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TW : Grossesse extra-utérine, opération, interruption médicale de grossesse, deuil
Le cœur au bord des lèvres, l’écume nauséeuse sur la langue ; comment avait-elle pu ainsi ignore son corps ? Elle était biologiste, marine certes, mais elle avait suivi dans sa vie des cours bien plus généraux, n’ignorait pas le fonctionnement e la reproduction sexuée, la division cellulaire, mais également les signes annonciateur d’une grossesse. Il fallait être aveugle pour ainsi ne rien deviner. Le sang foncé qui avait duré moins longtemps dans sa culotte de règle. Les maux de ventre qui avaient été bien plus douloureux qu’habituellement. N’était-elle pas également plus fatiguée ses derniers temps ? Ses seins n’avaient-ils pas une sensation de gonflement qu’elle avait ignoré, mettant une fois de plus le tout sur le compte de menstruations qui en fait n’en était pas vraiment ? Des signaux avaient parsemé ces derniers jours et elle les avait tous ignorés, certaine de sa contraception, n’imaginant même pas que ce cas de figure puisse se présenter. Et elle qui disait mieux comprendre son corps, pouvoir analyser les retards de règles en fonction de son stress… Quelle idiote ! Pourtant, il est vrai, s’en rendre compte plus tôt n’aurait pas changé grand chose, n’aurait pas permis à l’embryon de s’implanter ailleurs. La seule différence, peut-être, aurait été une autre méthode, moins invasive, pour retirer l’être qui avait voulu grandir en elle. Le parasite. Ou pire encore, si on prenait la stricte définition du mot puisque le parasite, lui, ne détruisait pas son hôte. Est-ce qu’une interruption de grossesse médicamenteuse aurait été moins impressionnante, plus facile à accepter ?
Elle n’en savait rien, juste qu’elle s’en voulait, elle s’en voulait terriblement pour toute cette situation, le brouillard dans les yeux, dans la tête, dans toute la pièce. Si bien que, lorsque Jay lui pose cette question sur leur amour, cette remise en cause peut-être de ce qui était en train de se construire entre eux, elle répond à côté de la plaque. Pire encore, elle ne voit même pas le mal créé par ses premiers mots, par ce « pas du tout » qui éteint une étincelle dans les prunelles qui s’abaissent, la fuient. Ce n’est que lorsque ces mots sont répétés « Pas du tout », qu’elle prend conscience de leur ampleur et de sa bêtise, se rattrapant automatiquement. Parce que si beaucoup de chose s’écroule, beaucoup de réalités s’abîment actuellement, son amour lui est intact. Elle tient à lui, elle y tient tellement fort et ne sait même pas comment l’exprimer. Trop de sentiments qui se mélangent en son sein, et ce besoin d’exprimer également à quel point elle se déteste elle-même, de n’avoir rien vu venir, d’avoir un corps cassé, que son moyen de contraception n’ait pas marché. Elle s’en veut et ça, elle n’est pas sûre de pouvoir un jour se le pardonner, même si Jay lui n’a pas l’air fâché contre elle, ni de détester ce corps brisé allongé devant lui. Les circonstances auraient dû être différentes, une autre réalité, un choix possible, surtout.
Mais il a raison, est-ce qu’ainsi ça aurait vraiment été plus facile ?
– Je ne sais pas, avoue-t-elle.
Plus jeune, avant qu’elle ne prenne la pilule, elle se rappelait d’un accident avec Denzel, un préservatif percé et dont ils s’étaient rendu compte trop tard. Elle avait pris la pilule du lendemain, mais forcément la peur et le stress s’étaient liés à ses émotions et ses règles avaient eu du retard. Il avait bien fallu alors passer par un test de grossesse – toute seule, parce que le militaire était parti en mission – et elle se rappelait pertinemment ces trois petites minutes à attendre que les lignes bleues s’alignent sur la fenêtre des résultats. Toute sa vie était passée par flot devant ses yeux brumeux et elle s’était demandé ce qu’elle pourrait bien faire. Elle était étudiante, lui n’était jamais aux États-Unis, tout lui semblait bien trop compliqué. Alors elle s’était dit qu’elle avorterait, sans hésiter, sans regard en arrière, sans doute. Pour aller au bout de ses rêves.
