Witches don't lie // Wendy

C'est un rictus pincé qui, cette fois, se dessine sur mon visage fardé. Bien sûr. Les gens adorent qu'on leur redore leur blason, mais dès qu'il s'agit de les aiguiller ou de leur offrir des conseils pour éviter qu'ils ne s'embourbent dans leurs conneries... là, les oreilles se ferment et les sourires fanent. Certains sont plus enclins à demander une guidance, mais concernant la boule de feu qui me fait face, je m'abstiendrai.

─ Pour information, je ne lis pas l'avenir. Tout ce que je vois, ce sont les conséquences possibles de ce qui est en train de se passer maintenant. Donc, mes prédictions, en général, concernent la prochaine année.



Ok. On recommence. Je mélange, je coupe, je lui fais choisir trois cartes. Mais encore une fois, ce ne sont pas les dessins ni les figures qui me parlent, mais mes propres ressentis et impressions qui informent la séance. Et les sensations qui me traversent sont loin d'être agréables. J'ai l'impression d'évoluer dans une mare de boue.

─ Vous allez essayer d'obtenir quelque chose. Vous allez même y mettre tous vos efforts et toute votre détermination... jusqu'à forcer les choses.



J'ose un regard prudent vers la rouquine, avant d'abaisser les yeux. J'ai envie d'ajouter que ce n'est pas utile, et qu'elle ne fera que se faire du mal à elle-même car ses efforts seront vains sur le long terme, mais elle m'a dit de ne pas la conseiller, alors... je m'arrête là et me concentre sur les autres diapositives qui se succèdent sur mon écran mental.

─ Oh.



Je déglutis, peu certaine d'avoir envie d'être, encore une fois, la messagère maudite. Mais elle mérite bien de savoir la vérité, non ?

─ Une femme dans votre entourage ne vous veut pas du bien. Elle va même tenter de vous manipuler pour mieux vous atteindre. J'ignore si c'est une vengeance ou simplement une envie de vous voir tomber, mais ses intentions sont plutôt malveillantes.



Je pourrais lui dire que je vois bien d'autres choses pour elle, et que la plupart ne sont pas très reluisantes, qu'il suffirait qu'elle ouvre un peu son coeur pour goûter au bonheur, qu'il n'est pas très loin, que la porte ne demande qu'à être ouverte... mais j'aimerais éviter de me prendre une baffe, aujourd'hui. Or je ne peux pas m'empêcher d'y faire une petite, une minuscule allusion :

─ Vous pourriez avoir une belle histoire avec quelqu'un. Le sort n'est pas encore jeté, et ça dépendra largement de votre envie ou de votre capacité à... aimer. Mais la possibilité est là et c'est en train de se construire. Le potentiel d'une relation qui pourrait vous élever tous les deux. A vous de décider si vous allez ajouter des cartes à ce château, ou l'annihiler.



Je croise les doigts sous mon menton pour annoncer ma conclusion :

─ Des questions ?



« Pour information, je ne lis pas l'avenir. » Elle commence, et moi, je me demande d’autant plus ce que je fous ici, si l’avenir, elle ne le lit pas, bien que tout ce qu’elle pourrait me dire, je pourrais le contrer, mon futur, il sera comme je l’ai décidé. « Tout ce que je vois, ce sont les conséquences possibles de ce qui est en train de se passer maintenant. » En gros, elle ne voit pas grand-chose, la vérité, c’est que ce ne me surprend. « Donc, mes prédictions, en général, concernent la prochaine année. » La mienne sera remplie de cours, d’opportunité, de personnes avec lesquelles je vais m’amuser, comme des petites poupées.

