scherzo di notte ─ Lion & Ace

Ace n'aurait pas imaginé que cette décision lui aurait donné cette sensation d'un trou noir voulant l'aspirer hors d'ici. La promenade au bord de la falaise, au bord de Syracuse, se terminait sur une pointe, le coucher de soleil dans le dos alors qu'il était plein est. Juste en bas, là, l'eau se fracassait contre la roche sauvagement. L'envie d'y plonger, juste pour satisfaire la curiosité de se laisser tomber, le démangeait ; mais son corps ne bougeait pas. Le souvenir des papillons dans le ventre, les couleurs du soleil couchant qui le renvoyaient à cette même soirée, les tongues qui avaient été jetés sauvagement dans le sable pour la retrouver dans l'eau. Ace releva la tête, prenant une profonde inspiration, les bras le long du corps. La décision était prise, des deux côtés, ça ne servait à rien de se lamenter. Il sa cachait toujours derrière ses lunettes de soleil pour limiter l'explosition de son regard blessé, mais nul fond de teint ou blush ne saurait camoufler les hématomes qui ornaient son visage, ou les quelques traces au niveau du cou. Ce fut en entendant du mouvement dans son dos qu'Ace pivota légèrement, et à sa grande surprise, son regard se posa sur Lion. Au départ silencieux, Ace fronça malgré tout rapidement les sourcils, méfiant. « C'est Enzo qui t'envoie ? »

Il était bizarre de te voir complètement seul, surtout en plein été durant un aussi beau voyage, mais parfois, même un extraverti comme toi avait besoin de se ressourcer en appréciant sa propre présence. Promesse faite à Enzo qu’il n’avait pas besoin de t’attendre s’il voulait dormir, que tu ne savais pas quand tu allais rentrer, et t’avais eu envie de te promener vers la falaise, envie de profiter encore un peu de Syracuse avant de repartir le lendemain vers Raguse. Tu te sentais complètement dans une bulle depuis que t’étais arrivé ici, le bruit des vagues, l’air européen, l’envie que ces vacances ne finissent jamais. Et ce putain de beau coucher de soleil autour de toi en peinture. C’est là que tu l'aperçus. Silhouette facilement reconnaissable, même si t’avais l’impression de ne pas l’avoir vu depuis une éternité. Destin qui vous mettait sur le chemin l’un de l’autre. T’avançais. Le corps qui se tournait vers toi alors que tu lui offrais un sourire. Sa méfiance après un instant. Tu soufflais. « Pourquoi il m’enverrai ? On est potes tous les deux, non ? » Même s’il était plus proche d’Enzo, avait vécu plus de choses avec lui, t’avais pas besoin de ça pour vouloir voir Ace. « On s’était dit qu’on se verrait de toute manière ? Le destin a juste décidé que c’était le bon moment. » Tu disais dans un sourire amusé, faisant quelques pas de plus vers lui, avant de le regarder de plus près, mieux. Et si ses lunettes ne laissaient transparaître ses yeux, son visage, lui, était marqué. Les yeux qui s’écarquillaient. « Il t’est arrivé quoi ? » C’était peut-être de ça, dont il avait fait référence par message quand il avait dit que tu verrais.
@Ace Chung

Pourquoi il m'enverrait ? Parce qu'il s'inquiète, Ace le savait. Enzo le lui avait fait comprendre. Il respectait son souhait de ne pas parler, mais il avait bien compris que cela ne l'empêcherait pas de s'inquiéter, et Ace avait automatiquement songé au fait que Lion soit au courant. Visiblement, ce n'était pas le cas. Il venait se placer à côté de lui, se rendait compte de ses blessures, et Ace soupirait, détournant le visage pour regarder devant lui, assez las finalement. Pas l'énergie de mordre ou de l'envoie chier, alors il allait rester dans le flou. « Je me suis mêlé d'affaires qui me regardaient pas. » Plus facile de se faire passer pour le connard de l'histoire que pour la victime ; on lui demanderait moins de détail si l'on souhaitait garder un avis positif sur sa personne. Ace planqua ses mains dans ses poches pour cacher ses poings, et reprit la parole avant que Lion ne pose une nouvelle question. « Avant qu'tu demandes, ça va passer. Ça fait mal maintenant mais d'ici une semaine j'aurai plus mal, et dans deux semaines, max trois, on verra plus rien. » Une façon de dire que c'était pas grave.

