Witches don't lie // Wendy



Me voilà assise derrière un stand décoré des couleurs et symboles de Samhain - pardon, Halloween… - depuis 11h ce matin. Puisque personne ne s’accorde sur les véritables origines de la fête, j’ai décidé d’allier mes croyances païennes à celles, mexicaines, que Boston célèbre cette année. Je suis donc passée par le coin maquillage en arrivant et arbore un visage totalement blanc, des paupières fardées de noir et une bouche rouge carmin. Une couronne de fleurs séchées décore ma tête, et en guise de tenue, j’ai acheté une robe vintage avec corset dans une boutique d’occasion. Au moins comme ça, je passerai plus inaperçue… si jamais des Harvardiens décident de se pointer.



J’ai disposé quelques bougies sur une nappe rouge en velours, et mes tarots et oracles patientent sagement que quelqu’un vienne les taquiner. J’ai enchaîné les « séances » de 15 min depuis ce matin, sans compter ma pause de midi. Ce qui est plutôt cool, c’est que ça me fait pas mal d’argent de poche, malgré le coût du matériel et du stand en pleine rue. Même si l’agitation ambiante rend les choses un peu difficiles, mes pouvoirs n’ont pas « magiquement » disparu à cause du stress - merci Déesse. J’ai réussi à faire quelques commentaires pertinents aux âmes égarées qui se sont aventurées à mes portes (symboliques, les portes), et à leur donner deux-trois conseils.

 Ouaip, je suis plutôt fière de moi jusqu'ici.

On est un peu à l’écart de la foule et des marchés. Plusieurs autres tarologues, chiromanciens et voyants font des séances de part et d’autre de ma table. La compétition est rude. Certains essaient d’attirer les clients en leur promettant monts et merveilles.

Pas moi.

Je me contente d’attendre sagement, le nez plongé dans un bon polar. 

Relevant les yeux quelques secondes pour scanner les passants, je me demande : alors, qui sera ma prochaine victime ?

L’année dernière, j’avais joué le jeu, habillée en chaperon rouge pour une soirée dans un hôtel miteux destiné à nous effrayer. Accompagnée d’un grand méchant loup qui ne fait à présent plus partie de mon entourage, faute d’une relation bordée de rage. Ce soir, j’ai décidé de faire les choses différemment.
Habillée d’une robe de grand couturier, comme si c’était le bal de fin d’année, pour mon plaisir personnel, un égo galvanisé par l’idée de m’être déguisée en moi. Comme Sheng a su si bien le dire récemment, en Diable qui s’habille en Prada. Tandis que l’une de mes employées s’occupe de boucler mes cheveux, je traîne sur mon téléphone, observe les messages qu’échange la clique, qui patiente afin d’obtenir mon approbation sur où se déroulera notre petite réunion. Un groupe de vilaines filles dont je suis la reine, qui envoie un « Ok », sans aucun stupide smiley.

Une fois prête, c’est mon chauffeur qui me rapproche de ce que la ville de Boston a eu la bonne idée d’appeler Rue en fête. Les autres déjà présentes, une fois à leur hauteur, j’annonce sans aucune douceur, « Une heure. » si je m’ennuie c’est tout ce que je suis prête à leur accorder. Elles acceptent, rechignant sur mon manque de tact, mais sans abuser, car je suis celle qui obtient les invitations aux meilleures soirées. La plus friquée.

Chemin se faisant, on marche entre les décors, quelques exposants, jusqu’à ce que l’une s’arrête face à une diseuse de bonne aventure qui me donne l’impression de l’avoir déjà croisée. Et c’est plus fort que moi, je ne peux contenir un commentaire déplacé, « Que des conneries. » L’avenir, il est ce qu’on en fait, et le mien est déjà bien tracé, « T’as la trouille Wendy ? » je lui en décoche un regard noir, car il est bien connu que dans mon caractère ne se trouve absolument pas le trait trouillard. « T’as pas envie de savoir… ? » C’est surtout que je ne saurai pas y croire. « A quel héritier tu vas finir mariée. » Comme si ça pouvait m’importer. « Ca peut être divertissant. » En un sens, forcément, et sors de mon sac un billet dont je ne vérifie pas le montant. Je le pose sur la table en demandant « Ca se passe comment ? »

Il y a des voix qu’on n’oublie pas. Celles qui dégoulinent de mépris et empestent la moquerie. J’en ai beaucoup entendues, des voix comme ça, pendant mon adolescence. J’ai développé une sorte de manteau imperméable, que je porte en permanence, sur lequel les insultes et les conneries qu’on me balance glissent comme le long du plumage d’un cygne. Aussi, je réponds à la pique lancée devant moi en levant les yeux de mon ouvrage et en adressant un sourire avenant aux jeunes femmes qui se sont arrêtées devant mon stand. Mes pupilles se posent alternativement sur celle de gauche, puis sur celle de droite, à la chevelure flamboyante et aux yeux qui lancent des éclairs. 