Cela dit je ne l’arrête pas pour autant, l’observe battre à nouveau ses cartes et me demander d’en tirer trois. A la lisière de lui souffler que c’est un brin redondant tout ça. « Vous allez essayer d'obtenir quelque chose. » Elle ne m’indique rien de nouveau, sa prose. « Vous allez même y mettre tous vos efforts et toute votre détermination... jusqu'à forcer les choses. » Et l’espace d’une fraction de seconde, je sourcille, parce que je sais pertinemment avec qui je veux les forcer, qui semble encore vouloir me résister, alors que mon plan est des plus parfaits. « Oh. » qu’elle exulte avant de continuer ; « Une femme dans votre entourage ne vous veut pas du bien. » Une jalouse qui rumine dans son coin. « Elle va même tenter de vous manipuler pour mieux vous atteindre. » Sauf que dans la manipulation, j’ai la pole position. « J'ignore si c'est une vengeance ou simplement une envie de vous voir tomber, mais ses intentions sont plutôt malveillantes. » Il y en a beaucoup des gens que j’ai blessé, de fait, ça aussi, ce n’est pas franchement pour surprendre ou encore m’effrayer. « Vous pourriez avoir une belle histoire avec quelqu'un. » Merde, il y a un frisson qui m’étreint. « Le sort n'est pas encore jeté, et ça dépendra largement de votre envie ou de votre capacité à... aimer. » Elle est minime ma capacité, les sentiments, c’est une faiblesse dont on ne peut faire preuve au sommet, l’attachement, ça donne au monde les armes pour vous briser. « Mais la possibilité est là et c'est en train de se construire. » Quand moi, ce que je fais de mieux c’est détruire. « Le potentiel d'une relation qui pourrait vous élever tous les deux. » Je les lève au ciel, mes yeux. Je me demande si elle y croit vraiment, elle, à son petit jeu. « A vous de décider si vous allez ajouter des cartes à ce château, ou l'annihiler. » Si j’osais, je lui dirais que le choix est déjà fait. Comme à chaque fois. Je suis l’égoïste qui ne pense qu’à moi. « Des questions ? » J’en déglutis, réfléchis. Des questions… Aucune et à la fois des tas. Mais les cinquante dollars, il faut les rentabiliser, n’est-ce pas ? Jouer le jeu jusqu’au bout en prenant sur moi, en laissant toujours mon passé derrière et me concentrer sur mes affaires.

Et parce qu’elle est restée vague et généraliste dans ce qu’elle m’a dit, je me cale sur son exemple pour poser ma première interrogation. « La chose que j’essaie d’obtenir, est-ce qu’elle concerne une personne en particulier ? Vous pouvez voir son identité ? » Un héritier auquel j’aime un peu trop me confronter. Qui me donne du fil à retordre à force de vouloir se rebeller contre mes volontés. D’abord lui et puis les autres. Mes projets et ce que je désire pour confirmer mon succès avant de me la jouer amoureusement votre.

La partie questions, ça peut être compliqué. Les gens s'attendent parfois à ce qu'on leur donne le jour et l'heure de naissance de leur âme soeur. J'exagère, mais à peine. En général, je préconise de poser des questions ouvertes, qui commencent par « comment » ou « pourquoi ». J'ébauche un sourire quand elle me demande de découvrir l'identité de la personne. J'sais pas pourquoi, mais ça sent le test, ça... genre « ahaaaa dites-moi son prénom et son nom de famille, et peut-être qu'alors, je vous croirai ». Comme vous pouvez vous en douter - et à mon grand dam - c'est quasi impossible. Oui, ça arrive que j'ai des intuitions, que des prénoms me viennent, ou une lettre... mais je préfère ne pas m'y fier.

Après avoir sorti quelques cartes du jeu, je les examine en fronçant les sourcils, essayant de faire une synthèse des idées qui s'en dégagent concernant cette personne mystère.

─ Eh bien, d'après moi, il s'agit d'un homme, plus âgé que vous. Je ne peux pas voir son identité, non...



Je pointe un index vers les Deniers, qui parlent d'un lien financier. Puis, vers les Coupes, qui font plutôt allusion au domaine des sentiments.

─ Cela pourrait être quelqu'un avec qui vous travaillez. Mais, ça n'a pas l'air d'être votre seul lien. Il y aussi quelque chose de plus profond entre vous. Peut-être un ami... ou un amant.



