de calmer l’orage qui grondait en elle, puis prit une inspiration, cherchant ses mots. « Ace... » murmura-t-elle finalement, la voix empreinte de douceur mais teintée d’une pointe de réprimande. Elle tendit la main, hésitant à effleurer son cou, craignant de lui faire mal, mais son besoin de montrer qu’elle était là, de lui apporter un peu de réconfort, surpassait ses réserves. Son regard se plongea dans le sien, et elle y lut toute l’étendue de ce qu’il avait traversé, ce mélange de résignation et de résilience qui le caractérisait si bien. « Tu peux prétendre que tout va bien, mais... tu n’as pas à te forcer avec moi, tu sais ? » Elle hocha la tête, cherchant à transmettre sa sincérité. « C’est moi, Cassandra. Tu peux te montrer vulnérable, même si je sais que ce n’est pas ton truc. » Elle esquissa un sourire tendre, essayant de détendre l’atmosphère sans minimiser la gravité de ce qu’elle venait de voir. Elle se redressa, les mains jointes, l’air déterminé. « Dis-moi ce qui s’est passé. » La demande était douce mais ferme, parce qu’elle ne supportait pas l’idée de le laisser affronter tout ça seul.

Le mouvement de recul d'Ace lorsque Cassie approcha sa main de lui était on ne peut plus clair. Le traumatisme de la veille était encore bien trop récent, et la moindre main s'approchant de son cou le rendait inconfortable. Mais à la voir aussi bienveillante, et même déterminée à l'aider, Ace ne put réprimer un souffle amusé accompagné d'un sourire. « Vraiment, pas besoin de t'inquiéter. J'ai flippé hier soir, mais là ça va. » Néanmoins, il comprenait qu'il lui devait des explications ; s'il ne les lui donnait pas, elle risquerait de les chercher, et mieux valait éviter une nouvelle confrontation avec Amore dans l'immédiat. Penché en avant, coudes sur les genoux et les doigts se triturant les uns les autres ─ preuve malgré lui d'une anxiété qui persistait ─ Ace lui résuma la veille. « Je faisais une simple course pour un collègue en fin de journée, à côté d'un bar, et j'ai vu un mec dégueuler sur la roue avant de ma bécane. Du coup j'ai voulu le dégager, mais quand j'ai reconnu la tête d'Amore, j'ai frappé. J'ai même pas réfléchi, j'ai disjoncté, le poing est parti tout seul. » Le regard dans le vide revint se poser sur Cassie. « J'ai pu me défaire de sa prise en éclatant mon casque de moto sur lui, et je pense bien lui avoir déglingué l'épaule au passage. Comme c'était devant un bar, y'a eu des témoins et... la police est vite arrivée. On a passé la nuit au poste. » Et donc, c'était lui qui avait initié les hostilités, en premier ; pas Amore. « Amore n'a pas porté plainte, et moi non plus. Rose est venue le chercher et je suis sorti ce matin. » Le regard dévie à nouveau, balayant l'appartement du regard alors qu'il soupire. « Ces histoires ont encore dégénéré pour des conneries. »

Cassie écouta son récit, le cœur serré mais sans rien montrer de la tempête intérieure qui la submergeait. Elle comprenait maintenant l’ampleur de ce qui s’était passé, et malgré le masque de désinvolture d’Ace, elle voyait bien qu’il n’en était pas ressorti indemne, ni physiquement ni mentalement. Elle pinça les lèvres, se battant contre une inquiétude qui menaçait de la submerger, tout en cherchant à être une source de soutien. « Je comprends, » dit-elle doucement, un peu pour lui et un peu pour elle-même. Son regard glissa sur son cou, ses doigts se resserrant pour résister à l’envie de le toucher, de lui prouver qu’elle était là. Elle laissa plutôt son ton faire passer ce qu’elle ressentait. « Mais Ace, ces "conneries" comme tu dis, elles finissent toujours par te laisser dans cet état. Tu crois pas qu’il serait temps de sortir de ce cercle ? Je ne dis pas que c’est facile, mais… tu mérites mieux. » Elle prit une inspiration, consciente que ce n’était pas son rôle de le changer mais qu’elle pouvait au moins lui offrir une porte de sortie. « Si tu veux bien, on pourrait essayer de trouver une manière d’éviter ce genre de situation la prochaine fois. Je suis là pour toi, d’accord ? Quoi qu’il arrive. » Elle lui adressa un sourire sincère, espérant qu’il y trouverait un peu de la stabilité et de la paix qui lui manquaient.

