Shōgun

La vérité, c’est que son esprit vogue déjà ailleurs, mais qu’elle s’accorde le temps de découvrir un peu plus la Sicile. De toutes les façons, elle cultive sa liberté. Se satisfait de n’être à rien, enchainée. Si ce n’est à ses rêves, ses ambitions, et ça, c’est loin de lui donner l’impression d’être en prison. C’est une chance, et elle en a conscience. Surtout lorsqu’elle se trouve en sa compagnie.

D’ailleurs, le temps d’une fraction de seconde, elle arrête de ramasser les câpres, qu’elle cueillait une à une, sans les abîmer, pour observer la brutalité qui transpire de ses gestes. Pressés, durs. Non appliqués. Là depuis seulement quelques minutes mais déjà désireux d’en avoir terminé. « Tu pratiques toujours le Tai-Chi ? » Ca la fait sourire, avec une once de retenue. Parce que oui, elle le pratique encore, et il le sait très bien. Car lui aussi a tout le loisir de voir leurs différences. Le calme et la tempête.

Et plutôt que de lui répondre de manière directe, elle s’amuse, tout en reprenant sa cueillette… D’avance, elle est amusée parce qu’elle a en tête, « Ici, j’appelle plutôt ça … » la taquinerie bordant l’intensité ébène de ses iris, elle achève, « l’art du fare niente. » autrement dit, l’art de ne rien faire, comme se plaisent si bien à le dire les italiens. Mais elle a comme l’impression, que lui, il n’a pas vraiment le temps d’essayer de le pratiquer, perdu dans les tumultes de la compétition.

L’activité n’est pas la plus réjouissante, mais puisqu’elle est effectuée en bonne compagnie, elle le devient, et elle jongle un peu avec un câpre, la faisant rouler dans le creux de ses mains. Et ne relève ses prunelles qu’à l’instant où il s’adresse à elle, l’art du fare niente pour toute la vie… Elle le pourrait, ses parents possèdent l’argent nécessaire. Elle se ferait oublier, d’eux, de lui, de la vie aussi. Perdue dans les eaux siciliennes où rien ne viendrait la perturber. Mais ce serait la facilité, ses ambitions remisées. Ce serait aussi laissé la gagne à celui qui l’a tant abîmée. Refuser de e battre, abandonner.

Sur son bateau, à consommer des câpres, elle en sourit faiblement en battant des cils. « Tu ne trouves pas que ce serait pas mal ? » comme quotidien ; libre à tracer son propre chemin. Ils en ont parlé, plusieurs fois, l’ont aussi envisagé en silence durant leurs plus jeunes années… « Mais peut-être que tu préfères un destin plus glorieux, finalement. » Après avoir vécu des aventures, parcouru le monde, exploré des contrées reculées. Il serait plausible que Sheng soit décidé à suivre le chemin qu’on a, pour lui, pris le soin de tracer.