Est-ce que ça répond à sa question ? Je l'ignore, mais je ne crois pas pouvoir lui en dire bien plus. Je pourrais bien sûr, lui dire que ses efforts seront vains, que cette chose qu'elle essaie de forcer s'effondrera comme un soufflé, mais... je n'ai pas envie de mourir ce soir.

─ Autre chose ?



A la voir sourire comme si elle se moquait de ce que je viens de lui demander, elle s’en devient d’autant plus cuisante mon envie de tout arrêter. Faut croire que le petit jeu a assez duré, et que je ne suis pas faite pour les salades qu’elle essaie de me faire avaler. Mais parce qu’elle reprend, brasse ses cartes, en découvre certaines, je me tais et me fais docile pour attendre la suite des évènements. « Eh bien, d'après moi, il s'agit d'un homme, plus âgé que vous. » Mais encore ? Je reste sur ma faim, je l’avoue. « Je ne peux pas voir son identité, non... » Alors à quoi sert réellement cette petite représentation ? « Cela pourrait être quelqu'un avec qui vous travaillez. » Pour le coup, j’en craque un sourire carnassier, parce que s’il est question de travail, c’est après tout ce qui nous a lié en premier. « Mais, ça n'a pas l'air d'être votre seul lien. » Employé et intimes, en de rares fois, même si elles ont été plaisantes, cela va de soi. « Il y a aussi quelque chose de plus profond entre vous. » Et quand elle suppose une certaine profondeur, c’est instinctivement, que ça me tend. « Peut-être un ami... ou un amant. » Sheng, forcément. Et d’y songer, c’est satisfaisant, me dire qu’il va finir par céder, l’étudiant. De toutes les façons, je suis persuadée, qu’il se rendra à l’évidence, c’est obligé. J’ai déjà tout calculé et je ne suis la étrangère que sa famille voudra bien accepter. « Autre chose ? » Est-ce que cela fait de moi une horrible personne que d’affirmer le fait que oui, on en a terminé. Que je n’en ai rien à faire des autres parties, sentimentales à souhait. Que l’affection c’est une faiblesse et du haut de mon piédestal, je ne peux pas me la permettre. Mais allez, pour la beauté du geste… « Et il ressemble à quoi, celui à qui je vais briser le cœur ? » Ce n’est pas ma faute, c’est dans mon ADN, et à ne pas me dénaturer, j’y mets un point d’honneur.

Voilà une question à laquelle personne - ou peu de gens - échappent. C'est plus fort qu'eux : ils veulent tous savoir quelle âme va les faire chavirer, si le mariage les attend ou s'ils resteront d'éternels célibataires. Et vous savez quoi ? La plupart du temps, c'est impossible à prédire. Parce que le futur n'est jamais fixe, mais malléable, en fonction des choix de chacun. Cela dit, il y a toujours des futurs plus probables que d'autres, simplement parce qu'en tant que créatures d'habitude, nous avons tendance à exhiber les mêmes comportements, suivre une ligne tracée d'avance par nos désirs et peur inconscient.e.s et surtout, faire les mêmes erreurs.

J'ai vu deux mecs graviter autour d'elle, et je suis quasi certaine que c'est aux deux qu'elle finira par briser le coeur. Pourquoi ? Intuition doublée des cartes sorties plus tôt. La Reine d'Epées, bien que hautement intelligente, tient à son indépendance comme à un précieux bien qu'elle n'est prête à partager qu'avec un nombre très restreint de personnes. De plus, elle n'est pas connue pour son ouverture du coeur, et même si elle en possède un malgré tout, elle réfléchit avec la tête en toute circonstance et se laisse rarement émouvoir par les démonstrations romantiques.

Pour le jeu, je tire quand même de nouvelles cartes pour aiguiller ma réponse, puisque toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire et qu'il faut, comme toujours, en enrober certaines d'une épaisse couche de diplomatie.

