is it the end of the road ? [rosace]

Dire pourquoi, c'est verbaliser une chose qu'il ne veut pas admettre. Il s'est engagé sur un terrain glissant qu'il n'est même pas sûr d'avoir envie d'aborder, alors il hésite, très visiblement. Il ne quitte pas son regard, parce qu'il a peur que s'il regarde ailleurs, elle disparaisse. Et que lui répondre ? Est-ce qu'il a seulement conscience de la régularité à laquelle il boit, alors que lui même a dit qu'il doit se calmer ? Les mots sortent pas. Il est figé là, à la regarder, incapable de trouver les mots ou de mettre de l'ordre dans ses idées. Il n'a que des bribes de phrases, des excuses, des mensonges et des demi-vérités qui s'entrechoquent, mais rien ne fait sens. Alors il dit rien et il la regarde, une peur invisible cherchant à le tirer dans un gouffre.

Y'a rien qui sort, pas un mot, pas un bruit ; puis le coeur qui sombre en chute libre quand elle détourne le regard et qu'il remarque ses larmes. Une douleur qui irradie subitement le coeur et le corps alors qu'il s'avance rapidement, la main tendue... mais s'arrête. Si proche de la toucher, mais quelque chose le stoppe, le freine, le terrifie encore. Il regarde sa propre main, n'entend plus que son propre coeur tambouriner et se risque à la toucher. Tout doucement. Complètement incertain du geste à adopter, chassant autant qu'il le peut les démons que lui seul entend. « Rose... » Le prénom soufflé, il maintient son regard autant qu'il peut, avant de le baisser. « Je... j'étais en colère. » Il l'admet ─ mais il sait aussi qu'il est en tort.

Contre elle ? Oui. Et contre lui-même. Contre cet inconnu. Contre tout le monde. Il fronce les sourcils, détestant cette colère qui le ronge pour trois fois rien. Par où commencer ? Comment lui expliquer ? Le choix des mots est compliqué et il sait que de toute façon, il en demandera trop, et que tous ces doutes, c'est dans sa tête. Elle n'a sûrement rien fait de mal, n'a sûrement rien voulu lui cacher, et c'est lui qui se monte la tête, tout seul. Comme toujours ; comme à chaque fois. L'éternelle routine. Son visage se baisse davantage et il ferme un instant les yeux, avant de le relever avec une inspiration profonde. Yeux dans les yeux. « Je supporte pas la présence invisible de ce mec. Je déteste la seule pensée qu'il puisse te parler, même par message. Je me demande... » Il hésite ; « Je me demande si tu penses à lui, quand on est ensemble. Quand je te touche. Et je sais que tu vas me dire que non, mais y'a rien que tu puisses faire. J'ai pas confiance. J'y arrive pas. Tu pourrais... supprimer son contact, sous mes yeux, me laisser tout lire ou l'envoyer chier à ta place... j'y croirais pas. » Le rideau est ouvert, dévoilant la crasse de ses pensées, et il en a honte. « J'imagine toujours le pire. Et je me dis que si jamais y'a des problèmes, t'iras vers lui. Que si j'merde, il sera ta vengeance. Alors... » Il baisse brièvement les yeux, déçu tant de la situation que de lui-même, mais se fait violence pour continuer à la regarder. « J'suis en colère. J'ai envie de me venger d'un truc que j'sais pas si tu l'as fait ou non. Et je t'en veux, tout le temps. » Ignominies prononcées, mais aussi à encaisser. Il sait que ces mots vont la blesser, qu'il est en train de tout gâcher. Il se mord l'intérieur de la lèvre, lutte pour ne pas baisser les yeux afin de faire face à sa réaction, quelle qu'elle soit.

