The other side
Elle est pudique sa curiosité, elle parvient à la doser, non pas qu’elle l’affirme, mais elle le ressent dans les regards de Jeremy, qu’il n’est pas gêné, qu’il est de plus en plus en confiance. Que son histoire, malgré sa difficulté, il est apte à le lui raconter. « Tu savais pas. » Pour le mot accident, mais même si elle ne savait pas, c’est une erreur qu’elle n’aurait pas dû commettre, une de débutante, piètre journaliste en herbe. « C'est le terme courant, celui auquel tout le monde se réfère facilement. » Elle bat des paupières afin de montrer qu’elle est d’accord, bien que de ses excuses, elle n’en démord, « C'est générique …juste pas toujours vrai. » Le pire, c’est qu’elle le sait, et même s’il tente de la rassurer, de minimiser, elle se sent toujours aussi mal à ce sujet, ne peut se retenir de grimacer avec une once de légèreté.
Et puis elle poursuit, elle questionne, elle se fond dans son rôle, dans le fond, l’affectionne. « On s'y est installé. » A Chicago, s’entend, « On a officiellement changé de noms, notre mère a repris son nom de jeune fille et nous l'a fait adopter. » elle imagine le sentiment de libération allant avec ce changement de nom, la récupération de sa véritable identité, l’envie d’oublier le passé… « On a fait une vie tranquille, autant que peut l'être celle d'une famille monoparentale avec deux gamins de 8 et 12 ans qui peuvent finalement courir partout. » Spontanément, Haiwee sourit à cette idée, elle parvient même à les visualiser, lui et son frère à respirer. « On s'est rebâti; on a formé un noyau solide. Le passé est devenu une simple série de cauchemars et de vieilles peurs. On était heureux. On était bien. …et il est réapparu […] » Elle retient son souffle à l’entendre poursuivre sur sa lancée, à écouter comment le nouveau rêve est redevenu cauchemardesque à souhait. « Et ça l'a conduit à la porte de notre appartement de Chicago […] » elle n’est pas du genre à craquer, au contraire, c’est une éponge Haiwee, les sentiments des autres, elle veut bien le conserver, les prendre sans les altérer, mais ici et maintenant, elle éprouve une innommable colère à l’égard de cet homme qu’elle ne connait pas, « […] Ensuite, c'est… trop flou par moment et trop vif par instant, trop rouge surtout, au milieu des cris et des coups de feux. Le dernier souvenir conscient que j'ai, c'est d'avoir voulu sprinter jusqu'à la porte, après c'est le trou noir. » Le trou noir… Elle essaie de ne pas trop se questionner à ce sujet, elle craint les possibilités. Une perte de mémoire volontaire, de la part de son esprit, pour se protéger de la cruauté de l’instant, de la vie. Ou bien l’autre… Celui qui murmure que c’est le coup de feu qui l’a plongé dans l’obscurité. Jusqu’à ce qu’il se réveille, comme il est en train de le lui signifier, les trois bien amochés… Elle sourit à peine lorsqu’il lui signifie qu’il était insupportable pour l’équipe médicale, mais quand il explique la raison et le pourquoi, elle sourit forcément, parce qu’elle comprend. Elle aurait probablement eu le même comportement. « Jusqu'à ce qu'ils finissent par tous nous mettre dans la même chambre. Que je les vois. Qu'on soit tous là. Tous les trois. » Une réaction normale quand on est perdu dans l’enfer de l’hôpital.
Enfin, il achève son récit, en lui précisant que son géniteur, c’est en prison qu’il a fini. Chose qui soulage Haiwee, comme si à lui, elle était liée depuis des années, comme s’ils entretenaient une véritable amitié. « […] on a réappris à avancer… » Le problème c’est qu’après tout ça, Haiwee ne sait pas comment réagir, ce qu’elle doit prononcer, elle n’est plus certaine de parvenir à garder sa neutralité, n’est même pas sûre, d’ailleurs, d’avoir su la sauvegarder au rythme des questions qu’elle lui a posé. Alors elle tente de réfléchir rapidement, puis choisis d’aller vers le chemin qu’elle connaît le mieux, celui de la sincérité, « Je te remercie de m’avoir confié tout ça, » voilà ce qu’Haiwee sait être, reconnaissante, « je crois que j’ai tout ce qu’il me faut pour écrire un joli papier… » elle se jure intérieurement qu’elle ne se risquera pas à le dénaturer, il sera beau, son portrait, « tu as quelque chose à ajouter ? » Avant que c’est entretien ne soit terminé.
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(Haiwee Wind River)