Oeil pour oeil | SHENDY

De mes ongles parfaitement manucurés, j’érafle l’une de mes joues, trahissant mon agacement de plus en plus important. Provoqué non seulement par cette employée qui ne semble pas parvenir à déchiffrer les articles que je peux désirer, mais aussi et surtout par cet idiot qui ne paraît pas encore décidé à accepter et ose même aller aider celle qui vient d’entrer. Bon samaritain de pacotille qui me file la nausée.

Alors j’ai beau lui lancer un regarde de dédain, je m’en contente et n’en dis rien. Parce que je me reconcentre sur l’idiote qui dépose devant moi, des sacs qui ne me plaisent absolument pas. Et je les pointe un à un du doigt, prononçant à chaque fois, « Non, » pour le premier, « Non, » pour le second, « Non plus, » le troisième, et j’en soupire, irritée quand je lui précise, les dents serrées, « Il me semble que j’ai dit le mot : nouveauté. » Un concept qu’elle n’a pas totalement assimilé.

Ce n’est que lorsqu’elle disparaît encore, que je ressens sa présence à nouveau proche de mon corps, j’écoute sa voix me souffler, une question qui s’apparente à un conseil démodé, « Un merci avec çà, ça te tuerait ? » J’en exulte un rire nerveux, succinct, puisqu’il doit bien se douter que ce mot, il a quitté mon vocabulaire depuis plusieurs années. Je crois que même mes parents n’ont pas le luxe de m’entendre le prononcer. « A quoi bon ? » elles sont, après tout, à mes pieds, prête à faire n’importe quoi, pour satisfaire celle que je suis et ce que je peux représenter, non sans oublier un détail que je viens lui souligner, « Tu joues les altruistes pour nous deux. » Je n’ai donc, pour ma part, aucune raison valable de jouer un quelconque jeu. Sachant qu’elle ne me donne pas ce que je veux, que cette histoire de cadeau commence à taper sur mon système nerveux.

Jouer les altruistes, les bons samaritains, aider la veuve et l’orphelin. Je suis presque prête à lui souffler que ça lui va bien. Mais franchement, ça m’écorcherait la bouche de l’articuler, il faut être honnête. Alors je préfère – et de beaucoup – détourner la tête. Seulement il rattrape mon attention en prononçant une étrange formulation. « Toi qui n’as jamais besoin de personne… » Il faut qu’on m’explique à quel moment dans les dernières minutes, j’ai sous-entendu que j’avais besoin de qui que ce soit.

L’irritation notable sur le regard que je consens à lui décocher, j’essaie de comprendre le sens caché de cette supposition. Ce n’est pas parce qu’il a aidé une moins que rien que cela signifie que de sa présence, j’ai besoin. C’est dingue comme ça peut … m’agacer. Combien je peux refuser que ce soit la vérité. Le besoin sous-entend un foutu degré d’attachement, et ça, ça me file la nausée. Cela dit, je ne peux pas revenir dessus parce que l’employée revient, les sacs sont déposés, et je les inspecte en silence tandis qu’à côté de moi il entame une danse, « Attends. » J’en arque un sourcil, dans l’attente de savoir ce qu’il se passe, et j’en arque un sourire moqueur, car dans mon esprit, d’avance, je le sais. Elle l’a détroussé. « C’est pas vrai. » A l’évidence, si. Est-ce que cela sert réellement à quelque chose que je lui souligne que ; « C’est ce qu’on gagne à être gentil. » Tout le monde veut en permanence nous baiser dans la vie.

J’en secoue le visage par la négative, dédaigneuse lorsque je repose mes prunelles sur la maroquinerie. Mais si je m’apprête à nouveau à critiquer les objets face à moi, c’est une autre illumination qui dans mon esprit, vient tilter. « Oh mais… Je vais devoir t’avancer tes achats. » Sauf que le remboursement, il se fera, selon mes règles, n’est-ce pas ?