Je pousse mon livre de côté et croise les bras en attendant qu’elles se décident. Des mots fusent mais je les écoute à peine, trop occupée à essayer de démêler leurs énergies : c’est dur de savoir quoi appartient à qui quand deux personnes vous font face et que leurs auras sont si différentes. Enfin, la rouquine finit par s’asseoir en glissant un billet sur ma table. Haussement de sourcils de ma part en voyant le « 50 » sur le coin du papier. Je sors quatre billets de dix de ma sacoche pour lui rendre sa monnaie, que je pose à côté du cinquante.



─ C’est juste dix dollars la séance de quinze minutes. Je vous tire les cartes, je vous fais un petit compte-rendu de votre passé, de votre situation actuelle, et de votre futur proche, puis vous pourrez me poser des questions. Ça vous va ?



Je bats des cils en attendant de voir si elle va se défiler. Mais j’en doute… puisqu’elle a l’air de vouloir jouer les fortes têtes pour impressionner ses copines. On va bien rigoler.

Assise à la table maintenant, j’attends. Ayant relevé un défi pour pallier un certain ennui. Dans le but de donner un peu de relief à cette nuit. Et de toutes les façons, je n’y crois pas, je sais ce que je vaux et ce à quoi mon avenir ressemblera. « C’est juste dix dollars la séance de quinze minutes. » qu’elle précise en me rendant la monnaie, j’en exulte un soupir qui s’approche du rictus dédaigneux, je lui laisse ses quatre billets, volontiers. « Je vous tire les cartes, je vous fais un petit compte-rendu de votre passé, de votre situation actuelle, et de votre futur proche, puis vous pourrez me poser des questions. » De deux doigts, je vais souligner mon front, respirant longuement, comme si ça suffisait à approuver. « Ça vous va ? » Le visage incliné, ma langue qui passe contre mes dents, comme pour mieux la jauger. Se croit-elle vraiment sorcière ? Diseuse de bonnes aventures, de balivernes ? Est-ce qu’elle y croit à sa mise en scène ? Mais soit, qu’elle me les vende ses salades, parce que ; « Je suis assise, non ? » que je lui demande un brin vicieuse, armée de mon sourire de pétasse nocive. Ils sont acceptés, les termes du contrat, même si je doute qu’elle parvienne à me dire quoi que ce soit de véridique sur moi.

Les billets ne bougent pas, et cette nana non plus. Bon, eh bien… c’est parti. Je réponds à son rictus par un nouveau sourire un peu pincé, puis ferme les paupières quelques secondes en me concentrant sur ma respiration. Cela m'aide à me concentrer malgré le tumulte. Dans cette obscurité que je m’impose, je réveille doucement ma « source », que j’imagine telle une boule de feu au creux de mon ventre. Son crépitement me fait frémir, et je la visualise prenant de plus en plus d’ampleur jusqu’à m’envelopper complètement. C’est un truc que je fais avant de commencer à « lire » en quelqu’un, histoire de me protéger, et de me connecter plus directement à mon intuition. 



En ouvrant les yeux, je constate que le flux d’énergie autour de la fille assise en face de moi s’est vivifié. Des couleurs ondulent et chatoient autour d’elle, représentant la force de vie qui anime son enveloppe de chair. Son aura. Il y a beaucoup de… orange, et de rouge. Le orange correspondant au chakra sacré, situé au niveau du bas-ventre, il se voit beaucoup dans l’énergie des gens confiants en leurs capacités et créatifs. Or selon la teinte, la signification peut grandement varier. Le orange foncé, assez terne tel qu’il m’apparaît autour de la cliente, m’indique plutôt une confiance en soi qui vire facilement à l’arrogance. Le rouge, quant à lui, indique une personnalité soupe-au-lait à tendance… volcanique. Glurps. Je ferais mieux de ne pas la contrarier, ha ha… 



─ Je suis aussi médium, donc il se peut que je reçoive des messages de personnes défuntes. N'hésitez pas à m'arrêter à n'importe quel moment si quoi que ce soit vous met mal à l'aise.



