SUPERNOVA | PARKELL

Après avoir refermé derrière le livreur – et réceptionné le colis en main propre – elle dépose sur le bar de sa cuisine l’énorme carton qu’elle peinait à porter. Agacée, elle arrache l’enveloppe collée sur ce dernier, l’ouvre et commence à détailler du regard la facture. En réalité, une seule chose l’intéresse vraiment, la vérification de l’adresse de livraison… Enola Parker, 35A, Garden St, Beacon Hill, Boston MA. Effectivement, c’est bien celle de son appartement. Alors elle en rigole nerveusement, du plat de la main, elle plaque le papier contre le plan de travail, agacée ; Cette caisse remplie de bouteilles de vin rouge c’est au café qu’elle aurait dû être livrée.

Sa faute, évidemment. C’est elle qui s’est trompée d’adresse et c’est de son fait si ce soir sa serveuse n’aura probablement pas assez de bouteilles pour assurer le service en entier. Tête en l’air, elle secoue le visage et abandonne pour aujourd’hui. De toutes les façons, elle ne compte pas traverser la ville maintenant, alors elle préfère mettre de côté son agacement… Le problème c’est que dans la foulée, son téléphone portable se met à vibrer. Un sourire s’esquisse sur ses lèvres à la lecture du prénom, Andrew, et à l’idée qu’il doit la rejoindre ici une fois son poste fini.


La notification, elle ne l’ouvre même pas, préfère rouler des yeux et tenter de ne pas se dire « Encore » parce qu’elle respecte son travail, sait qu’il est important… Pourtant c’est sur le carton qu’elle passe sa frustration, l’ouvre et en sort l’une des bouteilles afin de la prendre en photo, et l’envoyer derechef à son acolyte préféré, accompagné de quelques mots pour l’inviter.


Croisant les doigts pour qu’il réponde par la positive et que sa soirée soit finalement égayée. C’est toujours le cas, ou presque, lorsque Jared est à ses côtés.

 
Jamais la question ne lui fut posée et pourtant il s’y attendait lorsqu’il dût s’entretenir avec ses nouveaux superviseurs une fois sa nouvelle fonction prise dans les locaux de la WITSEC. Il s’y était naturellement préparé en trouvant des excuses toutes plus fausses les unes que les autres, des raisons bidon pour justifier de sa mutation sans devoir mentionner cette faiblesse qui un jour pourrait être contre lui exploitée. Puis un soir, une fois bien établi, sa nouvelle routine installée, il s’était décidé à lui envoyer une lettre en toute discrétion, une carte postale du pont de Boston paraphée de ses initiales pour lui faire entendre qu’il était dans le coin mais tout en la laissant respirer.

Bien évidemment que son déménagement n’avait jamais été évoqué au travers de leurs textos échangés parce qu’il ne fallait surtout pas qu’elle se fasse de fausses idées, qu’elle ne s’imagine qu’il lui court après. Mammifère solitaire qui se plait à choisir quand il le souhaite ses partenaires, il trouve toujours en elle ce précieux repère lorsque les autres se sont au petit matin effacées, apprécie cette attache au passé bien qu’il ne regarde jamais en arrière, une ancre qui l’empêche lentement de dériver.

Une notification sur son téléphone coupe sa concentration entre deux armes proprement démontées, chaque pièce méticuleusement disposée sur un torchon dans un schéma bien précis. Alors il observe la seule ligne du message s’afficher, le percuteur entre les doigts, et il hésite un instant puisqu’il n’en a pas encore terminé mais replier son chantier lui prendrait beaucoup trop de temps, minutieux qu’il est.
Pourtant, une fois n’est pas coutume, sa paume délaisse la dernière pièce du puzzle meurtrier pour dissimuler sous un second pan de textile ce à quoi se résume ses soirées et se prépare à sortir. Elle n’habite pas très loin, moins qu’il y a quelques années du moins et il se présente donc au seuil de son appartement pour frapper contre la porte de trois coups, une habitude pour ne pas alerter les voisins.

«  »  

Peut-être que ça ne se fait pas, que les biens penseurs diraient qu’inviter son ex-mari lorsque son compagnon actuel travaille toute la nuit est totalement déplacé. Celui qui pourrait d’ailleurs le plus rechigné serait Andrew, évidemment, il le fait, c’est vrai, de temps en temps. Et elle lui souffle mécaniquement qu’il n’est qu’un ami, qu’un souvenir d’une vie qui n’existe plus à présent. N’osant jamais lui dire qu’il compte encore beaucoup, si ce n’est tout autant.