J’en suis quasiment au point de jubiler à observer ses traits de plus en plus contrariés. C’est bon, ce n’est pas bien grave, Sheng, il n’y a pas mort d’homme, simplement moi, à qui tu vas devoir de l’argent, rien de ça. C’est minime comme fait, il s’en remettra. « Plutôt cr… » Mais qu’il est mélodramatique celui-là. J’en roule des yeux, agacée, et ça m’irrite encore plus quand j’entends l’employée siclée. « Je l’ai ! » En plus d’être incompétente, mon plaisir, elle vient de me le gâcher. Si bien que j’en soupire, dépitée. Comme une capricieuse qu’on ne laisse jamais jouer. Enfant beaucoup trop gâté.

Mon regard, il retourne se poser sur les sacs, seulement tout à côté, l’idiote se croit maligne ou obligée, de s’exprimer, « Il était posé sur la caisse. » Mais qu’est-ce que ça peut nous foutre franchement ? La bienséance veut que je ne réponde pas, que je me contente de sourire, bien que ça me démange de lui cracher que ce qu’elle peut articuler ne nous intéresse pas le moins du monde. Sauf qu’elle continue sur sa lancée, s’enquit de l’état de ses papiers. « J’ai tout, » si la vendeuse, elle en est soulagée, moi, je suis déçue, je l’avoue, «… sauf ma carte d’étudiant. » alors je me retourne, les sourcils froncés, de ce vol, je ne comprends pas du tout l’intérêt. Dans tous les cas, ce n’est pas comme si cette carte pouvait être utilisée… Surtout avec son visage et le baptême estampillé sur le bout de papier plastifié. « Etonnant. » je commente, plus pour moi que pour lui réellement. « T’avais pas de liquide dedans ? » Pour le coup, j’essaie de trouver une explication, sachant que si j’avais été dans le besoin, c’est ce que j’aurais pris en premier, probablement. Enfin… Qu’est-ce qu’on fait quand on est dans le besoin ? « Un vol, » bien sûr j'extrapole, « et des articles sans intérêts. » Je prononce de toute la candeur de mon dédain. Je me fiche de ce qu’on fait, car à l’agonie, je ne le serai jamais.

« Pas le moindre dollar ne manque. » Alors de mon point de vue, ça ne vaut pas la peine de disserter plus longuement sur le sujet. Mais à l’évidence, ce n’est pas de l’avis de mon accompagnant, parce qu’il se renfrogne quand je me concentre à nouveau sur mon passe-temps de la journée, torturer de minables employées.

Seulement, voilà qu’il s’éloigne se concentre sur des articles qui n’ont pas de quoi attirer mon attention, et presque – et je dis bien presque – il ravive un tantinet mes traits d'humanité. C’est étrange… C’est comme si ça me dérangeait qu’il soit contrarié. Je dois être malade, je ne vois que ça pour justifier ce que je ressens à son sujet. Ou alors peut-être que c’est l’esprit de Noël, ça me donne des envies de… non, il ne faut pas abuser. Je n’en suis pas encore au niveau de prendre le monde entier en pitié. Il a beau s’être éloigné, j’entends ce qu’il articule juste après, à me filer la sensation qu’il est désabusé. « Un sac reste un sac, c’est l’intention qui compte. » Pas dans mon univers, surtout lorsqu’il est question d’offrir un cadeau à ma mère.

D’une œillade je balaie les derniers articles qu’elle me présente, il est clair que ce n’est pas ici que je vais acheter un truc qui saura la faire rêver. Alors je talonne en direction de mon accompagnant, en grande discussion avec une autre vendeuse et je ne saurais dire pourquoi ça a le don de m’énerver. Petite fille gâtée qui ne supporte pas être l’unique attraction de la journée. Ce qu’il me faut, c’est toute la résilience possible pour me planter devant lui et cracher un soupir sec afin de me contrôler. « C’est une putain de carte étudiant. » Je me permets de le lui rappeler, c’est une chose futile qui se refait. C’est probablement volontaire le fait que je refuse de voir pourquoi il en est perturbé. Tout en sachant pertinemment que si c’était moi, un scandale aurait éclaté, et j’aurais retourné le centre commercial dans son entièreté. « Faut vraiment qu’on lui court après ? » Après tout, vu son allure, je ne parierai pas sur son aptitude à galoper.