Kazuo&Hélios ✧ Panic attack

Depuis cette fugue lors de mes dix-sept ans, dont est responsable la somme incalculables de mensonges que l'on m'a offert sur un plateau d'argent, je réagis très mal. A mes yeux, que le mensonge soit par omission ou dans le but de protéger quelqu'un, il s'agit d'un mensonge tout de même, et la donne me fait mal, au point de fermer à double tour toute émotion précédemment présente sur mon visage. Et parce que j'ai certains passages amnésiques, tu t'es dit que ce serait mieux de me cacher la vérité ? Je ne suis pas en sucre Kazuo ! Ces souvenirs m'appartiennent autant qu'à toi, mais tu as choisi de les dissimuler jusqu'à ce que je ne me rende compte de quelque chose ! La colère irradie toutes les fibres de mon être, m'empêchant au passage de ressentir la douleur de la blessure. Je n'ai pas besoin d'être baby-sitter et si je comprends bien, Gauthier était au courant de ce passif ? Malgré la colère, malgré la frustration, je ne repousse pas physiquement le jeune japonais. Je passe une main dans ses cheveux, tâchant de calmer ses larmes. L'idée n'est pas de le blesser à mon tour, alors que de mon côté, je me sens profondément blessé et trahi. Vous ne m'avez pas fait confiance Gauthier et toi... vous avez pris cette décision sans mon avis, à ma place. Est-ce trop demander que ma vie m'appartienne encore ne serait-ce qu'un peu ?!

Je peux être blindé de défauts et parfois intransigeant mais je n'en reste pas moins incapable de demeurer insensible face à quelqu'un qui pleure. Sans doute est-ce la première étape me permettant de me calmer, alors que je sors un mouchoir blanc immaculé sur lequ​el sont brodées mes initiales. Je lui tends d'abord le morceau de tissu pour finalement venir essuyer les larmes de Kazuo, délicatement d'abord, puis de façon plus assurée. Je te crois pour Gauthier. Il connaît mon rapport au mensonge... Mon expression s'adoucit au fil des secondes, m'incitant à expliquer ce que le jeune japonais ne sait pas encore, ce qui doit très probablement l'étonner, quand bien-même m'a-t-il effectivement connu par le passé. On m'a caché toute mon enfance et mon adolescence qui j'étais. Qui était mon père et pourquoi une telle protection s'avérait nécessaire. On m'a menti, manipulé. Ma vie aurait sûrement été toute autre si j'avais su de quoi il retournait et pourtant, plutôt que de me laisser un choix qui, dans le fond, n'appartenait qu'à moi... on me l'a volé. Je sais qu'aux yeux de beaucoup je ne suis qu'un sale gosse de riche qui réagit comme tel et tu penses peut-être comme eux mais... est-ce si complexe que d'imaginer vouloir que ma vie soit à moi ? Une larme s'écoule de mes yeux océans, et alors je comprends l'état d'esprit de Kazuo. Je l'approche pour le serrer contre moi, faisant fi des convenances, des miennes comme des siennes. Je voulais qu'il sente toute ma sincérité et rien d'autre. Ces souvenirs ne m'auraient pas fait du mal mais plutôt du bien au contraire, tu ne crois pas ? Ils m'auraient fait comprendre que finalement... je ne suis pas aussi seul que je le pensais...

Malgré le sang qui s'écoule, malgré la faiblesse physique que je ressens à cause de cela, je fixe mon attention sur Kazuo, qui m'explique désormais quelque chose de personnel. Lui, profondément habitué à justement dissimuler ce genre de choses, se confie comme s'il était proche d'une façon qui m'étonne. A dire vrai, les souvenirs sont encore si flous que je peine à démêler de quelles personnes il parle. Des bribes me reviennent, comme un cerisier en fleurs, une cérémonie où je me trouve en kimono. L'espace d'une seconde, face aux souvenirs du jeune japonais, je ferme les yeux, j'essaie de visualiser. A plusieurs reprises mon neurologue me l'a conseillé, de visualiser une scène, surtout si un tiers me la décrit. L'effet n'est pas aussi concluant que je le voudrais, et pourtant... je me laisse peu à peu envahir par l'émotion, les souvenirs, la sensation de m'être senti chez moi au pays du soleil levant. Je ne visualise pas bien les deux personnes dont tu me parles... mais ça va venir que j'explique à mon interlocuteur en ouvrant à nouveau mes yeux turquoises. J'ai une question... si tu me permets de la poser... Les conflits familiaux me touchent de si près qu'entendre de la bouche d'un homme qui a été enfant un jour qu'il n'a plus sa mère... me serre littéralement le cœur, au point que j'en vienne à le serrer dans mes bras. Je ne suis pas sa mère, ni son père et encore moins un membre de sa famille, je connais les traditions japonaises et sait que les manifestations physiques en public ne sont pas très bien vues... mais nous sommes tous seuls dans cette pièce. Pas de public, pas de voyeurs, juste nous deux et cela me convient très bien. Tu n'as jamais pu chercher ta maman ? Quand... tu as su la vérité. Une partie de moi m'en veux de poser cette question. Et une seconde, prête à l'aider à la retrouver si un tel miracle est possible, souhaite savoir. Je suppose que tu ne me laisseras pas tranquille avec la blessure tant qu'un médecin ne l'aura pas recousue, je me trompe ?

Et moi qui pensait avoir laissé une image déplorable d'un jeune homme maladroit au Japon... je découvre, non sans surprise, que ce n'est pas le cas et cette vérité m'arrache un sourire franc. Les coutumes de ce pays sont à jamais gravées dans mon cœur, au même titre que tout ce que mes yeux ont pu enregistrer à l'époque. Tout ce que cette foutue balle dans la tête, sept ans plus tôt, n'a pas effacé. Mais les souvenirs me reviennent, par vagues, comme n'importe quel amnésique rétrograde temporaire. Viendra un moment où tout me sera restitué, mais ça, seule ma tête le sait. Alors nous feront ce voyage au printemps. Lors de l'éclosion des Sakura, et de toutes les cérémonies autour... puis nous irons à la baie d'Ise pour y chercher une perle en souvenir, ainsi qu'au fleuve Kiso qui le borde, afin que mon être se souvienne des souvenirs que j'y ai. L'émotion fait légèrement trembler mon corps, mais c'est une sensation fabuleuse, totale, indescriptible. La simple évocation de ces lieux, synonymes de partage, de moments notamment avec Gauthier puis Mère... j'en serre la main de Kazuo à cette idée, alors que ce dernier se met sur la pointe des pieds afin d'embrasser ma joue. On va faire en sorte de retirer un pansement sans anesthésie... on soigne ma plaie avec des points mais je ne fais aucun examen, aucune radio, rien. Je veux profiter de ces vacances sans passer des heures aux urgences. Ce ton est certes non négociable, mais je pense que le japonais saura lire entre les lignes, et ne pas prendre ce côté intransigeant pour lui. En tout cas, je l'espère...