Lazarus.
Il est actuellement 23h54, et je continue inlassablement de me demander pourquoi mes géniteurs m'ont appelé de la sorte. Ce n'est pas que je ne l’apprécie pas, au contraire. Non. Sortez vous tout de suite cette idée de la tête. Je n'étais qu'un simple gamin curieux quand cette question m'est venue en tête pour la première fois. Et je le suis toujours, en fin de compte.
Alors pourquoi ne pas profiter de ce doux moment d'égarement pour refaire le bilan de ma vie.
Pourquoi pas.Un soir d'été 1972. L'air chaud d'Ecosse n'était pas si impressionnant que ce que les météorologues avaient annoncé dans le sud de l'Angleterre. Du moins, c'est ce que mes très chers géniteurs m'ont confessé. Et puis, ne nous faisons pas d'illusion : L'Ecosse est un pays aux températures horriblement variables et où la pluie aime s'y faire inviter le trois quart du temps. Il ne pleuvait pas ce jour là. Le zephyr caressait brusquement la fenêtre de l’hôpital avant que je n'apparaisse enfin. Moi, Lazarus : Futur McCarty, futur écossais de pur souche.
Un dur de dur. J'aurais pu être roux. Comme j'aurais pu avoir de petits yeux verts. Au lieu de ça, je m'étais contenté d'un profond accent écossais et d'une constellation de taches de rousseurs autour du visage ; cela allait même jusqu'aux bras. Pour l'accent, je n'avais rien à redire la-dessus : toute la population écossaise l’appréciait, notamment pour les imitations que j'étais capable de produire. Un vrai fils d'acteurs, comme ils disaient.
Et un ticket gratuit pour le succès éphémère d'un jeune homme.Mon père, Gowan McCarty, travaillait régulièrement pour plusieurs productions en tant qu'acteur avant de s'endosser définitivement le rôle de producteur, au vu de ses capacités et nombreuses expériences. Ma mère, Moira McCarty, quant à elle, a couru après les castings avant de trouver la perle d'or : Un contrat de deux ans pour jouer la prochaine actrice vedette de la série britannique Doctor Who. Une véritable aubaine pour elle, voire même une consécration. Moi, je n'étais encore que ce petit bout de gosse qui parcourait indéfiniment le jardin afin de jouer au Gendarme et au Voleur en compagnie de mon cousin. Un début d'existence où tout allait pour le mieux. Un petit Lazarus qui courait dans le jardin, ça n'inquiétait jamais personne après tout.
Et ils avaient raison de ne pas s’inquiéter. La suite de ma vie sur terre fut ensuite parsemée de contraste. Passant de la coqueluche du théâtre, à l'élève modèle jusqu'au fauteur de trouble par excellence. Mon professeur de théâtre disait admirer mon tempérament si nuancé. J'ignore encore maintenant si ce n'était que pour me flatter davantage due au statut de mes deux parents. Cela s'est allongé sur une adolescence merveilleusement bien débridée : Les longues soirées de pub, les escapades nocturnes sur les toits d'Edinburgh.. et les premières expériences. Et j'ai tout essayé. Vraiment tout. C'est donc ainsi que j'ai malheureusement découvert que, moi, Lazarus McCarty, étais allergique à la vodka. Sacrée vodka. Le seul souvenir que j'eus en tête lors de cet incident fut cette terrifiante impression de ne plus respirer dans le bon sens. Pour ce qui est du reste : un trou béant. Énorme même. Mais la clinique du coin a eu le loisir de me réveiller tout en douceur. Mes parents, eux, m'ont vite pardonné cet écart de comportement. Ils en ont même ri un bon coup. Une âme innocente allergique à la boisson favorite des russes, c'était bien rare et tellement que ça en était ridicule.