Saisissant mon tarot, je mélange les cartes et lui demande d’en choisir trois, que je retourne ensuite. Les cartes ne sont qu’un outil, qu’une distraction presque, pour me permettre d’entrer en contact avec le monde invisible. Dès que leurs faces m’apparaissent, les visions assaillent mon esprit. Je pose une main sur la carte représentant son passé, et un jeune homme se dévoile à moi. Mignon, bon vivant, généreux. Je le vois avec la rouquine, et ils semblent très proches. Puis tout va de travers. J’ai l’impression d’être secouée de partout, d’avoir la tête qui va exploser, de l’acide dans les veines. Boum. Noirceur. Deuil. Larmes.



J’ouvre les yeux et inspire doucement.


─ Vous avez traversé un vrai cauchemar. Quelqu’un que vous aimiez énormément vous a quitté bien trop tôt. Un jeune homme. Depuis, vous ne faites pas facilement confiance. Il y a quelque chose que vous ne tolérez pas, ou plus, parce qu’elle vous a volé votre… ami.



Je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. S'il est mort dans un accident, ça peut être les trajets en voiture qu'elle évite comme la peste, mais j'ai l'impression qu'il s'agit de quelque chose de plus vicieux. C’est loin d’être gai… mais je ne suis pas du genre à inventer des bobards pour impressionner le client. Si c’est ça que j’ai vu en premier, je suppose qu’il y a une bonne raison.

─ Désolée. Ça n'a pas dû être facile.



Une formule de politesse sûrement inutile venant d'une étrangère, mais je perçois réellement le deuil qui la consume. Les ombres noires qui lui dévorent la poitrine. Et je me dois de lui témoigner un minimum de compassion avant de passer à la suite, non ?

─ Sachez qu'il est… en paix. Qu'il est désolé de vous avoir fait subir ça, et qu'il aurait aimé rester à vos côtés pendant de nombreuses années encore. Il vous remercie d'avoir été là.






Les secondes s’amoncèlent tandis que je reste assise en silence face à elle. Elle ferme les yeux, et j’en suis au point ou je regrette d’avoir accepté ce jeu. Parce que ses balivernes, je le sens d’avance, qu’elles vont transformer mon brasier intérieur en feu. Puis elle reporte son attention sur moi, et je fronce les sourcils dans l’attente de ses n’importe quoi. Docile Wendy, comme en de rares fois. « Je suis aussi médium, donc il se peut que je reçoive des messages de personnes défuntes. » J’en grince des dents, voilà qu’elle compte faire parler les fantômes maintenant, « N'hésitez pas à m'arrêter à n'importe quel moment si quoi que ce soit vous met mal à l'aise. » Mais je le suis déjà, mal à l’aise, sauf que je ne risque pas de m’écraser face aux idiotes qui m’ont convaincue d’essayer.

La cartomancienne sort le reste de sa panoplie, me demande de tirer des cartes que je ne comprends pas, mais qu’elle commente comme si elle récitait une leçon par cœur, « Vous avez traversé un vrai cauchemar. » La blague est mauvaise, qu’on n’en doute pas. « Quelqu’un que vous aimiez énormément vous a quitté bien trop tôt. » Et je n’aime pas la teneur de ses mots. « Un jeune homme. » Déteste la supposition quand dans mon esprit ne tourne plus que son prénom. « Depuis, vous ne faites pas facilement confiance. » Je suis à deux doigts de vriller et ce n’est que depuis quelques secondes que cet aparté a débuté. « Il y a quelque chose que vous ne tolérez pas, ou plus, parce qu’elle vous a volé votre… ami. » Une œillade est balancée vers mes prétendues acolytes comme pour leur demander si l’une d’elle a craché les morceaux de mon histoire, pour ceux qu’elles auraient réussi à récolter.

