bonds of inquiry ( cassiam #1 )

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« Mademoiselle Vanderwall, » répond-t-il, beaucoup plus formel que la jeune femme qui vient, finalement, de parvenir à faire son apparition dans le bureau polyvalent qu’il s’est accaparé pour l’occasion. Son veston orne le dossier d’une des trois chaises, et William a retroussé les manches de sa chemise.

Il l’observe alors qu’elle s’approprie l’espace, avec confiance et sans une once d’hésitation. Son attitude lui arrache un demi sourire. La directrice de thèse de l’étudiante en droite n’avait pas tari d’éloges à son égard, et cette première impression semblait lui donner raison.

« Merci de m’avoir accordé une place dans ton agenda bien occupé. Comme tu l’as sans doute compris par le nombre de documents que tu as dû signé à ton arrivée, tout ceci doit demeurer absolument confidentiel… »

Il se rapprocha à son tour de la table, allant pointer un dossier contenant une quantité quasi encyclopédique de données financières du doigt.

« Exact. Enfin, fraude artistique… Je ne crois pas qu’il soit pertinent que je partage mon évaluation des œuvres mises de l’avant par la gallerie, mais nos hypothèses suggèrent en effet qu’elle sert à faire transiger certains montants d’une poche à une autre, sans que trop de questions ne soient posées. Nous n’avons pas encore tout à fait terminé de tout retracer, ni en amont, ni en aval…  »

Mais ça, c’était son boulot, son plaisir et son don. Agencer les chiffres et remonter les comptes bancaires. Et pour être complètement honnête, il croyait détenir une esquisse assez solide des procédés frauduleux utilisés, et de qui en bénéficiait.

Pourquoi avoir fait cette entorse aux procédures et avoir inclus cette jeune dame dans l’enquête ? Parce qu’il devait une faveur à la professeure qui accompagnait Cassie à travers sa formation à Harvard. Elle croyait que le parcours et la vision de sa protégée, qui réfléchissait sur le système pénal entourant les crimes non-violents, pourrait grandement être bonifiés par une expérience concrète. Et comme William, qui venait occasionnellement donnait diverses conférences à Harvard, se spécialisait justement dans les histoires de fraudes fiscales et de corruption…

« Ce dont je suis certain par contre, c’est qu’il s’agit d’une assez grosse histoire. Et c’est pourquoi j’ai demandé votre aide. Je ne suis pas certain d’un meilleur angle d’attaque, niveau légal, pour maximiser nos chances devant les tribunaux. Et quand j’ai demandé le plus brillant d’esprit d’Harvard, c’est à vous que l’on m’a référé….»

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Ah, ces universitaires. Ou plutôt, ces harvardiens, pensait-il alors qu’un sourire prenait naissance sur son visage pendant qu’il regardait Cassie s’emparer d’un de trente porte documents qui constituait grossièrement le cas en question. Quelle fougue, quel enthousiasme et quelle confiance en ses moyens, de s’imaginer spontanément que l’étudiante en droit se trouverait en mesure de trouver LE détail qui avait échappé à une équipe chevronnée d’enquêteurs du FBI.

Il se contenta cependant de répondre, avec tout le sérieux dont il disposait :

« Ça me semble un excellent plan. Tout ça avant vos vacances, en plus. Vous ne vous chercheriez pas un job à temps plein, par hasard ? »

Il vint prendre place sur une chaise face à elle, un en biais. Inclinant sa chaise vers l’arrière, il tourna nonchalamment de gauche à droite en prenant une gorgée de café, dans une tasse noire sur laquelle on pouvait lire ‘World Greatest Boss’.

Il n’avait aucun employé à proprement parlé.

« Laissez-moi peut-être vous faire un court résumé. Il y a, tout d’abord, le premier groupe. Appelons-les les Peintres. Il s’agit d’un groupe d’une vingtaine d’artistes de l’Arkansas, du Missouri et, forcément, du Massachussetts, principalement. Ils peignent et exposent leurs œuvres à travers le pays, et font ce que tous les artistes font, je présume. Ils sont tous représentés par le même agent. Et ils ont tous un contrat d’exclusivité avec la même maison d’enchère, elle basée à Londres.  »

Il prend une courte pause, avant de poursuivre.