Alors dans l’attente de recevoir une réponse positive de sa part, elle répond à l’appel d’Edgard traînant à ses pieds, son exotic hair noir qui ne semble toujours pas avoir appris à correctement miauler. Elle attrape en provenance du placard désigné, le paquet de croquette et va en déposer dans la gamelle du chat qui n’a pas arrêté de slalomer entre ses pieds durant son entreprise. Et tout en luttant pour ne pas regarder l’écran de son téléphone – ce qui serait parfaitement inutile car elle ne l’a pas entendu vibrer – elle observe l’animal manger comme si cela faisait trois mois qu’il était affamé.

Tentée d’ouvrir la bouteille seule après quelques minutes d’attente dans un silence assourdissant, elle sort un verre à ballons du vaisselier et se laisse surprendre par les coups que l’on donne à la porte d’entrée. Une esquisse de sourire prend d’assaut la finesse de ses lèvres tandis qu’elle s’approche du seuil de son appartement, tourne le verrou afin de lui en laisser l’accès. D’un battement de cil sur sa silhouette, il balaie la lassitude qui imprégnait les traits de la blonde, malicieuse quand elle l’accueille en articulant, « Tu sais qu’il est de coutume de répondre au message avant de se pointer chez les gens ? » Toujours un peu impressionnée par sa carrure, elle va naturellement embrasser sa joue afin de le saluer plus correctement, et l’invite d’un mouvement de sa paume à pénétrer sous son toit, refermant derrière lui, son humeur instinctivement au beau fixe maintenant qu’il est ici.

 
La porte s’ouvre sur les traits de la jeune femme qui l’invite à passer le palier, non sans lui faire remarquer qu’il a omis d’annoncer sa volonté à venir la retrouver. « Tu sais qu’il est de coutume de répondre au message avant de se pointer chez les gens ? » Le baiser qu’elle dépose sur sa joue, alors qu’il se baisse très légèrement vers elle, lui laisse le temps de réfléchir mais il ne se trouve aucune excuse si ce n’est celle qu’il grommelle. « Ton nouvel amant pourrait ne pas apprécier. » Il ne se fait pas d’idée, son remplaçant doit de temps à autre le fouiller car après tout, lui le faisait bien les premiers temps pour s’assurer qu’elle ne lui mentait pas sur les raisons de leur rapprochement. Alors pas de trace écrite de sa visite pour ne pas faire blêmir de jalousie celui dont il aimerait écorcher le prénom juste par vice, bien que depuis, le mastodonte s’était déjà fait une raison après avoir appris leur liaison.

Alors sur l’invitation de sa main, il pénètre à l’intérieur, ne rajoutant rien de plus en dénotant les preuves d’une présence masculine au quotidien entre ses murs. Il suffit d’observer les quelques photographies accrochées sur une carte du globe, toujours le même visage aux cotés de la blonde dans les différents endroits qu’ils ont eu l’opportunité de visiter ensemble, chose qu’ils n’ont jamais pris le temps de faire du temps où eux étaient mariés. Mais le plus délicat reste encore cette paire de chaussons au pied du mur qui attendent bien sagement le retour de leur propriétaire, tout comme elle d’ailleurs. Une absence remarquée quand il se permet de sourire mielleusement puisque c’était ce qu’elle lui reprochait également à lui avant que tout ne vole en éclats. « Tu as besoin de compagnie… Alors je suis là. » Répondant toujours présent, contrairement à l'ancien temps.
 

Ce n’est qu’un reproche minime qui marque surtout la bonne humeur de la blonde, car elle tout comme lui sait que ce n’est pas vraiment justifié. Parce que tout ce qui compte, avec sincérité, c’est qu’il soit là, à ses côtés. Qu’il prenne ses marques dans son appartement et qu’ils passent tous les deux un bon moment. « Ton nouvel amant pourrait ne pas apprécier. » Elle plisse l’arrête de son nez, elle a des envies de le contredire néanmoins elle ne le fait pas, puisque quelque part, il a raison, mais comme elle n’a pas un grand désir de faire passer Andrew pour un gros con, elle laisse couler la discussion. Non pas qu’elle lui ait déjà donné des raisons de douter, irréprochable de fidélité, le concept d’ex-mari est pour lui, quelques fois compliqué.

Alors après un bref rictus, elle s’avance à la suite de Jared, comme à chaque fois, il inspecte les lieux, laisse traîner son regard, ici et là, elle le laisse faire, préfère se diriger vers l’ilot de la cuisine ouverte auquel elle était précédemment accoudée. « Tu as besoin de compagnie… Alors je suis là. » Drôle comme une remarque peut faire basculer quelques années en arrière, lorsqu’elle se plaignait, de ne pas assez le voir, de vivre dans la crainte et l’attente. Elle secoue le visage par la négative, amusée si bien qu’elle émet un petit rire. « Un homme nouveau. » le taquin sur le bord des lèvres quand elle va chercher un second verre pour le poser à proximité du sien et tandis qu’elle cherche son tire-bouchon, « Je me suis plantée dans la livraison. » La tête ailleurs, l’esprit embrumé, « Installe toi, » qu’elle l’invite à prendre place sur l’un de ses tabourets, toujours en quête de son objet, et quand elle pose la main dessus, c’est vers lui qu’elle le tend, « Un samedi soir et t’étais pas occupé ? » Elle peine à l’imaginer dans une vie plus calme et posée.

