Rui ✧ truth is bullshit

Visite en compagnie du chef de chirurgie, et j'écoute et je pose les yeux sur absolument tout ce qui se trouve à portée. On croirait une vraie gosse un matin de Noël. Le bloc opératoire, le service, le staff... tout me paraît magnifique, enfin à portée. Le discours consistant à nous faire comprendre que l'année à venir serait probablement la meilleure et la pire de notre vie fait aussitôt naître en moi des frissons on ne peut plus agréables. Mon sourire est aussi sincère que sublime jusqu'à ce que le staff de titulaires nous soit présenté, et que les groupes d'internes soient dispatchés. Lorsque je me retrouve face à lui, cet homme avec qui il aurait pu se passer quelque chose avant qu'il ne prenne la poudre d'escampette en me laissant comme une merde dans cette chambre d'hôtel. Je me souviens de tous les détails y compris de cet hideux tableau comportant des fleurs. Je crois que, depuis lors, je déteste tout ce qui a attrait aux fleurs. Mon sourire a disparu alors que l'on me le présente, le titulaire qui va s'occuper de moi, enfin de mon groupe pendant toute une année. Je vais pas dire que je suis honorée ce serait mentir et je ne suis pas une menteuse. Ni quelqu'un qui se casse sans un mot. Les autres internes sont un peu éloignés et j'ai murmuré ces mots afin que personne d'autre que lui ne les entendent. Le respect pour le médecin titulaire en face de moi demeure quoi que je puisse en dire.

Je suis face à une sorte de glaçon ambulant, car aucune autre image ne me vient en tête. Psychorigide jusqu'aux bouts des ongles, à noter les internes et à se faire une joie de les descendre en flamme. La preuve, les autres internes ne sont pas encore présents à nos côtés, il n'y a que nous deux puisque le chef de chirurgie finit son laïus sur certains internes concernés, tandis que moi, de mon côté, je suis consternée. Mais avant de lui balancer quoi que ce soit dans les gencives, je lève passivement la main, histoire qu'il n'aille surtout pas dire que je ne suis qu'une blonde sans cervelle incapable de suivre les règles. C'est pas pour dire, vos règles sont hyper intéressantes, mais encore faudrait-il ne pas les donner qu'à un interne mais à tout le groupe, non ? Aucun sentiment ni moquerie dans le fond de ma voix, je suis assurée sur mes jambes, je le regarde droit dans les yeux afin qu'il comprenne que s'il voulait jouer au chefaillon pour se sentir exister très bien : il n'obtiendrait rien de moi, et surtout pas une opportunité de me saquer. Mais puisque je suis solo et que jusqu'à preuve du contraire, s'il faut vous demander quand parler, faut pas vous demander quand penser... Je ne m'approche même pas pour lui parler. Il ne veut pas avoir le cran de me parler de ce qui ne s'est pas passé ? Très bien, alors on sera deux. Je suis une interne, le bas de la chaîne alimentaire, blablabla. Pas la peine de répéter vos règles elles sont déjà encrée dans mon hippocampe. Je ne vous donnerais pas une occasion de me saquer alors que celui qui a pas de couilles des deux, c'est pas moi. Ce n'est qu'à ce moment-là que je recule de plusieurs pas, me gardant à l'écart pour qu'il ait l'opportunité de répéter son petit laïus aux autres internes qui nous ont rejoint. De mon côté je regarde ailleurs. Les gens qui se répètent, ça ne m'intéresse pas puisqu'on ne cause pas médecine, là... on cause guerre d'égo.

On met de côté le fait qu'ils viennent d'arriver... que je murmure plus pour moi-même qu'autre chose alors que le toubib reprend son laïus pour dire moi dieu toi petite merde sans importance, toi faire de la merde moi te réduire en cendres. C'est bon, je crois que le monde entier a compris que nous ne sommes pas de la même trempe, nous pauvres internes bons à faire des conneries. Peut-être est-ce son expérience qui parle, peut-être a-t-il échoué un jour dans son enseignement ou bien a-t-il été élevé avec des règles hyper strictes... je cherche à lui donner des circonstances atténuantes, à ne pas juste le considérer comme un autre chirurgien qui se prend pour Dieu lui-même et dont l'égo dépasse la taille de Washington. Mes lèvres demeurent scellées jusqu'à ce qu'il ne me prenne à part, direction son bureau. J'ôte mon bras du sien d'un geste vif d'auto défense, réflexe que je peine à contrôler. J'attends cependant que la porte de son bureau soit fermée et qu'il soit le seul à m'entendre pour l'ouvrir à nouveau. Vous voulez pas qu'on cause sans permission, bah touchez pas non plus sans permission que je lui balance en gardant les bras le long de mon corps, non sans le regarder droit dans les yeux. Non je ne suis pas une blonde écervelée qui se la pète. Oui j'ai le contrôle de mes émotions. Le fait d'avoir envie de lui mettre mon genou là où je pense n'a rien à voir là-dedans, étant donné qu'il ne possède pas toutes les vérités sur moi ni moi sur les siennes. Je suis pro. Je ferais abstraction de tout ce que vous m'inspirez et je ne vous donnerai pas une raison de me saquer, j'en fais une affaire personnelle puisque vous notez nos moindres bourdes. S'il m'arrive d'en faire alors faites-vous plaisir et défoulez-vous, puisque vous semblez adorer ça, faire croire des choses aux autres pour mieux les poignarder derrière. Allez-y, sortez-moi votre laïus numéro trente-trois bis sur comment je suis de la chair à canon par rapport à vous, titulaire, à l'égo aussi surdimensionnés que la majeure partie des chirurgiens de la planète. Vous n'êtes ni mieux ni pire. Vous êtes juste... un type avec un scalpel. Mais pas de mal, je prendrais pas votre spé donc vous aurez pas longtemps à me supporter. Et sinon, elle vient l'engueulade où je peux retourner aider des patients en gardant à l'esprit que non je ne ferais aucun acte sans supervision ? Pour info, je le savais déjà.