Il n'y a pas de colère, malgré ce qu'il dit. Pas à ce moment de la journée, pas après ces confessions, et pas non plus à la suite de ses paroles. Ace se sait coupable de bien des choses, et elle a raison, il le sait. Il s'est monté la tête tout seul, comme il le fait souvent, à s'imaginer des réalités qui n'ont jamais existé ─ mais c'est là toute la difficulté avec lui. Celle qu'il ne cesse de cacher, honteux, et qu'il doit pourtant affronter. Un de ses combats. Il baisse les yeux sur leurs mains, et au lieu de la retirer, Ace bouge un peu la sienne pour englober celle de Rose. « Parce que je sais que c'est mon problème. Et que c'est dans ma tête. » Il relève les yeux sur elle, et s'exprimer lui est difficile ; si Rose parvient à se murer derrière de la glace, lui, ce n'y parvient pas, parce qu'il tente de retenir plusieurs murs de s'écrouler et l'écraser, sans savoir combien de temps il peut tenir. Il sent qu'il va mal. Il sent, dans ses agissements, ses pensées et ses mots, qu'il retombe dans une de ces mauvaises phases. S'il est incertain de la cause, il reconnait le sentiment de l'inéluctable. « C'est... je veux aller mieux. Mais je pense pas que tu sois assez forte pour encaisser ce manque de confiance de ma part. Pour l'affronter. » Référence à ses troubles, sans doute ; ce qu'il confirme après une brève seconde. « Ce que je viens de te dire, c'est rien, ça. Ce n'est même pas la surface de ce que je suis capable d'imaginer, et je ne pense pas que tu réalises réellement ce que ça implique. Ça commence par des doutes. J'ai peur, j'ai mal, mais je sais pas pourquoi. J'imagine le pire. Je me convaincs du pire. Et peut-être que demain, je t'accuserai de quelque chose que tu n'as jamais fait. Et je le croirai, chaque fibre de mon corps sera convaincue que ce sera la réalité. Peut-être... » Il expire brièvement et relève les yeux, et sa main se resserre sur la sienne. Il sait qu'il peut imager ce qu'il veut dire, mais il ne veut pas aller dans ces détails, bien trop violents et cruels pour elle. Il lutte, regardant encore son visage terni par la tristesse. « Je pourrais t'accuser de choses horribles. Te les hurler au visage, te fuir agressivement. Te bloquer. Cesser de venir à l'appartement. Et si ce que je viens de te dire, sur ce mec, est suffisamment violent pour te blesser... alors tu n'as pas les épaules pour la suite. » Sa prise sur la main de Rose se défait légèrement, le contact plus léger. « Mais ce n'est pas ta faute. Et je suis plus terrifié à l'idée de te perdre parce que je t'ai blessée, que mettre de la distance maintenant, pour mieux te retrouver plus tard. Je... pense que c'est mieux si on ne vit pas ensemble. » Mais là, à ces mots, il peine trop à soutenir son regard.

Elle retire sa main, et tout s'écrase au sol. Les murs de verre qui miroitaient la lumière du soleil et des possibilités prometteuses s'effondrent au sol, pour ne laisser plus qu'un vide silencieux et sombre, sans lumière ni ombre. Juste du vide. Aucun oxygène, aucune sortie, aucune route, aucun repère. Du rien, du vide, et un regard écarquillé. Les mots font mal, mais les coups sont justes et mérités. Il serre les dents, sent comme un poids invisible presser sur son torse, alors qu'il la regarde et l'entend lui rappeler la faiblesse et la lâcheté qui le caractérisent ─ et dont il a toujours eu conscience. Ce faux combattant, cette grande gueule présomptueuse mais sans la moindre valeur, qui déblatère des promesses qu'il ne sait pas tenir. Ce menteur invétéré, aux jolis mots putrides et à l'esprit corrompu ; c'est tout c'que tu mérites. Il est juste... figé. Incapable de lui répondre. Tout est moche, tout est pourris, tout est purulent. Il la veut, pourtant, mais il la veut sans lui. Il la préfère quand elle brille d'elle-même, quand elle ne dépend pas de sa présence et qu'il n'a pas l'impression qu'au moindre faux pas, il va la briser. Ah, il a fier allure, le grand galant qui disait à Enzo que si Amore était incapable de la protéger, il le ferait lui-même ; et Ace en oublie de respirer à cette pensée. Il déglutit péniblement, se fait violence pour reprendre sa respiration, expire lentement, et croise les bras, fermé, distant, froid. Son regard se baisse, parce qu'il n'a même plus le courage de la regarder directement dans les yeux. Et enfin, il parle à nouveau. « J'ai juste dit... que dans mon état actuel, j'en suis incapable. Je vais continuer à voir le psy. » Elle ne comprend pas, elle non plus. Elle ne saisit pas l'horreur de vivre contre sa propre tête, son propre esprit, se regarder dans un miroir et se dire que la personne qu'on regarde n'est peut-être pas celle qu'on connait, ou celle qu'on pense être. De se lever tous les matins en regardant par habitude les coins de la chambre pour vérifier qu'ils sont vides, de pousser parfois des objets juste pour vérifier qu'il n'y a rien derrière. Comment défaire la vérité du mensonge quand son propre esprit lui fait croire des mensonges, déforme ses souvenirs et en efface d'autres ? Ace le sait. Il en a la certitude ─ pas parce que sa tête lui dit, mais parce que son corps entier l'exprime. Elle est mieux sans lui ─ au moins pour un temps, sinon définitivement.