C’était pas toujours facile, de côtoyer une personne comme Ace. T’étais quelqu’un qui aimait savoir tout sur tout, savoir les histoires de chacuns, les derniers potins, encore plus ceux de tes amis, et lui était quelqu’un qui aimait être secret, même s’il était toujours dans de nouveaux bourbiers. Compliqué pour quelqu’un comme toi de ne pas t’inquiéter quand tu ne le voyais pas depuis trop longtemps, de te demander s’il allait bien, et comment il allait t'accueillir. Tu t’étais dit qu’avec le Summer Camp et la compétition, il serait focalisé sur ça, pas trop de marges d’erreurs. Que nenni. « T’as mis d’la crème ? Pris un médoc ? » A croire que c’était toi le grand frère de vous deux dans votre dynamique. Dans ces moments-là, ça y ressemblait fortement. Deux semaines voir trois, ça devrait s’effacer pour la rentrée. T’avais du mal à pas le regarder, à pas fixer les différences de tons qui marquaient sa peau - t’espérais croire que la golden hour accentuait ses hématomes. « C’est quoi ? Histoire de cœur ? De famille ? T'as dragué une meuf déjà prise ? T’as bousculé un parrain d’la mafia ? » Le besoin de pousser, d’en savoir plus, comme pour être sûr que ce n’était pas quelque chose qui se reproduirait, que les gens derrière cela ne reviendraient pas.
@Ace Chung

Toute cette inquiétude à son égard, ça lui semblait disproportionné, et à en juger par le soupir qu'il laissait échapper avec les épaules s'affaissant avec nonchalance, Ace ne cherchait pas à cacher son agacement face à la curiosité du plus jeune. Plus des gens s'impliquaient dans ses histoires, plus ça dégénérait. Secret par habitude, seul pas facilité, Ace ne partageait rien en général. Rire et faire le con était bien plus apprécié ─ et appréciable ─ mais ces choix de vie rendaient bancales ses relations avec les autres. « On pourrait croire la mafia, ouais, mais non, rien d'aussi grave. » Il avait eut envie de plaisanter, mais le coeur n'y était pas, et de toute façon, il savait que Lion forcerait son chemin d'une façon ou d'une autre. Alors il lui jetait des miettes dans un haussement d'épaule, le regard vers le large. « J'ai juste fourré mon nez dans les mauvaises affaires. » Puis il pivota la tête dans sa direction, le regardant à travers ses lunettes noires. « J'ai joué au con et j'ai subi une correction à la hauteur de ma connerie. Ça t'semble satisfaisant comme réponse ? Parce que j'en dirai pas plus. »

Toujours agacé lorsqu'on s'intéressait à lui. Comme si de son côté il s'intéressait jamais à ta vie ou tes choix, comme s'il faisait pas fuir tes potentiels coup d'un soir quand il ne les trouvait pas assez bien pour toi. Comme si tu pouvais pas retourner les faveurs. T'arrachais quand même un petit sourire à sa brève tentative d'humour. « On est en Sicile. La Cosa Nostra n'est jamais loin. » Tu finissais par souffler en entendant ses mots, regardant à ton tour les magnifiques couleurs de l’horizon, contraste élevé face à l'atmosphère qui régnait. Ne pas s'énerver, être raisonnable, tenter d’le raisonner, pas vouloir le braquer. « Pourquoi ? T'as peur de quoi ? Que j’te juge ? » … Peut-être que tu le ferais un peu, après réflexion. S'il avait fait de grosses conneries qui pouvaient porter atteinte à sa vie. Ou un truc dans le genre. Ses premiers mots te revenaient en tête, tu faisais marche arrière. « Enzo est au courant ? »
@Ace Chung