Mais c’était facile de dire ça quand on était encore dans l’incertitude. Lorsqu’une unique marque bleue s’éteint inscrite sur le test, elle avait pu le jeter à la poubelle avec soulagement et oublier toutes ses affaires, ses règles se pointant dans la journée enfin délestées du stress. La décision était probablement différente à prendre en toute connaissance de cause, surtout désormais qu’elle avait 25 ans, une certaine stabilité dans sa vie et un salaire. Ça remettait tout en perspective. Alors non, elle ne savait pas, elle ignorait si ça aurait véritablement été plus facile ou une torture de plus, ce ciel entier qui lui tombait sur la tête, lui cassant le crâne pour s’infiltrer en elle. Et elle ne le saurait jamais, parce que ce choix ne lui avait pas été donné, qu’elle avait appris le matin-même – à peine quelques heures plus tôt qui lui paraissent vibrer à une éternité d’eux – qu’elle était enceinte et que moins d’une heure plus tard on l’emmenait au bloc pour la débarrasser de l’embryon et de sa trompe abîmée. La souffrance, toutes ces souffrances là, n’étaient pas quantifiables ni comparables.
Le besoin de se raccrocher à Jay se fait tangible en elle, si bien qu’elle s’écarte sur le lit pour lui laisser une place et verbaliser cette envie. Qu’il la prenne dans ses bras, exactement comme sur le bateau de ses parents il y a si longtemps, quand dans les nuits il éloignait les cauchemars, la bulle protectrice tissée autour de leur feu corps agités par les vagues autour d’eux. Il y consent immédiatement, se glisse doucement sur les draps blancs pour l’entourer d’une étreinte confortable, ses lèvres se perdant sur son front alors qu’elle prend refuge contre le torse du nageur, s’accrochant à son T-shirt comme par peur qu’il ne s’éloigne, qu’il dérive. Ça ne peut être que toi, dans les tourments il y a la lumière, et si elle ne suffit pas à tout inonder de sa chaleur, elle est l’espoir de jours meilleurs. Un jour, ils retrouveront entièrement cette lueur, ces sourires accrochés aux lèvres, cette symbiose tissée entre eux. Un jour, ça arrivera.
– Je t’aime, répète-t-elle dans ce cocon créé par leur douceur.
Un jour ça reviendra, mais d’abord ils ont le droit à la tristesse et à prendre pleinement conscience de ce qui a été vécu, de cette forme de deuil à laquelle ils ont le droit. Cet enfant n’est jamais né, et pourtant il existe là, quelque part, ancré dans leur mémoire et dans leurs souvenirs, pour toujours. Et peu après qu’il ait parlé, un premier sanglot éclate dans la gorge de Joyce qui se raccroche un peu plus fort à l’homme avec elle. La lumière existe toujours derrière la pluie, mais le temps des larmes a lui aussi le droit d’exister. Et il pleut fort sur les joues de la doctorante, il coule tout cet amour pour cet embryon qui plus que tout, voulait vivre.
Le cœur au bord des lèvres, l’écume nauséeuse sur la langue ; comment avait-elle pu ainsi ignore son corps ? Elle était biologiste, marine certes, mais elle avait suivi dans sa vie des cours bien plus généraux, n’ignorait pas le fonctionnement e la reproduction sexuée, la division cellulaire, mais également les signes annonciateur d’une grossesse. Il fallait être aveugle pour ainsi ne rien deviner. Le sang foncé qui avait duré moins longtemps dans sa culotte de règle. Les maux de ventre qui avaient été bien plus douloureux qu’habituellement. N’était-elle pas également plus fatiguée ses derniers temps ? Ses seins n’avaient-ils pas une sensation de gonflement qu’elle avait ignoré, mettant une fois de plus le tout sur le compte de menstruations qui en fait n’en était pas vraiment ? Des signaux avaient parsemé ces derniers jours et elle les avait tous ignorés, certaine de sa contraception, n’imaginant même pas que ce cas de figure puisse se présenter. Et elle qui disait mieux comprendre son corps, pouvoir analyser les retards de règles en fonction de son stress… Quelle idiote ! Pourtant, il est vrai, s’en rendre compte plus tôt n’aurait pas changé grand chose, n’aurait pas permis à l’embryon de s’implanter ailleurs. La seule différence, peut-être, aurait été une autre méthode, moins invasive, pour retirer l’être qui avait voulu grandir en elle. Le parasite. Ou pire encore, si on prenait la stricte définition du mot puisque le parasite, lui, ne détruisait pas son hôte. Est-ce qu’une interruption de grossesse médicamenteuse aurait été moins impressionnante, plus facile à accepter ?