Une partie de moi a clairement envie de l'envoyer bouler mais je me retiens. La méchanceté gratuite n'a jamais fait partie de mon tempérament et je compte bien ne jamais changer là-dessus, quels que soient les obstacles sur ma route. Je ne compte pas laisser le personnel ailleurs qu'aux vestiaires. Ma remarque était déplacée même si à ce moment-là nous n'étions pas entendus. Je te présente mes excuses que je reprends d'un ton parfaitement sérieux, sans que mes prunelles émeraudes ne quittent son regard. La sincérité passe avant tout par un contact visuel, après tout. Pour me faire perdre les moyens il m'en faut pas mal mais je sais aussi où est ma place. Je suis là pour apprendre. Mon visage, précédemment marqué par du sérieux avant tout, se transforme sous la surprise alors qu'il s'excuse. Clairement je ne m'attendais pas à cela, mais n'ai pas le temps de répondre qu'il est dérangé par une visite. Pas plus le temps de réfléchir, je fais ce pour quoi je suis là : mon corps le suit un peu en mode automatique, mais je n'ose pas interférer étant donné qu'un interne plus âgé est déjà présent dans la chambre. Pourtant je connais la procédure en question, j'aurais pu donner un coup de main... ce sont ces foutues règles qui m'empêche de me mettre en avant là, tout de suite. Rui gère totalement la crise et j'attends patiemment, sans perdre une miette de ses gestes assurés, qu'il ne me remarque à nouveau. Je n'ose rien répliquer à ce qu'il me dit, n'ayant pas envie d'en rajouter une couche. Une nouvelle fois, j'attends. Qu'il aille rassurer la famille puis donner de la paperasserie à l'interne qui est resté bloqué malgré l'urgence de la situation. Je ne m'approche qu'alors que je vois mon titulaire regarder l'enfant à travers la vitre. Je murmure alors, en toute discrétion : Je ne me suis pas permise d'intervenir, l'interne en question était au-dessus de moi. Eh oui, je suis peut-être une écervelée mais je respecte la hiérarchie. Tu vas m'envoyer faire de la paperasse ou tu finis ce que tu as commencé ? À savoir l'explication, évidemment.

Le mot faveur me donnerait presque envie de lui cracher à la tronche, seule chose qu'il mérité après m'avoir salement abandonnée dans cette chambre d'hôtel. Mais comme je sais très bien compartimenter mes émotions - peut-être même encore mieux qu'il ne le pense - je reste muette et droite face à ses propos. Qu'il sache que je sais tenir ma place mais que cette conversation est loin, très loin d'être finie. Il peut être un dieu vivant dans un bloc opératoire, à l'extérieur de l'hosto, il n'en demeure pas moins un sombre connard qui agit comme les autres, voire même pire. Après quoi je reste davantage spectatrice qu'autre chose, fidèle à ses directives premières. Je ne m'exprime qu'une fois le compte-rendu fait aux parents et l'interne écarté, en prenant bien soin qu'il soit seul à entendre ce qu'elle avait à dire. Oh mais loin de moi l'envie de faire penser que j'ai des faveurs de ta part puisque ce n'est pas le cas que je reprends froidement, fidèle à mon contrôle glaçant tel un iceberg. J'ai trop pris de coups dans mon existence pour me laisser impressionner par quelqu'un de plus haut placé dans la hiérarchie. J'attends toujours tes excuses, d'ailleurs. A moins que ce soit un comportement habituel chez toi, de planter une nénette en lingerie comme une conne dans une chambre d'hôtel de luxe qu'en prime j'ai dû payer... d'ailleurs je t'enverrai la facture discrétos, parce que faut pas déconner. Ceci étant dit... La femme que je suis redevient l'interne prête à en découvre, à montrer ce qu'elle a appris et avide d'apprendre. Dans ce cas si je peux outrepasser un autre interne, sûrement faudrait-il le préciser aux autres de mon groupe, car c'est manquant dans nos instructions. Mais puisque vous me demandez mon idée potentielle... à étudier le comportement des parents je mettrais de côté l'environnemental pour une cause génétique. Le père est d'un calme olympien là où la mère est une pile électrique. Un parent qui ne sait pas ce qu'a son enfant est davantage comme la mère, à engueuler le personnel ou à chercher des réponses. Le père est resté en retrait et n'a pas dégoisé un mot pendant votre intervention et vos explications. Après avoir repris le dossier de l'enfant en main, je le parcours à la vitesse de la lumière pour énoncer, d'un air sérieux : et comme par hasard, l'historique familial est très incomplet. Ce qui peut valider mon hypothèse. Plus je regarde le père, et plus j'en suis persuadée.