luna e stelle ─ Neriah & Ace

Elle insistait ne pas être son ennemie, ne pas lui vouloir de mal. Elle n'haussait pas le ton et Ace ne savait pas si c'était une bonne chose ou l'inverse. Essayait-elle de le manipuler, encore ? Était-elle sincère ? Il ne savait absolument pas comment différencier le vrai du faux, tout était mélangé, confus, incohérent. Elle était un monstre du mensonge, et peut-être aussi une simple vérité sincère et bienveillante. Plus il l'écoutait, moins il savait, et son regard traduisait le conflit interne qu'il menait, dent serrées et respiration paniquée. Une partie de lui hurlait qu'elle mentait. L'ombre du passé, celle qui s'accrochait à son coeur comme des ronces envahissantes enroulée autour de lui. La peur le figeait sur place, transpirant la crainte d'être une nouvelle fois trahi et jeté en pâture aux démons de l'avarice. Il ne voulait pas de cette vie, il ne voulait pas qu'on le contrôle, qu'on l'écartèle entre des obligations qui le terrifiaient. Ace secouait la tête alors que Neriah disait ne pas vouloir appeler qui que ce soit, mais ce mouvement de tête semblait moins de la négation, et plus à un mouvement de rejet, comme s'il ne voulait pas entendre ce qu'on lui disait ─ pas elle, mais bien ce qu'on lui disait. « Non... » Il hésitait. Et si elle avait raison, finalement ? Si elle ne lui mentait pas ? Est-ce que cette peur morbide de la trahison, qui le poussait aussi fort à l'isolation, n'était pas le but recherché ? Et si elle comptait effectivement le trahir dès l'instant où elle baisserait sa garde ? Le regard quitta la plage, chercha quelque chose, une fantôme, une manifestation de ses peurs sur la route, n'importe quoi. Il n'y avait rien. Dans son dos, il n'y avait personne non plus, et dans la mer, juste les vagues. Ace chercha encore, le regard inquiet, mais ne voyait rien. Il n'y avait rien. Juste eux deux. « Je... » soufflait-il, le regard sur la motot qu'il avait laissée plus loin. Il vint finalement à nouveau sur Neriah, mais peina à se focaliser sur elle. « Tu mens pas ? » Question conne. Quiconque mentait, mentirait à cette question. Il déglutit péniblement. « Alors pourquoi t'es là ? Tu m'connais pas. Tu sais rien de moi. Tout c'que t'as vu de moi, c'était juste un numéro, de la performance. » Le retour à la réalité semblait progressivement se faire, et il se rapprochait petit à petit de l'idée qu'elle n'était effectivement pas son ennemi. Mais il ne comprenait toujours pas. « T'y gagnes quoi en m'donnant ta pitié ? » Parce que ça ne pouvait être que ça, après tout.