Ridicule. Après cette expérience quasi-traumatisante, j'ai repris mon quotidien de futur lauréat et ai repris mes révisions pour le A-Levels. 17 ans sur le compteur et toujours pas la moindre idée de ce que je comptais faire plus tard. Pour être honnête, même petit j'ignorais réellement ce que je voulais faire de ma vie. Je rêvais simplement qu'un alien vienne me chercher dans sa petite cabine bleu plus grande à l’intérieur. Un rêve idiot, certes. Mais en aucun cas une possibilité. Alors j'ai avancé dans le vide, les yeux à demi-bandés. J'ai obtenu mon diplôme après avoir interprété mon dernier rôle au théâtre du lycée et me suis enfui à Cambridge. Au sud de l'Angleterre. Plus d'Ecosse.
Adieu Ecosse.Pour marquer le coup, j'avais judicieusement choisi un parcours en arts au vu des connaissances que m'avaient inculquées mes deux parents tout au long de ma vie. Dans cette faculté, il y avait bien évidemment du théâtre. Dans cette faculté, les professeurs m’appréciaient énormément. J'avais donc trouvé mon havre de paix. Et la fille qui allait avec. Olivia, s'appelait-elle. Une gentille damoiselle venue d'Irlande et perdue dans les méandres de la vie sociale universitaire. J'étais donc en droit de lui proposer mon aide. D'une certaine façon. Et cela avait porté ses fruits - j'en suis encore fier pour tout dire -. Nos relations au départ très amicales sont ainsi devenues plus sentimentales. Et davantage.
Et davantage. Elle fut d'ailleurs la première personne qui me poussa à me pencher plus sérieusement sur l'histoire du théâtre occidental. Une victoire de plus pour Olivia : elle m'avait permis de savoir ce que je souhaitais réellement faire. Trois ans d'études clôturées pour démarrer une nouvelle formation spécialisée dans l'histoire du théâtre et un an de fiançailles avec Olivia. Un coup de tête. Un vrai de vrai. Mais, que voulez-vous, je ne pouvais pas résister à cette longue chevelure brune et à ce caractère aussi doux que le pelage d'un ours en peluche. Olivia était ce genre de personne qu'il ne fallait pas laisser filer entre les doigts. Mais, ça, je ne l'avais su que bien trop tard.
Bien trop tard. « Olivia, est-ce que tu vas bien pouvoir me dire ce qu’il se trame dans votre famille ?! » « J’aimerais pouvoir te le dire, mais moi-même je ne comprends que la moitié des choses. Tout ce que je sais c’est que ma sœur est une idiote, et heureusement qu’elle ne l’est pas à temps-plein ! »« Et qu’est-ce qu’on doit faire alors maintenant ? »« Se comporter comme des gens civilisés. Je sais qu’on s’était mis d’accord pour ne pas aller trop vite après le mariage, mais prenons ça comme un signe envoyé par un quelconque dieu »« Je suis pas religieux »« Moi non plus Laz’ »Toute cette histoire absurde avait commencé du côté de la famille d’Olivia, dont la sœur avait visiblement de sérieux problèmes de responsabilité et estimait qu’il était impossible pour elle d’élever un nouvel enfant. Le bambin en question s’appelait Taram et avait tout simplement été abandonné par sa chère et tendre mère. Suite à cet événement que je ne comprenais pas tout à fait, Olivia décida que Taram devrait vivre dans un milieu adéquate et en prit immédiatement la responsabilité. C’est dans ces conditions fortes étranges que nous eûmes notre premier enfant. Cependant, il fallait trouver une excuse valable pour éviter que mes parents voient la famille d’Olivia d’un très mauvais œil. Je leur ai fait savoir qu’il s’agissait d’un enfant adopté par moi et Olivia puisque cette dernière ne pouvait pas en avoir. Un gros mensonge sur la fertilité de ma femme. Mais un gros mensonge qui fonctionna.
