Hard for me (Aspen)

Envie de débauche avant de reprendre plus ou moins sagement le cours de ta vie. Besoin de te délecter visuellement des courbes sensuelles qui dansent dans ce club que tu n'as pas fréquenté depuis des mois. Toujours le même rituel. Aller au bar, commander un daiquiri, te poser dans un siège et regarder le show public, avant de te décider si oui ou non tu vas demander un show privé. Le regard suit chaque fille qui se donne en spectacle, apprécie ce qui se joue devant lui. Jusqu'à elle. Daiquiri qui passe de travers. L'impression de perdre la tête, que c'est un mirage. Un sosie. Ça ne peut être qu'un sosie. Elle est morte il y a quatre ans dans tes bras. Enterrée. Tu as l'impression de manquer d'air mais tu restes là, obnubilée. Les doigts crispés sur ce fauteuil et sur ce verre d'alcool pas assez fort. Tu cherches son regard, comme pour te rassurer. Seul le regard ne peut pas tromper. Miroir de l'âme qu'ils disent.

Les regards se croisent et ne mentent pas. Le temps s'est arrêté face à toi, devant cette fille que tu as tant aimée et dont tu avais dû faire le deuil. C'est elle. Elle a cessé de bouger quand elle t'a vue. Ça confirme tout. Et t'es foutrement perdue. Trop de questions qui se bousculent dans ton esprit. Trop de rage, de tristesse, d'incompréhension qui viennent se mélanger. Ton monde s'était écroulé devant son corps. Il s'écroule à nouveau devant tant de vie qui l'anime. Pourtant tu te redresses et tu laisses tes pas te guider jusqu'à elle, face à ce mec insistant que tu attrapes avec virulence. « J'te conseille vivement de la lâcher, mec. Parce que la barre de pole dance pas rester sous tes yeux si tu continues. Et crois moi, tu veux pas savoir où j'ai envie de t'la foutre. » Tes yeux se posent sur elle alors que tu relâches l'homme qui s'enfuit comme un lâche. Tes mâchoires sont serrées pour ne pas pleurer. « J'peux demander un show privé ? » Nom de code pour préserver son intégrité, mais c'est pas pour la voir danser.

C'est ton instinct qui t'a poussée à agir pour la protéger de ce type. Parce que malgré tout, tu pouvais pas la laisser dans la merde. C'était ta copine jusqu'à ce que la mort vous sépare. La mort, elle est bien en vie, pourtant. T'es perdue dans tous ces flots d'émotions et de pensées parasites. T'as trop de questions qui te sautent dessus en même temps. T'as besoin de comprendre. Comprendre pourquoi elle t'a laissée comme ça, sans prendre la peine de te mettre au parfum, pourquoi elle t'a laissé croire à sa mort et pourquoi elle a laissé ruminer ta rage, au point de te mettre en danger dernièrement. Mais t'arrives pas à décrocher ton regard du sien, si bien que ça fait mal au fond de ton âme. Tu te laisses embarquer dans la salle privée et sa main, ça apporte quelque chose de trop réel. Enfermées dans cette pièce privée, tu ne dis rien avant qu'elle ne s'excuse. Tu ris nerveusement, prête à éclater en plein vol. « C'est tout ? T'es désolée ? » Tu fais les cents pas pour ne pas éclater avec trop de virulence. « T'es morte dans mes bras, putain. J'ai pleuré toute mon âme pour toi. J'ai toujours pas fait mon deuil de toi. Et t'es devant ma gueule dans un club de strip quatre ans après. En vie. J'ai cru à un putain de sosie jusqu'à que tu bloques en me voyant. Une mauvaise blague de mon esprit. Mais t'es juste désolée ? » Les larmes coulent seules sur tes joues sans que tu t'en rendes compte, colère ou émotion indescriptible.