« Ces Londoniens se spécialisent, selon leur site web, »

Il se permet de prendre un dossier, de farfouiller dans deux ou trois pages avant de trouver l’information qu’il cherchait.

« ‘dans la rencontre des cultures aux affinités épistolaires.’ Peu importe ce que ça veut dire. »

Il redépose le dossier sur la table.

« L’information a été et est encore difficile à trouver, mais la majorité de leurs ventes proviennent d’exposition en Iran, à Hong Kong, à St-Petersbourg et en Virginie. On pense qu’un de leur employé s’est bourré de Vienna. Mais je crois qu’ils doivent se considérer tellement brillant de se foutre ainsi de notre gueule. Mais c’est une autre histoire. »

Il prend un second dossier.

« Ces pauvres Londoniens, par contre, sont eux aussi victime de la montée des prix fonciers, et paient une fortune à plusieurs corporations – appelons-les les Concierges- pour la location de ses entrepôts et des quelques locaux où ils exposent. Tellement qu’au bout de la ligne, la majorité de leur marge de profit y passe. Ce qui est fascinant, par contre, c’est que le prix de leur contrat de locations s’harmonise à merveille avec le prix de leurs profits : 87,4%. Depuis douze ans. »

Ça, ça avait été son coup de maître à lui.

Il se passa les doigts sur les tempes.

« Ce qui m’embête un peu, à ce stade, et vous en conviendrez surement, c’est que j’ai affaire à trois créatures complètement différentes. Et à trois combats judiciaires tout aussi unique. Et c’est un peu là où je sèche. Qui devrais-je coincer ? Les Peintres, les Londoniens, ou les Concierges ? »

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William se retira imperceptiblement de quelques centimètres, observant Cassie alors qu’elle se faisait aspirer, lentement mais sûrement, par cette même force gravitationnelle qu’il ressentait lui-même et qui constituai la raison pour laquelle il se levait chaque matin. Il parvenait presque à percevoir les rouages de son esprit alors que les capacités de déduction de l’étudiante s’activaient. Il y avait quelque chose de profondément stimulant à la voir disséquer avec précision ce que plusieurs personnes s’étaient efforcés de dissimuler, manifestement guidée par un puissant instant.

Il avait définitivement beaucoup à gagner à la garder sous les yeux.

Il l’observa un petit moment tandis qu’il intégrait et considérait les implications des hypothèses qu’elle venait de mettre de l’avant.  

Finalement, il ouvrit la bouche.

« Ok. Admettons qu’on ait un angle pour creuser cette théorie, et qu’il y ait effectivement quelqu’un qui nous échappe dans le portrait. Est-ce que ça enlève la responsabilité des autres ? Est-ce qu’on devrait les laisser tomber, si ça nous permet d’attraper le chef d’orchestre ?  »

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William écoutait avec la plus grande attention tandis que Cassie exposait magistralement son opinion sur l’interrelation entre les intervenants du cas. Aussi ingénue et convaincant qu’il était en droit de s’attendre d’une étudiante graduée d’Harvard. Sa métaphore musicale lui arracha même un hochement de tête approbatif.

« Wow. Rappèle-moi, quand planifies-tu devenir la prochaine procureure générale de Boston ? J’ai déjà hâte d’attraper des vilains pour toi. »

Il poussa cependant un long soupir, tandis que son sourire s’éteignait tranquillement.

« D’ici là, cependant, il y a deux scénarios que j’anticipe… Dans le premier, on fait ce que tu dis. On choppe tout le monde, avec des preuves en titane. Le système de justice s’attaque à chacun d’entre eux en simultanée. Les procédures trainent et s’embrouillent, notamment dû au caractère international de l’affaire. Certains on des potes dans différents ministères étranges. Un peu tout le monde veut avoir le crédit de l’affaire. Les législatures se pilent un peu sur les pieds. Les procédures s’enlisent. La durée fait en sorte que des failles et des vices de procédures commencent à s’accumuler, ici et là. La poursuite s’essouffle. Les avocats ont d’autres cas à traiter. Et finalement, tout le monde s’en fout. Ce n’est qu’un peu d’argent frauduleux, au final. Pas une fusillade à Downtown Crossing… »

Il avait appris ce scénario à la dure lors de ses premières années au Bureau. Et comme bien d’autres avant lui, ça avait fini par éroder ses plus grandes convictions…

« Deuxième scénario – on change les rôles. »

Il se déplaça légèrement dans la pièce, se taisant l’espace d’une gorgée de café tiède.