Et pas si éternel que ça. Je me souviens parfaitement de cette soirée. Je rentrais d'une rude soirée à la London Dramatic School où j'apportais mon savoir de metteur en scène. Quatre ans s'était déjà écoulés depuis. Cela faisait donc 7 ans que j'étais avec Olivia et marié depuis un bon bout de temps. Néanmoins, des tensions subsistaient entre elle et moi car elle refusait, depuis quelques semaines, de me dire ce qui la tracassait. Elle demeurait ainsi silencieuse durant des heures et des heures. Lorsque je regagnai le loft que l'on partageait ensemble, je compris que cela fut bien plus sérieux que je ne le pensais.
Elle avait laissé un mot. Pas de lettre. Un simple mot. Son parfum se promenait encore autour de la pièce, signe que son probable départ était tout récent.
"Nos chemins se séparent ici McCarty.
Tu sais tout comme moi que ce mariage ne rimait à rien.
Désolée.
Ps : Taram dort chez un ami de la chorale, ne t'en fais pas pour lui."
Un coup de tête. En voilà les conséquences sur le long terme.
Je n'ai pas pleuré. Non. J'étais plongé dans un drôle de mélange entre consternation et incompréhension. Mes pensées se retrouvaient puis se perdaient et cela m’agaçait énormément. Elle avait pensé à tout. Jusqu'aux papiers du divorce. Je n'arrivais pas y croire. Et le plus tragique dans cette histoire est que j'ignorais encore pourquoi elle avait agit ainsi. Et maintenant encore, c'est toujours la même mélodie qui tourne dans ma tête.
Taram, quant à lui, se sentait prêt à retourner chez sa mère biologique. Ne voulant pas le voir partir après toutes ces années, je lui fis passer mon numéro de portable au cas où le jeune homme aurait envie de parler. Il s'envola pour l'Irlande quelques heures après notre dernier échange.
Je retournais donc à ma nouvelle vie de célibataire.
De divorcé célibataire. Mon coeur avait certes été piétiné sans vergogne contre le bitume, j'avais un métier de professeur à assurer. Olivia pouvait aller se faire voir de toute manière. Mensonge. Le loft paraissait si vide à présent mais je n'avais pas dit mon dernier mot. Je m'appelais Lazarus Clyde McCarty, j’avais à présent 27 ans et je me devais de poursuivre le reste de mon existence comme un véritable écossais. Un vrai de vrai. Ainsi donc, lorsque je reçus une lettre de la plus prestigieuse université des Etats-Unis, destinée uniquement à moi, j'ai vite saisi l'occasion afin d'avoir une excuse valable pour changer d'air. Les Etats-Unis? Pourquoi pas? J'avais déjà quitté l'Ecosse, alors pourquoi ne pas faire de même avec tout le continent.
Adieu Angleterre. Et me voilà à présent. A écrire comme un dépravé nostalgique sur ce journal froissé par les nombreux coups de crayon. Mais passons. Cela fait quatorze grandes années que je suis installé à Harvard en tant que professeur d'histoire et pratique du théâtre. Toujours le même célibataire, avec un passé à moitié oublié. A moitié froissé. Comme les pages de ce journal. Tenant ce dernier depuis bientôt 30 ans, je peux enfin dire que le temps nous dépérit cruellement. Moi en tout premier. Mais cette nouvelle vie dans le pays de notre Oncle Sam me plait tout particulièrement, et ce n'est pas pour mon côté Casanova. Non. Havard est peuplé d'élèves respectables et bienveillants. Aucun d'eux n'a vraiment peur de venir me parler et certains aiment écouter mon accent provenant du fin fond de l'Ecosse. Et, même, quelques rares étudiants ou collègues de travail me demandent si je suis bien le fils de "ces deux acteurs anglais". Cela me fait penser que les américains de cette faculté n'ont aucune barrière culturelle et c'est plutôt avantageux pour être honnête. Mais, au fond, l'écosse me manque terriblement et j'y passe allègrement pendant mes semaines de congés pour combler cette stupide nostalgie.
Harvard, que vas-tu faire de moi?