La Cosa Nostra. Il savait même pas qui c'était, pour dire à quel point il baignait dans les affaires louches de base. Un constat qu'il faisait au fil du temps, nombre de ses fréquentations étaient bien souvent dans un côté sombre du tableau, alors qu'ils avaient parfois la possibilité de ne pas l'être. Il y allaient délibérément ; pourquoi ? Il ne comprenait pas. Ace roula finalement des yeux et détournait à nouveau son visage dans un énième soupir, préférant ne pas revenir sur le sujet d'Enzo. « Il a juste vu ma gueule. Et comme j'peux difficilement la planquer, vu qu'j'en ai un peu besoin pour juste... exister on va dire, lui aussi s'est inquiété. » Haussement d'épaules, et Ace sortait une main pour désigner l'horizon devant lui, par delà le bord de la falaise. « Là, à l'échelle de c'qu'on voit, c'est trois fois rien. Quoique j'dise, quoique j'fasse, et quoiqu'tu saches, demain y'aura la même quantité d'eau dans cette mer, y'aura un nouveau coucher d'soleil, les oiseaux vont chanter et le temps va passer. » Son bras retomba mollement le long de son corps. « Alors on s'en fout un peu non ? Des raisons. Ça change rien à c'qui s'est passé. »

T’hochais doucement ta tête à ses mots. C'était déjà ça. T'avais pas été au courant pour Enzo, mais en même temps, t'avais pas à l'être. Profiter de votre bulle loin des dramas jusqu'au retour à Boston, ne pas vous prendre la tête. Mais t'imaginais donc qu’Enzo était déjà passé avant toi pour faire la morale à Ace. Et vous ne seriez sûrement pas les seuls. Tu soufflais à ton tour, pas sûr que cette escapade te requinquait plus qu'elle t'épuisait. Qu'il était borné  « On peut dire ça pour tout. Dans ce cas-là, ça sert à rien d'échanger avec personne, de se faire des potes, de s'intéresser aux autres, de raconter sa vie, ses bonheurs, ses malheurs. Demain la Terre continuera de tourner. » T’humidifiais tes lèvres, reposant ton regard sur lui. « J’veux juste être sûr qu’tu sois pas en danger ? En savoir plus sur mon pote et ses décisions ? C'est si compliqué à comprendre ? » Toujours calme, la voix qui ne haussait pas, même si la frustration était apparente. Apparemment, il semblait avoir un concept de l'amitié assez différent du tien.
@Ace Chung

Borné était le bon mot ; l'habitude de gérer ses problèmes seuls, c'était aussi une façon de se préserver des trahisons. Ace écoutait Lion, mais bizarrement, il ne se sentait pas de le contredire. La perspective qu'il avait offert collaire plutôt bien à ce qu'il venait de décrire, alors il finissait par pivoter les épaules, le corps suivant pour se détourner du spectacle de la falaise et s'éloigner. « Si j'étais en danger je s'rais déjà mort, et le problème est réglé de toute façon. Y'a plus rien à dire, juste à laisser le temps faire son oeuvre. Ça sert à rien d'petre mélodramatique, là. » Mais peut-être que c'était lui qui l'était, en vrai ; à faire celui que rien atteind, qui porte sur ses épaules le poids de la responsabilité de toutes les conneries, accablant encore plus la faible estime qu'il avait de lui-même. Ace s'éloignait, la démarche nonchalante, comme si la bienveillance de Lion ne l'intéressait pas et ne le touchait pas.

Ses mots qui s’échappaient dans le vent, et son dos qui te faisait face, puis un pas, puis deux, puis trois - s'éloignant de toi. T'étais interdit sur le coup, les yeux qui clignaient et sa silhouette qui gagnait du terrain à chaque seconde. Il était sérieux ? Il allait vraiment partir comme ça ? T'étais pas quelq'un d’habituellement violent, et t'avais de l'amitié pour Ace, mais des fois t'avais envie de le réveiller à coup de claques. Si tu ne pouvais pas frapper, tu peux toujours l'embêter. Alors tu te dépêchais de parcourir les quelques mètres qui vous séparaient maintenant, tongs aux pieds, espérant ne pas te casser la gueule sur un gravier un peu trop pointu. « Hey Caliméro ! » Tu l’appelais, passant l'un de tes bras autour du sien une fois que tu arrivais à son niveau, ta main libre venant pincer sa joue - et tant mieux si ça faisait mal, petite vengeance. « Tu te prends pour qui d’me traiter comme ça ? Asshole. T'sais quoi, j’m’en fous qu’tu sois sur les nerfs. Mais t'avais promis qu'on se voit, et c'est maintenant, et il est hors de question que tu repartes. Attention. J’te suivrais jusque dans ta chambre. J'irai dormir dans ton lit. Fait pas l’mâlin avec moi. » Ça c'était de bonnes menaces façon Lion.
@Ace Chung