« Au lieu que ce soit l’état contre les vilains, on brasse les cartes, et on les mets les opposition les uns contre les autres. On les menace, et on leur promet une peine réduite, voir un pardon, s’ils balancent les autres. On en choisit un ou deux contre lesquels on concentre nos efforts. Idéalement ceux avec le moins d’appui, et ceux qu’on trouve les plus abjects. Avec un dossier plus simple, plus de preuves, on augmente nos chances d’effectivement coincé quelqu’un. »

95% de ses succès professionnels reposaient sur cette approche, et dans le fait de réussir à convaincre ces réseaux, ces ‘symphonies’, comme elle les appelait très justement, à balancer quelqu’un d’aussi influent que possible dans le dit réseau. C’était un compromis absolument injustifiable, mais le seul qui permettait un certain niveau de résultats dans le contexte actuel.

Il était curieux de voir comment le reflet de cette réalité résonnerait auprès de la brillante étudiante.

Et si son éclat parviendrait à rallumer une partie de la flamme qui l’habitait lui jadis…

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C’était inspirant, de se faire confronter ainsi. Les deux dernières recrues que William avait encadré dans les dernières années, malgré leur intelligence et leur flair indéniable, ne s’était jamais vraiment demandé si c’était ainsi que les choses devaient vraiment se passer. Et là, en l’espace de cinq minutes, Cassie mettait exactement le doigts sur les plus grands paradoxes du système de justice américain.

Depuis le début de sa carrière, il s’était toujours dit qu’aucune formation ne l’avait réellement préparé à devenir un agent. On lui apprenait les technicalités, les détails, les façons de faire. Mais jamais l’essence même. Et ça, ça se trouvait dans l’âme des gens, peu importe les horizons. Il s’était d’ailleurs toujours promis, dès lors qu’il parviendrait à occuper la plus infime position d’autorité, qu’il s’empresserait de s’entourer des gens qui possédait ce qu’il fallait. Peu importe leur âge. Peu importe leur formation. Et que c’est de cette façon que son unité deviendrait la plus performante que son pays ait connue.

Était-ce le moment de commencer ?

Il marqua une pause à la suite des propos de Cassie, prenant quelques instants pour réfléchir au scénario qu’il entrevoyait. Finalement, il prit sa décision.

« On ne finit jamais réellement d’apprendre. Et parfois, les meilleures leçons nous viennent alors qu’on les attend le moins… »

Que pourrait-il apprendre, lui, de cette jeune femme aux prunelles étincelantes qui cherchaient la lumière au-delà de l’horizon ? À travers son regard, parviendrait-il à retrouver le William d’antan ? L’idée le terrifia momentanément alors qu’il se demanda ce que sa réflexion verrait en le regardant, lui ?

« Je ne t’ai pas fait venir ici pour t’enseigner quoi que ce soit. J’ai lu ton dossier. J’ai lu tout ce que tu as pu écrire. J’ai partagé une pinte avec certains de tes potes. »

Il se rappelait encore comment il s’était fait recruter, à l’époque. Et comment ce moment, cette conversation d’à peine dix minutes, avait profondément façonné l’homme qu’il était devenu.

« C’est plutôt toi qui va m’apprendre. Je vais t’engager comme consultante sur le cas. Tu gagneras plus cher que moi. Et tu auras, comme principale responsabilité, de m’empêcher de tourner les coins ronds. De prendre le chemin facile. »

Il afficha un petit sourire en coin, se permettait une petite pique pour lui rappelait les quelques endroits où elle s’était permise des sous-entendus sur son intégrité.

« De ne pas faire des concessions permanentes, ni de jeux de pouvoir. »

Après une courte pause, il poursuivit.

« En contrepartie, je ne te demanderai qu’une seule et unique chose : de ne jamais abandonner. Tant que nous ne les aurons pas tous proprement coincés. »

Il tendit la main droite.

« Je ne t’apprendrai pas les règles du jeu, Cassie. Je t’aiderai à écrire les tiennes. Qu’est-ce que tu en dis, partner ? »