 Les sens aux aguets sur ce terrain qu’il lui reste à la fois méconnu et familier, il y reconnait quelques décors déjà vu comme à chaque fois. « Un homme nouveau. » Pas tant, il a juste su évoluer et vivre avec son temps, apprendre de ses erreurs sans forcément appliquer des corrections à son style de vie. Il sait qu’elles furent les raisons de leur rupture, les a comprises mieux que n’importe qui et en a endossé la moitié des responsabilités. Un peu plus loin un diplôme est encadré, une relique aujourd’hui qu’elle tient quand même à conserver. Qu’en est-il de tout ce qu’ils ont partagé ? Il n’a jamais posé la question mais à présent il aimerait savoir dans quel placard sont rangées leurs photos de mariage, les petits détails qui prouvent d’un commun passé, juste pour assouvir sa curiosité. « Je me suis plantée dans la livraison. » Il risque un regard vers la pièce maitresse de la cuisine, sur l’ilot central où deux verres ballon viennent d’être sortis pour cette grande occasion. « Installe-toi. » Si aimablement proposé qu’il ne trouve rien à redire sauf d’accepter l’invitation sans pour autant s’assoir mais seulement prendre en main ce qu’elle vient tacitement de lui demander : déboucher la bouteille. « Un samedi soir et t’étais pas occupé ? » Concentré sur ce qu’il tient dans les mains, il ne prend pas le temps d’élever le regard pour lui répondre, marmonnant quand il s’applique à planter l’excroissance de métal dans le morceau de liège ciré. « Presque dans la force de l’âge et moins endurant qu’autrefois », après quelques sprints et des séances de cardio ratées, il a compris qu’il était temps de se calmer et ne se laisse encore que quelques années avant de changer de voie pour un poste plus reposant, avant qu’un toubib ne lui fasse une réflexion que son égo qualifiera de déplacée.  « Je me ménage maintenant, » les jointures crispées lorsque ses phalanges tirent sur l’anse et libèrent les premières effluves fruitées dans un bruit très particulier.

Servie la première selon les bonnes manières, il se saisit ensuite du second ballon pour y déverser la dose égale de liqueur empourprée et reposer la bouteille sans se soucier des inscriptions qui y sont filigranées. « Il suffisait de les ramener, » Si tel était le problème, elle aurait pu lui demander de faire un tour avec son SUV jusqu'au bar de son père et d’y déposer la précieuse cargaison...
 

Dans sa question se cache une fausse innocence, une envie de savoir om il en est, une malsaine curiosité… une jalousie mal placée. Est-ce que lui aussi l’a remplacé ? Est-ce qu’une autre mérite ses attentions plu d’une soirée ? Plus qu’une nuit lascive partagée ? C’est à ça que si elle ne se voilait pas la face elle verrait combien leur relation amicale qui paraît si parfaite n’est pas la vérité. « Presque dans la force de l’âge et moins endurant qu’autrefois » Une œillade maligne lui est lancée, signifiant qu’elle a du mal à le croire parce que c’est trop bien qu’elle le connait.

Elle l’observe ouvrir cette bouteille, agir avec naturel… Peut-être que c’est ce à quoi ressembleraient tous leurs samedis alors, s’ils étaient restés ensemble. Mais elle ne peut nier l’évidence, s’ils sont là, tous les deux, maintenant, ce n’est que parce qu’il s’est terminé, leur mariage. S’ils n’avaient pas divorcé, elle ne serait pas à Boston, elle n’aurait pas abandonné le journalisme, elle n’aurait pas repris le café… Et il ne serait certainement pas comme maintenant à ses côtés. « Je me ménage maintenant, » Elle hausse les sourcils pour l’approuver. Elle aime l’idée qu’il se ménage, comme il le dit, et qu’il prenne un peu plus soin de lui.

L’un après l’autre, son ex-mari sert les verres, sous son regard faussement expert, et elle se renfrogne un tantinet lorsqu’il prononce une solution à son problème de carton. « Il suffisait de les ramener, » elle n’apprécie pas la teneur de ses dires, surtout qu’elle ne déroge pas à la règle de toutes les femmes, c’est-à-dire trop analyser. Voir des détails où il n’y en a pas. Et comprendre dans ses mots qu’il n’est pas satisfait d’être chez elle ce soir et ce vin, devoir le boire. Alors ses phalanges s’enroulent au pied du verre à ballon pour le goûter en premier, sans prendre la peine de trinquer, inutile de surjouer des formalités. Ce n’est qu’une fois sa gorgée terminer qu’elle suppose ; « Et me priver de ta présence ? » Et passer une autre soirée seule à ruminer ? A se demander si ses choix sont les bons ou les mauvais. Mais avant qu’il ne réponde quoi que ce soit, c’est Edgard qui saute sur l'îlot de cuisine, face à son acheteur, un animal offert dans l'espoir d'amoindrir la solitude des heures durant lesquelles elle l'attendait, si bien qu’elle commente, « Tu lui manquais. » l’honnêteté et ses personnels sentiments teintée de rancœur.