Tu ne peux pas le nier, de la voir ainsi peu vêtue, ça te rappelle à quel point t'as pu aimer t'en éprendre. Et à la fois, c'est une pointe de jalousie à l'idée que toutes les personnes présentes ici ce soir et ceux présents les autres soirs puissent observer, toucher ses courbes. Et qui sait ce qui a bien pu se passer dans sa vie ces dernières années, quand tu venais te recueillir sur sa sépulture. Combien de personne a-t-elle laissé effleurer sa peau ? A-t-elle fait comme toi, pour oublier ? Enchaîner les histoires d'une nuit pour ne pas laisser le coeur à la merci de quelqu'un d'autre et prendre le risque de se retrouver à terre une fois de plus ? Tu ne veux pas vraiment le savoir. Tu sais à quel point les réponses pourraient te faire mal. Parce que tu savais que tu ne pouvais pas cesser de l'aimer malgré la mort. Mais elle est en vie. Et t'as jamais voulu l'oublier. Le deuil de votre histoire ne s'est jamais fait. Il n'avait pas à l'être, jusqu'à maintenant. Alors ouais, t'es perdue dans cet espace restreint, comme une lionne en cage, qui fait de son mieux pour se canaliser alors que tu veux tout exploser autour de toi. Elle s'approche et tu sais pas si c'est une bonne chose. Pas pour toi, mais pour elle. T'as peur d'agir avec violence à cette proximité. Tu roules des yeux quand elle commence à dire qu'elle n'avait pas le choix. « Tu aurais pu m'en parler, Elle. On serait parties à deux, mais au lieu de ça, tu m'as abandonnée, tu m'as laissée là pendant quatre ans à continuer de servir ceux que j'voyais comme responsables de ta mort pour mieux les baiser, j'ai risqué ma peau ces derniers mois au point de faire un truc que j'me pardonne même pas, juste pour foutre ma famille à l'abri. Alors qu'on aurait pu se tirer comme Bonnie et Clyde, ensemble. Parce que je t'aurai suivie... » T'as envie de la repousser comme de fondre dans ses bras pour réaliser que c'est bien la réalité. Mais c'est bien la seconde option que tu choisis, enlaçant ce corps de toutes tes forces.

Tu aurais aimé que tout se passe autrement. Que ces quatre dernières années ne soient qu'un mauvais rêve. Mais il faut croire que la réalité est bien présente, et t'es consciente que tu pourras jamais rattraper le temps perdu. Que tout ce qu'elle pourra t'expliquer ne fera pas disparaître toutes les blessures que tu as dû panser maladroitement pour continuer de tenir debout. T'as rafistolé ton coeur à coups de corps enchevêtrés de temps en temps pour faire taire le mal intérieur. T'as foutu ton esprit en pause à chaque fois, agir comme un automate. Et ce soir, tout se pète la gueule. Les blessures refont surface, ta tête a repris du service trop rapidement. Les images de cette fameuse nuit où tu lui as dit adieu tournent en boucle. Le jour de son enterrement aussi. « T'as pas foutu ma vie en l'air. T'as foutu mon coeur dans une boîte de Pandore quand t'as fini six pieds sous terre. Enfin, quand t'as simulé ça... J'ai pas tourné la page. J'essayais, ces derniers temps, parce que j'devais faire mon deuil. Et t'es là. Et ça fout tout en bordel dans mon esprit maintenant. » Tu ne dis pas directement que ça t'a fait un mal de chien, mais c'est bel et bien le cas. Et c'est peut-être pire à cet instant précis parce que tout ça, c'était faux. Tu niches ton visage au creux de son cou, laissant toutes tes émotions couler le long de tes joues et s'écrasant sur sa peau dénudée. « J'aimerais.. mais va me falloir du temps... » Le temps de digérer cette histoire, ce qui peut ressembler à une trahison. Le temps de comprendre. Le temps, peut-être, de se réapprivoiser. Tu te dégages lentement de cette étreinte pour la regarder, retrouver ce que tu voyais dans ses pupilles avant. Pouces qui viennent dégager les larmes sur son visage. Ne plus savoir quoi dire.