Je voulais me moquer d’elle et non me replonger dans cette partie de ma vie que je me refuse à divulguer. Mon intimité, les profondeurs de ma vie privée. Liam et tout ce qu’on était. Tout ce qu’on aurait pu être, si … Pas la peine de le répéter, la rubrique fait divers, à l’époque, l’avait bien assez fait. « Désolée. Ça n'a pas dû être facile. » Mes paumes, elles forment à présent de poings, j’exècre l’idée d’inspirer de la pitié, qu’une pauvre inconnue puisse être désolée et je sens mes ongles s’enfoncer dans ces dernières, en lutte contre ma propre personne pour garder mon calme et ne pas lui envoyer ses cartes à la figure, j’envisage très rapidement une dizaine de tortures. « Sachez qu'il est… en paix. » Je vais la tuer, je le jure. « Qu'il est désolé de vous avoir fait subir ça, et qu'il aurait aimé rester à vos côtés pendant de nombreuses années encore. » Les nerfs si à vifs que mes mains pourraient à présent saigner, oui, je n’en serais pas étonnée. « Il vous remercie d'avoir été là. » On en est à cet instant où cela devient trop pour moi. Je ne supporte plus, ou elle, je ne la supporte tout simplement pas. Et peut-être parce que je possède un esprit bien trop porté sur la contradiction, à l’inverse de la tirade qu’elle vient de me faire, ce n’est qu’une seule et unique phrase que je me permets de lui cracher. « C’est quoi le délire ? Vous m’avez reconnue et vous vous croyez intéressante ? » Bien que ma famille et mes avocats avaient à l’époque essayé de d’étouffer l’affaire, ce n’est pas un véritable secret. J'avais quatorze ans, et quand il est mort, j’étais à ses côtés.  

Un frisson désagréable me parcourt sous l'assaut de ses paroles. Sa colère a réussi a pénétrer ma protection psychique, et je me force à inspirer longuement pour ne pas me laisser submerger davantage. Ses émotions ne sont pas les miennes. Il faut que j'apprenne à me détacher. J'ignore ce qu'elle entend par « vous m'avez reconnue » mais j'imagine qu'elle doit être célèbre, d'une manière ou d'une autre. Sans doute une riche héritière dont je devrais connaître le nom.

─ Je n'ai aucune idée de qui vous êtes. Et je fais simplement mon travail. Ce pourquoi vous m'avez payée.



Je baisse les yeux vers les billets encore sur la table. J'aurais dû les ranger dans ma pochette, au risque de les voir disparaître avec cette furie. Cela dit, je comprends parfaitement sa réaction. Moi aussi, à sa place, peut-être que je péterais un câble. Les gens ont besoin de temps, de digérer les informations. Je ne peux pas m'attendre à ce que mes clients hochent la tête avec un sourire ou laissent couler des larmes de joie en entendant les messages que j'ai à leur faire passer. Il y a d'abord le doute, la peur, la colère... et je n'y peux rien, même si ça me fait mal de savoir que j'en suis, partiellement, la cause. Le messager maudit.

─ Vous êtes libre de partir si vous le désirez. Je ne voudrais pas vous obliger à quoi que ce soit.



Je lève les mains en signe de sincérité, comme pour lui indiquer que je ne la retiendrai pas.




Si de prime abord pour prendre part à ce petit jeu, j’étais d’accord. Maintenant, ce sont les bouts de mes doigts, je mords. Au sens figuré, certes, mais il est clair que cette entrevue, je la regrette. « Je n'ai aucune idée de qui vous êtes. » Pas même un peu vexée, ce n’est pas comme si je pleurais pour que toutes les dingues qui se prennent pour des sorcières connaissent mon identité. « Et je fais simplement mon travail. » Elle appelle ce spectacle son travail, vraiment ? Moi j’utilise le mot arnaque pour désigner ce genre de personne, généralement. « Ce pourquoi vous m'avez payée. » Certes, mais la mascarade n’était pas au programme, encore moins toute la tirade au sujet de Liam.

J’en hausse les sourcils lorsqu’elle propose ; « Vous êtes libre de partir si vous le désirez. » et c’est une œillade vers la troupe qui m’attend que je lance, l’explication bancale de ma présence, « Je ne voudrais pas vous obliger à quoi que ce soit. » Qu’on se le dise, la personne qui m’obligera à faire quoi que ce soit, si je suis assise c’est de mon plein gré, même si j’ai acté que c’était la faute des idiotes maniérées qui se tiennent toujours en retrait. J’hésite à me lever, à aller terminer ce début de soirée dans une de ces fêtes auxquelles je suis invitée. Je me reprends, me refusant à être faible à cause de traumatismes morts depuis maintenant longtemps. Et parce que ma curiosité se pourrait être un brin piquée, je m’aventure à lui ordonner. « On laisse tomber le passé. » Si elle veut terminer cette séance sans que je n’aie encore plus envie de la briser. Même si mon présent et mon avenir, c'est déjà que je les connais.  


