Enola le rejoint avec deux tasses, mais Ace ne touche pas la sienne ─ pas encore. La gorge est trop nouée pour que le moindre liquide puisse passer. Il fixe la tasse devant lui, pensif, les mains devant lui aux doigts nerveux triturant les ongles sans y faire attention. « Je t'écoute ? » Vers elle, ses yeux se relèvent, et Ace peut voir à son visage qu'elle est sérieuse et attentive. De toute façon, il lui faut bien se jeter à l'eau, peu importe la forme de son saut ; alors il y va. « Je... suis dans la merde. Jusqu'au cou. » Une ouverture en beauté, qui annonce la couleur ignoble de ses aveux. Des problèmes. Plein, plein de problèmes. Trop. Aucun qu'il n'arrive à gérer correctement. Et quand il commence à y repenser, ses yeux se baissent à nouveau pour fixer un vide entre lui et sa tasse, les pensées trop présentes pour qu'il ne puisse se concentrer sur ce qu'il y a devant lui ; une amie. Il commence par ce qu'il croit être le début ; son père. Il lui dit qu'il n'est pas mort, en réalité, et que ce qu'elle a vu il y a de nombreux mois au café, sur cet homme étrange trop bien sapé pour fréquenter un mec comme lui, c'est lié à ça ; il lui explique être le fils illégitime d'un homme riche et puissant, et que depuis des années, cet homme essaie de le ramener de force dans son pays d'origine. Une chose qu'Ace refuse, développant même une aversion contre toute chose ayant un rapport avec ce pays, tant ça le bouffe. Il rejette la disparition de sa mère sur cet homme, puis explique qu'il a plus ou moins vécu comme ça, dans cet état de stress constant, depuis qu'il est sorti du lycée. Il ne veut pas communiquer avec cet homme, ne veut pas qu'il soit dans sa vie, mais y'a rien à faire. Où qu'il aille, quoiqu'il fasse, il le suit comme une ombre, parce que c'est son fils. À cause de ça, il explique ses problèmes pour faire confiance, la distance qu'il met entre lui et les autres par sécurité, parce qu'à plusieurs reprises, des gens qui n'étaient pas supposés être au courant de ces problèmes le devenaient subitement et cherchaient à le pousser vers son père ; il a découvert qu'en échange de belles sommes d'argent, ceux qu'il croyait être des amis préféraient le vendre à son père que de respecter sa volonté. Il souligne qu'il pense pareil pour elle, qu'il s'attend à ce qu'elle le fasse, mais qu'il comprendrait.
Puis après une profonde inspiration, il enchaîne avec Rose ; pas envie de faire une foire aux questions. Il raconte qu'il est d'abord ami avec son frère, depuis quelques années, mais qu'il a toujours su qu'il n'est pas des plus fréquentables. Mais il a vu dans Amore des choses qu'il aime ; son amour sincère pour sa famille, l'intensité avec laquelle il vit, sa hargne, sa férocité, et la loyauté dont il est capable quand un de ses proches a des ennuis. Il raconte les nuits à pleurer de rire pour de la merde, les soirées des folies, et il sourit un peu à ces souvenirs d'ailleurs ; mais le sourire disparait quand il raconte que ça s'est compliqué quand sa soeur, Rose, est venue s'installer chez lui. Le début des secrets, le début d'une position entre eux deux, à vouloir faire le bien, mais en le faisant mal. C'est plus compliqué d'en parler. Compliqué de dire qu'il désire Rose, qu'elle lui plait ; qu'il en est tombé progressivement amoureux, mais que sa loyauté envers Amore a fait qu'il a dû la repousser. Et donc la blesser. Et là... Ace inspire, puis marque un bref temps d'arrêt, le regard se perdant sur les décors du café, mais sans vraiment les voir. Les conflits. Les disputes. Les reproches. Il y en a eu beaucoup ─ et il s'excuse encore pour ses silences durant le Summer Camp en Sicile. Il décrit sa colère, son sentiment de trahison envers Amore, la connerie qu'il a fait en s'en prenant à lui, et toutes les répercussions violentes qui lui ont donné le sentiment qu'il a déclenché une tornade d'emmerdes pour son entourage. Ace ne s'épargne pas, endosse l'entière responsabilité des événements, et le souligne davantage lorsqu'il parle de ses retrouvailles avec Rose et de ses tentatives pour recoller les morceaux avec Amore. Il évite volontairement les détails les plus troublants, ne parle pas de l'altercation avec Esteban, des menaces de mort, du kidnapping ; mais il parle de sa relation avec Rose, complexe, sans la moindre confiance, rongée par les problèmes et sa paranoïa. Il parle de ce qu'il a vu, sur le toit de sa résidence ; d'un ami, sans donner le nom, qui a voulu se donner la mort et qu'il a dû l'en empêcher. Dire que cette vision l'a traumatisé, probablement plus que les autres ne le croient et qu'il est absolument terrifié à l'idée que ça se reproduise.
Ace a besoin d'un moment suite à cette confession, se mordant la langue pour contenir les émotions. Ça le terrifie encore. Et puis il accélère dans ses explications, ignore un grand nombre de détails parce qu'en réalité, il sature déjà d'en parler ; il explique juste que parce qu'il était en colère contre Rose, il a failli la tromper, et qu'à cause de ça, il a pris la décision de rompre. Que ça s'est su. Et que c'est reparti dans tous les sens, parce qu'on le menace. Il n'envisage pas la police, parce qu'il est probablement trop con d'aimer ceux qui le menacent, et peut-être parce qu'il pense le mériter, aussi.
Et puis c'est là, enfin, qu'il explique qu'il a des problèmes psychologiques ; parce que forcément, dans son récit, certaines de ses réactions sont un peu étranges, ou exagérées. Là, il relève le regard sur Enola. Il voit des choses, entend des voix, confond le passé pour le présent dans des flashback qui apparaissent sous diverses formes. Il revit tous ces moments là sans être capable de se rappeler qu'ils sont des souvenirs, et le vingt-quatre au soir, il a pété les plombs. Il a disparu pendant plus de vingt-quatre heures, et lui-même n'a que de très vagues souvenirs de cette journée là. Il sait juste qu'il avait peur, a cherché frénétiquement un endroit où se cacher, qu'il a pleuré et cherché sa mère ─ en vain, puisqu'elle est décédée.
Encore, son regard se baisse, et il se sent... vidé. Fatigué. Ses doigts tirent toujours sur ses ongles. « ...voilà. Tu sais à peu près tout. Je crois. » Inspiration, profonde, lourde ; puis il soupire. « Je pense juste... que c'est mieux si je suis seul. J'entraîne moins de gens dans mes emmerdes. » Et c'était encore un miracle qu'Enola ait été épargnée jusque là.