Elle n’en savait rien, juste qu’elle s’en voulait, elle s’en voulait terriblement pour toute cette situation, le brouillard dans les yeux, dans la tête, dans toute la pièce. Si bien que, lorsque Jay lui pose cette question sur leur amour, cette remise en cause peut-être de ce qui était en train de se construire entre eux, elle répond à côté de la plaque. Pire encore, elle ne voit même pas le mal créé par ses premiers mots, par ce « pas du tout » qui éteint une étincelle dans les prunelles qui s’abaissent, la fuient. Ce n’est que lorsque ces mots sont répétés « Pas du tout », qu’elle prend conscience de leur ampleur et de sa bêtise, se rattrapant automatiquement. Parce que si beaucoup de chose s’écroule, beaucoup de réalités s’abîment actuellement, son amour lui est intact. Elle tient à lui, elle y tient tellement fort et ne sait même pas comment l’exprimer. Trop de sentiments qui se mélangent en son sein, et ce besoin d’exprimer également à quel point elle se déteste elle-même, de n’avoir rien vu venir, d’avoir un corps cassé, que son moyen de contraception n’ait pas marché. Elle s’en veut et ça, elle n’est pas sûre de pouvoir un jour se le pardonner, même si Jay lui n’a pas l’air fâché contre elle, ni de détester ce corps brisé allongé devant lui. Les circonstances auraient dû être différentes, une autre réalité, un choix possible, surtout.
Mais il a raison, est-ce qu’ainsi ça aurait vraiment été plus facile ?
– Je ne sais pas, avoue-t-elle.
Plus jeune, avant qu’elle ne prenne la pilule, elle se rappelait d’un accident avec Denzel, un préservatif percé et dont ils s’étaient rendu compte trop tard. Elle avait pris la pilule du lendemain, mais forcément la peur et le stress s’étaient liés à ses émotions et ses règles avaient eu du retard. Il avait bien fallu alors passer par un test de grossesse – toute seule, parce que le militaire était parti en mission – et elle se rappelait pertinemment ces trois petites minutes à attendre que les lignes bleues s’alignent sur la fenêtre des résultats. Toute sa vie était passée par flot devant ses yeux brumeux et elle s’était demandé ce qu’elle pourrait bien faire. Elle était étudiante, lui n’était jamais aux États-Unis, tout lui semblait bien trop compliqué. Alors elle s’était dit qu’elle avorterait, sans hésiter, sans regard en arrière, sans doute. Pour aller au bout de ses rêves.
Mais c’était facile de dire ça quand on était encore dans l’incertitude. Lorsqu’une unique marque bleue s’éteint inscrite sur le test, elle avait pu le jeter à la poubelle avec soulagement et oublier toutes ses affaires, ses règles se pointant dans la journée enfin délestées du stress. La décision était probablement différente à prendre en toute connaissance de cause, surtout désormais qu’elle avait 25 ans, une certaine stabilité dans sa vie et un salaire. Ça remettait tout en perspective. Alors non, elle ne savait pas, elle ignorait si ça aurait véritablement été plus facile ou une torture de plus, ce ciel entier qui lui tombait sur la tête, lui cassant le crâne pour s’infiltrer en elle. Et elle ne le saurait jamais, parce que ce choix ne lui avait pas été donné, qu’elle avait appris le matin-même – à peine quelques heures plus tôt qui lui paraissent vibrer à une éternité d’eux – qu’elle était enceinte et que moins d’une heure plus tard on l’emmenait au bloc pour la débarrasser de l’embryon et de sa trompe abîmée. La souffrance, toutes ces souffrances là, n’étaient pas quantifiables ni comparables.
Le besoin de se raccrocher à Jay se fait tangible en elle, si bien qu’elle s’écarte sur le lit pour lui laisser une place et verbaliser cette envie. Qu’il la prenne dans ses bras, exactement comme sur le bateau de ses parents il y a si longtemps, quand dans les nuits il éloignait les cauchemars, la bulle protectrice tissée autour de leur feu corps agités par les vagues autour d’eux. Il y consent immédiatement, se glisse doucement sur les draps blancs pour l’entourer d’une étreinte confortable, ses lèvres se perdant sur son front alors qu’elle prend refuge contre le torse du nageur, s’accrochant à son T-shirt comme par peur qu’il ne s’éloigne, qu’il dérive. Ça ne peut être que toi, dans les tourments il y a la lumière, et si elle ne suffit pas à tout inonder de sa chaleur, elle est l’espoir de jours meilleurs. Un jour, ils retrouveront entièrement cette lueur, ces sourires accrochés aux lèvres, cette symbiose tissée entre eux. Un jour, ça arrivera.
– Je t’aime, répète-t-elle dans ce cocon créé par leur douceur.
Un jour ça reviendra, mais d’abord ils ont le droit à la tristesse et à prendre pleinement conscience de ce qui a été vécu, de cette forme de deuil à laquelle ils ont le droit. Cet enfant n’est jamais né, et pourtant il existe là, quelque part, ancré dans leur mémoire et dans leurs souvenirs, pour toujours. Et peu après qu’il ait parlé, un premier sanglot éclate dans la gorge de Joyce qui se raccroche un peu plus fort à l’homme avec elle. La lumière existe toujours derrière la pluie, mais le temps des larmes a lui aussi le droit d’exister. Et il pleut fort sur les joues de la doctorante, il coule tout cet amour pour cet embryon qui plus que tout, voulait vivre.
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