Bien. J’aime mieux cette attitude. Et puis, elle a raison : le passé appartient au passé, et même s’il est utile de feuilleter les pages du chapitre précédent pour comprendre comment les événements affectent le présent, il n’est pas nécessaire de s’y attarder trop longuement. Je sors une pierre de quartz rose de ma pochette et la place discrètement en face de la cliente, espérant que ses vertus apaisantes sauront absorber un peu de sa nervosité. Ensuite, je ramasse le tas de cartes, recommence à les mélanger et lui demande d’en choisir trois nouvelles. 



Le Diable. La Roue de la fortune. L’Amoureux.

─ Il y a deux hommes dans votre entourage qui vous témoignent un certain intérêt. L’un a une sorte d’obsession envers vous… et vous en êtes consciente, vous en jouez, mais vous n’avez pas réellement l’intention de lui donner ce qu’il veut. Quant à l’autre, il se pourrait qu’il développe des sentiments à votre égard d’ici peu de temps… mais il représente quelque chose qui pourrait vous faire fuir.



Je tire une nouvelle carte, espérant m’éloigner du sujet « amour », même si je sais que c’est généralement ce qui intéresse le plus les gens. Le problème, c’est que je n’entrevois pas grand chose de sain dans la vie amoureuse de cette jeune femme, alors mieux vaut passer à autre chose. 



La Reine de bâtons.



─ Votre carrière est florissante. Vous avez un don pour diriger, et l’esprit pratique nécessaire pour faire évoluer les choses et accroître vos gains. Une vraie poigne de fer, et une vision sur le long terme. Attention à ne pas virer du côté rigide… laissez aussi place à la créativité, aux imprévus.



Je relève des yeux prudents vers la rouquine.



─ On passe au futur ?



A la suite de mes mots, elle dépose face à moi un ridicule caillou à la teinte rosée, j’en hausse les sourcils, encore, entre le dédain et les sentiments blasés. Nerveuse par rapport à la première partie de notre aparté, et moqueuse quant à la suite qu’elle semble chercher dans les cartes qu’elle vient d’à nouveau, tirer. Les trois sont choisies, et la voilà repartie. Je suis une célébrité, putain, qu’est-ce que je fous ici. « Il y a deux hommes dans votre entourage qui vous témoignent un certain intérêt. » Deux seulement ? Je crois que le compte n’y est pas, ils sont nombreux à graviter autour de moi. « L’un a une sorte d’obsession envers vous… et vous en êtes consciente, vous en jouez, mais vous n’avez pas réellement l’intention de lui donner ce qu’il veut. » Ca, c’est un de mes préférés, de jeu. Couplé le désir à mes instincts pernicieux. « Quant à l’autre, il se pourrait qu’il développe des sentiments à votre égard d’ici peu de temps… mais il représente quelque chose qui pourrait vous faire fuir. » Le mot en lui-même est capable de me faire fuir, et ce n’est pas peu dire. Ca me donne plutôt des besoins de détruire. J’exècre les sentiments. Et ne désire même pas me demander l’identité de ce piètre prétendant. Pour mes projets matrimoniaux, là aussi, j’ai des plans.

Je me contente de lever le ciel tandis qu’elle reprend. « Votre carrière est florissante. » Ca, ça se conjugue au passé, au futur, au présent. « Vous avez un don pour diriger, et l’esprit pratique nécessaire pour faire évoluer les choses et accroître vos gains. » Et ça m’arrache un sourire de fierté, forcément. « Une vraie poigne de fer, et une vision sur le long terme. » Le tableau dressé, il est presque parfait. Presque, parce qu’elle ignore à quel moment s’arrêter pour ne pas m’irriter. « Attention à ne pas virer du côté rigide… laissez aussi place à la créativité, aux imprévus. » Les paupières plissées si bien que ma langue passe sur mes lèvres à l’instant où elle articule, « On passe au futur ? » de mes ongles je vais marteler sa table en un rythme que j’invente, « Si vous arrivez à me le conter sans me conseiller. » Parce que c’est ce qu’elle vient de faire en parlant de mon côté rigide, trait de mon caractère qui est plutôt facile de deviner. Et j’avoue que si on oublie la débâcle de la citation de mon passé, j’ai hâte de savoir les délires qu’elle envisage de m’inventer.