Ce que disait Cassie, lui-même le réalisait bien. L'état dans lequel lui et Amore terminaient à chaque conflit n'était pas normal et avait de réelles séquelles ; autant pour lui, que pour Amore, ou leur entourage. Les bastons ne lui étaient pas inconnues, mais celles-ci prenaient des ampleurs auxquelles il n'était pas habitué. Mais... « C'est compliqué. » Le regard baissé vers le sol mais perdu dans sa réflexion, Ace tentait de s'expliquer. « Je sais... que c'est pas normal. J'ai conscience du fait que j'ai pas la solution non plus, et que j'ai le chic pour jeter de l'huile sur le feu. Je sais aussi qu'il devrait payer pour ce qu'il a fait, mais... » Il déglutit, fronça un peu les sourcil. « J'adore ce mec. Pas pour ses colères et ses pétages de plomb, mais pour tout ce qu'on a vécu avant. Je connais ses bons côtés. C'est un ami. Mon ami. Même si c'est clairement à sens unique... » Se dire qu'Amore aurait pu le tuer sur un coup de tête, alors que lui aurait pu mourir en voulant le sauver, était probablement le coup le plus dur à encaisser. De se dire que la réalisation qu'il avait eue en Août persistait encore aujourd'hui ; Ace était capable de se sacrifier pour Amore, et Amore était capable de sacrifier Ace. Se forçant à relever la tête avec une profonde inspiration, le dos d'Ace vint se poser contre le moelleux du canapé alors qu'il basculait la tête vers l'arrière et regardait le plafond. « J'ai déjà dit à Rose que c'était fini, et que je reviendrai pas vers elle. Je peux pas tolérer qu'Amore s'en prenne à des innocents, des gens de mon entourage. Si la fréquenter et la blesser a pour résultat les conséquences actuelles... alors j'en veux pas. »

Cassie resta silencieuse, prenant le temps de digérer ses mots, leur poids, et ce qu’ils révélaient de lui. Elle voyait dans ses yeux cette loyauté indéfectible, même à sens unique, cette détermination à protéger quelqu’un qui n’aurait sans doute pas hésité à l’anéantir s’il l’avait voulu. C’était à la fois admirable et effrayant. Elle lui prit la main, pressant doucement ses doigts, lui offrant un point d’ancrage. « Tu sais, je crois que c’est une immense force de reconnaître ce genre de choses. De voir Amore pour ce qu’il est, en bien comme en mal, et d’être capable de faire un choix malgré cet attachement. C’est pas facile, mais… si ça peut te protéger, protéger les gens que tu aimes, alors c’est sûrement le bon choix. » Elle le regarda, un petit sourire triste sur les lèvres. « Tu as raison de vouloir te préserver, Ace. Tu mérites mieux que de te retrouver brisé à cause de quelqu’un qui n’hésite pas à te blesser, même inconsciemment. Et si ça veut dire mettre de la distance… alors je serai là pour te soutenir, pour tout ce que ça implique. Parce que tu le vaux bien plus que tu ne le crois. »

Le regard déviait sur Cassie alors qu'il l'écoutait, le visage se tournant légèrement vers elle. Savoir qu'elle le soutenait dans son choix le rassurait, lui faisait se sentir moins seul dans cette décision. Cassie était, pour ainsi dire, la seule personne qui lui semblait réellement de son côté et stable, actuellement. Le froid entre Lyssandre et lui... la relation complexe avec Fallon et Redd... les conflits avec les Morelli, quand bien même Brinley essayait de rester neutre... sans parler de tous ses secrets aux autres pour les préserver. Petite lumière dans l'obscurité, la fille Vanderwaal le rassurait plus encore qu'elle ne l'imaginait. « Merci. » lâchait-il dans un sourire triste. Il se redressa ensuite, et se rapprocha d'elle pour venir réclamer une étreinte. Juste un câlin, pour se rassurer, apaiser les craintes et l'anxiété. Le câlin promis pour aller mieux, et pour lequel il ferma les yeux les bras entourant Cassie sans forcer. Et ce câlin avait sûrement plus d'effet que n'importe quelles paroles, si bien qu'il s'immobilisa un long moment dans cette position. Il s'offrait autant de réconfort que possible, l'expression du visage s'apaisant progressivement, chassant les démons et l'inquiétude avec son contact. Comme un gamin en quête d'affection, d'un peu de soutien face aux difficultés de la vie.

Cassie entoura doucement Ace de ses bras, le tenant contre elle avec une tendresse calme, lui permettant de puiser autant qu’il voulait dans ce réconfort. Elle savait qu’il en avait besoin, que derrière son sourire triste et ses faux airs de garçon endurci, il cachait un cœur bien plus fragile et fatigué qu’il ne le montrait. Elle sentait ses épaules se détendre, son souffle se faire plus profond, presque comme s’il se déchargeait du poids de tout ce qu’il portait. Elle passa une main apaisante dans son dos, sans bouger, lui offrant simplement sa présence, sachant qu’il n’était pas nécessaire de parler. Parfois, les mots faisaient obstacle au simple réconfort d’un contact sincère. Elle se surprit elle-même à murmurer, presque comme une promesse, « Tu n’es pas seul, Ace. Tu peux tout affronter, je serai toujours là pour toi. » Elle le sentait enfin se détendre complètement, comme si le monde autour de lui disparaissait dans cette étreinte.