« Quoi ...? » Il avait soufflé ce mot avec une grimace, l'esprit confus, toujours assailli par ses doutes, alors que Neriah cherchait encore les mots pour le rassurer. Il l'entendait clairement pourtant, mais son corps luttait contre ces peurs invisibles, contre ces regards tapis dans l'ombre. Ace secouait la tête, yeux fermés avec force, fit un tour sur lui-même en se passant la main dans les cheveux, cherchant encore quelqu'un de pourtant absent. C'était si facile d'oublier ces démons quand d'autres étaient plus proches ; mais toujours, ce même schéma. Il perdait quelque chose ou quelqu'un, se sentait au plus bas, et son sentiment de culpabilité devenait une arme retournée contre lui-même, manipulée pour le mener vers des chemins qu'il se refusait à emprunter. La fameuse guerre d'usure qui rongeait son esprit et qui faisait que Neriah, à ce moment-là, peinait à se faire bien entendre.
Mais elle se confiait à son tour. Il la regardait avec une expression douloureuse, mais progressivement, son regard se concentrait davantage sur elle, plus que sur ce qu'il ne voyait pas. Elle parlait de connexion, de lien, de similitudes – il secouait la tête à ce mot –  et de combats silencieux qu'ils menaient tous les deux. Et peut-être qu'il avait envie d'y croire, un peu. Qu'une personne puisse arriver à imaginer cette terreur insidieuse et brutale, irrationnelle et presque ridicule d'un point de vue extérieure, sans qu'on le juge. Et puis elle le comparaît à un rêve, et il ne comprenait pas ; il ne voulait pas en être un. Il fronçait encore les sourcils et eut envie de reculer, mais il ne le fit pas, s'écrasant plutôt le plat de la main sur le front alors que son regard se baissait sur le sable à ses pieds. Il appuya fort malgré les blessures à son visage, continuant d'écouter la jeune femme, puis le silence retomba.
Pendant un temps, il ne réagit pas. Il ne bougea pas non plus ; jusqu'à ce qu'il ferme les yeux et se donne un léger coup du plat de sa main, punissant son esprit de dérailler par moment. « Parfois... Parfois j'ai l'impression que le danger est partout... Qu'on m'observe... j'ai une peur que je ne maîtrise pas, et ça me fait vriller. Je perds les pédales. Je perds le contrôle. » Ses deux mains passèrent sur son visage alors qu'il prenait une inspiration plus profonde, glissant ses doigts jusque dans sa chevelure qu'il décoiffait par ce geste. Puis un long soupir lui échappa. « J'suis fatigué. J'sais pas en quoi je te suis utile. Y'a rien non plus que tu puisses faire. » Ace la regardait à nouveau suite à ces mots, mais ne bougea pas. Il semblait avoir retrouvé ses esprits et accepté l'idée qu'elle n'était pas une menace, mais c'était la honte et la culpabilité qui prenaient la suite. Il ne crisait pas devant les autres. Jamais. Pas comme ça. Mais la fatigue des évènements récents ainsi que son état physique jouaient définitivement en sa défaveur. « On est seuls dans nos galères. » Seuls dans leur tête. Seuls dans leur misère. Il ne pouvait pas imaginer les siennes, ni elle imaginer ce qui le hantait. Plutôt que de risquer qu'on entre dans son domaine pour y fracasser encore plus les murs, il préférait juste fermer les portes.

C'était comme si quelque chose d'invisible venait de se briser. Une chose qu'il n'avait pas vue, ou en laquelle il n'avait pas crue, qui se brisait et frappait Neriah, plus que lui n'en était affecté. Il le voyait dans son regard et son attitude, maintenant que le brouillard se dissipait de son esprit. Il se sentit un peu mal sur le coup, sachant qu'il était à l'origine de cette blessure qu'elle subissait derrière ses mots. Il l'avait repoussée, plus sauvagement qu'il ne l'avait déjà fait avec bien d'autres. Il l'avait accusée de choses pour lesquelles il n'avait pas de preuve, et l'expression d'Ace devint légèrement coupable, les sourcils brisés par la honte. Il ne comprenait pas comment elle agissait, comment elle pensait ou fonctionnait ─ et déjà ce qu'elle lui avait dit pendant qu'il avait fait sa crise, il en avait oublié une petite partie. Le problème de la mémoire face aux événements complexes et traumatisants, hein ? Alors, il la questionna. « Pourquoi... pourquoi est-ce que tu veux te rapprocher de moi, réellement ? » Mais sans l'accuser de le manipuler. Il voulait comprendre. « En quoi j'étais le fruit d'un rêve ? J'étais... bourré, excité comme un mec qui avait pas baisé depuis des semaines, et honnêtement je crois que j'aurais pu sauter n'importe qui ce soir là. Ça n'avait rien d'un rêve. » Il secouait la tête avec un léger haussement d'épaules. « Je sais qu'c'était bien, inoubliable même, mais j'ai rien fait de spécifique pour toi. C'était que pour ma gueule que je suis venu vers toi. Même la deuxième fois. » Et tant pis si ça le faisait passer pour un connard. Il était au moins honnête envers elle. « J'ai pas envie de te blesser, Neriah, mais je sais vraiment pas pourquoi tu te montres aussi... » disponible pour lui. La réponse, il venait de la trouver tout seul. La solitude. Elle se sentait sûrement seule, non ? Seule dans sa galère, et espérait pouvoir partager avec quelqu'un qui comprenait ? Il soupira. « J'suis vraiment pas la bonne personne pour ça. Pour toi. » Pour personne, se disait-il.