Eh merde. C'est... compliqué. Je m'éclaircis la gorge en formulant plusieurs alternatives dans ma tête. Elle ne t'a pas demandé comment ça allait se passer, Zora, seulement de qui il s'agit. Contente-toi de répondre à la question posée.

─ Comme je vous l'ai dit, il y a deux personnes qui vont tenter leur chance avec vous, très bientôt. En réalité, ils se ressemblent assez. Des artistes. On dirait que vous les attirez. Je dois vous avertir, cependant... ils sont plutôt... torturés. Surtout l'un des deux, celui qui est très attaché à vous. Cette carte, ça peut signifier un problème d'excès en tout genre, peut-être d'addiction et d'obsession.



Je désigne le Diable de l'index.

─ Il y a aussi du mensonge et des secrets. Donc, le mieux serait de...



Je me retiens de justesse de lui donner un conseil, puisqu'elle me l'a interdit, et lève les mains devant moi en signe de capitulation.

─ Désolée. Je n'ai rien dit. Vous êtes bien évidemment libre de faire ce que vous voulez. Comme je vous l'ai dit, tout dépendra de vous et de votre volonté.



Jetant un coup d'oeil à ma montre, j'offre un large sourire à la jeune femme en espérant qu'elle se contente de ce message codé.

─ J'ai bien peur que notre séance soit arrivée à son terme. Merci, et passez une bonne journée.



C’est seulement et uniquement pour la forme que je viens de lui demander quel pauvre fou, je m’apprête à briser. Parce qu’il ne peut en être autrement. Car c’est mon mode de fonctionnement. Je ne sais pas faire différemment. Mais surtout, et le plus important, c’est que je ne le désire pas. Parce que je sais que l’affection mène à l’aliénation, et je suis faite pour ressortir victorieuse de tous les combats. « Comme je vous l'ai dit, il y a deux personnes qui vont tenter leur chance avec vous, très bientôt. » Des idiots. « En réalité, ils se ressemblent assez. » J’en brasse dans ma tête rapidement les possibilités. « Des artistes. » Les pires hommes qui existent. « On dirait que vous les attirez. » Super, on devrait me médailler, j’attire les déchets. « Je dois vous avertir, cependant... ils sont plutôt... torturés. » Qu’est-ce que je disais ? « Surtout l'un des deux, celui qui est très attaché à vous. » Non, je le refuse, Théodore ne serait pas assez fou, « Cette carte, ça peut signifier un problème d'excès en tout genre, peut-être d'addiction et d'obsession. » Alors si, c’est bien lui dont il est ici question. Je me permets, agacée, une longue respiration. « Il y a aussi du mensonge et des secrets. Donc, le mieux serait de... » J’imagine que ça, c’est pour le second. De véritables bénédictions, mes options. Et j’en resserre les mâchoires face à son futur conseil, son obstination. « Désolée. » Mes yeux, au ciel, levés. « Je n'ai rien dit. » J’adore lorsqu’on m’obéit. « Vous êtes bien évidemment libre de faire ce que vous voulez. » Indépendant doublée d’une puissante. « Comme je vous l'ai dit, tout dépendra de vous et de votre volonté » Pour l’instant, ce que je veux, elle me l’offre sur un plateau avec son mime démodé. L’occasion de me tirer, d’arrêter cette comédie qui n’aurait probablement jamais dû commencer. « J'ai bien peur que notre séance soit arrivée à son terme. Merci, et passez une bonne journée. » Il y a un rire qui m’échappe face à sa manière de me congédier. Si bien qu’il ne me faut qu’une fraction de seconde pour me relever après cette arrogance assumée. Cela dit, avant de partir, j’articule, le ton vénéneux, « Je vais vous en donner un moi, de conseil. » une garce, éternelle. « Trouvez un autre métier, parce que là, c’est la faillite, que vous risquez. » Si peu douée. C’est en compagnie de ma clique, que je m’en vais.