Le vin est servi mais c’est un art qu’il ne pratique que lorsqu’il est avec elle, en sa seule compagnie. Alors forcément le mouvement reste imprécis, surtout lorsque de sa poigne il redresse la bouteille, une goutte ruisselant du goulot et s’écrasant en chemin contre le bord de l’étiquette. C’est un petit détail passé inaperçu parce qu’il a souhaité cacher l’impair en la retournant de son côté avant de la poser tandis qu’elle s’enivre des arômes la première avant de le flatter. « Et me priver de ta présence ? » C’est son égo qui est indirectement bichonné même si le ton s’est fait un peu ironique parce que malgré leurs dernières années d’incompréhension il parvient encore à la décoder, un fin sourire fugace traversant ses traits. Mais il disparait subitement à la faveur de cette boule de poils qu’il reconnait, venue s’interposer entre eux en jouant à un jeu dangereux entre les verres. Il s’assoit et de ses pupilles ambrées observent les deux protagonistes de la scène sans broncher. « Tu lui manquais. » Son chat à elle, chat de race à haut pédigrée offert durant les derniers mois en espérant qu’il puisse un peu le remplacer durant les longues soirées d’hivers. « Sale bête. » Rien qu’à ce surnom, la créature a ouvert tendrement les yeux vers lui, langoureusement, comme si sa présence lui importait un peu. Mais l’homme sait qu’au fond cet animal n’est intéressé que par cupidité, à la recherche de la moindre caresse surtout lorsqu’elle vient de la part de sa maitresse. Agrippant le verre de ses phalanges épaisses il apporte alors ce dernier à ses lèvres pour ajouter avant de le gouter, d’une amertume à peine dissimulée, « chanceux. » Un hybride qui ne se rend pas compte de sa fortune: Nourrit, logé et dorloté, voilà un destin des plus plaisants surtout lorsque son propriétaire sur le papier lorgne sur son ex, de nouveau le sourire léger. « Je ne t'ai toujours pas donné ses papiers... » C'est un fait: depuis tout ce temps elle l’héberge mais c'est bien lui qui détient encore les documents de son petit protégé.

 

S’il lui manque à elle, ce n’est qu’un peu tous les jours, certains jours… Ca vient par vague, au détour d’une rue qui porterait le nom d’une déjà empruntée à ses côtés, à l’entente d’une musique, devant un film, une émission télé. Ô ce n’est pas un sentiment qui la dérange, bien au contraire, la vérité, elle la connait, elle n’a aucun mal à l’assumer, malgré leur divorce, il fait partie d’elle. Peut-être moins qu’avant, mais Jared est partout, ici et là. « Sale bête. » Derrière son verre, la blonde arque ses lèvres en un sourire. Si Jared est brut en apparence, elle est bien placée pour savoir qu’il sait aussi être tendre, alors l’expression maligne, elle se délecte d’une gorgée, apprécie le vin qu’elle avait choisi si bien qu’il le fait lui aussi. « chanceux. » elle ne peut que l’approuver, puisque c’est elle qui passe son temps à le cajoler.

Son attention donnée au chat, elle ne remarque pas le regard qu’il porte sur elle, se contente de boire à nouveau et l’écoute prononcer quelques autres mots, « Je ne t'ai toujours pas donné ses papiers... » Elle en arque les sourcils et cette fois, c’est dans les yeux de son ex-conjoint qu’elle plante les siens. C’est vrai, sur papier, Edgard n’est pas à elle, une pensée qui la laisse dubitative le temps d’une seconde de réflexion. En fait, elle ignore comment appréhender cette information. Elle l’avait un tantinet oublié, à la faveur d’un besoin – possible – de se sentir, à lui, toujours liée.

Et parce qu’elle ne sait pas quoi en dire, qu’elle aime malgré tout l’idée, elle s’entend articuler, « Heureusement qu'on a pas eu d'enfant. » La garde aurait été probablement plus compliquée, et elle aurait dû lui courir après au moindre besoin, au moindre papier... Cela dit, elle-même n’y croit pas, au fait que ce soit heureux qu’ils n’en aient pas, parce qu’une fois encore, elle possède la vérité, ses envies de maternité se sont évanouies le jour où elle a signé les papiers visant à vous séparer.