Ses mots étaient plus dangereux qu'elle ne l'imaginait, songeait-il. Il l'écoutait, le regard rivé sur elle, et elle tapait fort avec des mots qu'il voulait entendre mais dans en lesquels il ne croyait pas. Il cherchait cette connexion, lui aussi. Il cherchait ce lien, cet espoir auquel se raccrocher, cette petite lumière au fond du tunnel qui lui ferait croire qu'au bout du chemin, il irait bien. Mais peut-être était-ce encore trop tôt, ou juste pas le bon moment. Qu'on l'accepte avec ses défauts, ses travers, ses erreurs et ses combats ; un doux rêve qu'il rejetait par peur d'une quiétude à laquelle il n'était pas habituée. Neriah lui laissait un choix, avait ouvert une porte derrière laquelle elle l'attendait et l'invitait à venir, mais il n'avançait pas, ou plutôt, il n'osait pas. Les récents événements avaient souligné chez lui qu'il n'était pas capable de prendre soin de son entourage, et son esprit était fixé sur les erreurs qu'il avait commises, ignorant que ses intentions initiales avaient été de prendre soin de ses proches. Le regard d'Ace se baissa un bref instant, avant qu'il ne le relève vers Neriah, léger soupir quittant ses lèvres. Il se fit alors violence pour bouger et prendre une initiative, revenant alors vers elle en quelques pas, et s'arrêta à proximité. « J'sais pas exactement c'que je t'apporte, et je suis peut-être juste... trop con pour comprendre la subtilité de ce que tu me dis... » Pas beaucoup d'estime de lui-même, non. « mais je fais rien de spécial. J'peux rien donner, rien offrir. Rien de plus que... du physique. » Est-ce que ça les aiderait ? D'être physiquement proches ? « Mentalement et... sentimentalement... j'ai rien à donner. Et j'veux même pas que tu me consoles, ou cherches à être une amie pour moi. J'en veux pas. J'en ai pas besoin. » Oh, vraiment, Ace ? « J'ai rien, Neriah. Rien de plus que ce que je t'ai déjà donné. » Ces deux nuits, et c'était tout. Pas avec tout ce qui se passait dans sa vie, pas avec les coups et les menaces qu'il recevait depuis des jours, pas avec l'ombre de son paternel, ses pensées pour Rose, ses problèmes, et tout un tas d'autres boulets qui le tiraient vers le bas. « Je te fais pas confiance. Je fais pas confiance, de manière générale. Comme t'as pu le voir, j'ai mes... problèmes. Mais ce sont les miens ; pas ceux des autres. » Une barrière nette. Il ne voulait personne dans ses affaires. Ni elle, ni aucun autre. Mais Rose était partie. Il soupira. « ... mais je suis pas fermé à l'idée de te revoir. »

Les discussions à coeur ouvert étaient particulièrement... rares, avec lui. Il ne se livrait pas. Il fallait qu'on le provoque, qu'on l'énerve, qu'il explose pour arriver enfin à dire les choses. La colère était souvent conductrice de ses émotions, plus que la parole ne l'était ; mais là, avec Neriah, c'était différent. Il avait explosé, certes, mais la colère s'était dissipée pour laisser place à une profonde détresse ; un malaise envers lui-même, la situation dans laquelle ils se trouvaient, et la culpabilité d'avoir blessé quelqu'un qui ne lui avait rien fait de mal. La situation ne se prêtait pas à la froideur, ni au déni, et malgré l'hypocrisie de bien de ses agissements, Ace ne se voyait pas lui mentir. Pas alors qu'elle se livrait ainsi à lui. Elle reculait d'un pas, alors que lui s'était rapproché précédemment ; cette fois-ci, c'était elle qui instaurait la distance. Ace prit une longue et lente inspiration, se disant qu'elle était certainement plus sage que lui. Elle n'aurait été qu'un pansement, il réalisait. Et elle méritait mieux. Il expira, lentement, et tourna le visage pour regarder dans la même direction qu'elle ; vers la mer. « Je suis désolé... de pas avoir été correct envers toi. » Le regard se perdait un peu sur les vagues, et les songes, dans le passé. « Mais je regrette pas d'avoir passé ces deux nuits avec toi. Tu m'as aidé, à ta façon, au moment où j'en avais besoin. Et j'en garderai de bons souvenirs. J'espère juste que la réciproque est vraie. » Ses mains filèrent dans ses poches, en douceur. « Tu trouveras ce que tu cherches, éventuellement. Je te le souhaite, sincèrement. » Puis, le silence retomba un instant ; quelques courtes secondes durant lesquelles il hésitait, le regard se baissant légèrement avant qu'il ne tourne à nouveau la tête pour regarder Neriah. « Ce sont des adieux, du coup ? » Ça en avait tout l'air, mais il n'était plus trop sûr de rien.