Nous sommes là, assis, l’un en face de l’autre, dans cette atmosphère qui prête aux confidences. Et je suis toute ouïe, j’ai envie de le connaître mieux, de savoir tout ce qu’il y a à savoir sur lui. J’aime le mystère qui l’entoure, cela contribue sans conteste à son charme, cependant j’écoute attentivement cette voix pleine de charme qui petit à petit se livre à moi. Je le fixe intensément, mes prunelles le dévorent et toute mon attention lui est destinée. J’écoute ses mots et quelque part, je me reconnais dans ses paroles, notamment sur sa dernière phrase et je le lui fais remarquer. « La journée j’essaie d’être toujours occupée, mais si ça peut te rassurer, tu n’es pas le seul à cogiter la nuit. » En effet, être mère célibataire n’est pas toujours de tout repos, j’ai toujours des milliers de questions à l’esprit, ma fille sera-t-elle heureuse simplement avec moi ? Suis-je suffisante pour elle ? Ne fais-je pas fausse route sur son éducation ? Et à ces questions écrasantes se rajoutent les problèmes que rencontrent très certainement toutes les personnes de mon âge, les examens, les relations, la vie en général. Et puisque je ne suis pas de celles qui se fichent de tout, je me pose des dizaines de questions sur tout et mes pensées prennent le dessus en particulier lorsque je tente de rejoindre les bras de Morphée, la plupart du temps sans succès. « J’aimerai beaucoup voir tes dessins un de ces jours, si tu le veux bien sûr… J’aime beaucoup l’art en réalité… Sauf que moi, je n’ai pas de don, alors j’aime admirer ceux des autres. » J’ai essayé la chanson, mais c’est loin d’être fait pour moi. Je sais à peine dessiner et j’ai dû arrêter la danse au début de ma grossesse après avoir mis la vie de ma fille en péril à cause d’entraînements trop intenses. En un sens, j’ai été traumatisée par cet évènements et depuis, je n’ai plus jamais enfilé de chaussons de danse. Lorsque je frôle son bras, ma peau est traversée d’une onde de chaleur et je baisse les yeux comme pour vérifier que nous nous frôlons vraiment, qu’il ne s’agit pas seulement d’un tour que me joue mon esprit. Et c’est alors que ses mots m’atteignent de plein fouet. Je suis à la fois étonnée, bouleversée et ravie de l’entendre dire de telle chose. Il aimerait me revoir. Mon esprit se focalise sur ces quelques mots et prend un temps fou à traiter les autres. Il veut me revoir. J’ai envie de sautiller sur place, de crier ma joie, et pourtant je reste presque stoïque face à lui, curieuse de l’entendre poursuivre. J’ai senti un malaise dans ses propos précédent et je comprends alors que ce n’était pas qu’une impression. Il semblait bouleversé et je me rends compte qu’il l’ait véritablement. Il y a dans le temps de sa voix un petit quelque chose qui me donne envie de le serrer contre moi, de le rassurer sur le fait que je n’ai nullement envie d’écouter quelconque rumeur à son égard. Je ne veux en apprendre sur lui que de par ses propres mots, de par ses lèvres attrayantes. De toute façon, je n’écoute jamais les rumeurs, j’en ai si souvent été victime que je préfère ne pas y prêter attention, bien qu’elles soient parfois fondées. Et puis, qui sait, il serait sûrement plus à même d’en entendre sur moi, jeune maman célibataire, que moi sur lui. J’hoche la tête et attend la suite. Je lui laisse le temps de prendre une inspiration et de se lancer. Je ne veux pas le brusquer, j’ai tout le temps qu’il sera nécessaire à lui accorder. Parce que de toute façon, je n’ai envie d’être nulle part ailleurs. Je suis si bien, tout contre lui, dans la pénombre de cette nuit étoilée. Il se recroqueville sur lui-même et je comprends que ce qu’il s’apprête à me dire n’est pas le genre de choses que l’on peut raconter pour combler le vide d’une conversation. C’est ainsi que commence le récit d’une partie de son histoire, que j’écoute attentivement et sans à aucun instant le juger. Alors que les mots s’échappent les uns à la suite des autres de sa bouche, sans contrôler mon geste, ma main se pose sur la sienne. Je suis d’abord surprise par mon geste mais au lieu de retirer ma main, je caresse doucement du bout de mon index la paume de sa main. Mes yeux cependant ne le quittent pas. J’observe sa façon de parler, de bouger, d’être parfois mal à l’aise, mais de se livrer avec toute l’honnêteté dont il peut faire preuve. Et cela me touche profondément parce que je sens qu’il me fait confiance et que j’ai eu raison sur son compte depuis le début de la soirée. Notre relation semble être si profonde et pourtant si récente. Il m’inspire confiance, il m’accorde la sienne, et je comprends alors que cela est très certainement le début de quelque chose de précieux. Un lien que je ne peux pas palper mais que je sens se construire au fil des minutes, à mon plus grand plaisir. Mes lèvres esquissent un sourire sincère lorsqu’il précise que je suis un bon rebondissement dans sa vie. « Je pense que tout ce qui arrive a une raison. Et parfois ce sont les choses les plus douloureuses qui nous en apprennent le plus, qui nous font véritablement grandir… En tout cas, si les gens n’ont pas compris, et ne sont pas restés, c’est qu’ils ne voyaient pas qui tu étais… » Je suis sincère lorsque je prononce ces paroles. Quand on aime une personne, et plus encore lorsqu’il s’agit d’amitié, il faut savoir passer outre les blessures, il faut apprendre à pardonner, et ne pas demander aux gens d’être autres qu’ils ne sont. C’est si primordial d’aimer les gens pour ce qu’ils sont, et de ne jamais juger leur façon d’être ou de faire. J’ai appris cela au fil des années, et j’ai surtout appris que les gens qui ne restent pas près de nous à cause de nos choix ou de nos décisions, ne nous méritent pas. A ses derniers mots je me rends compte de mon erreur. Lui cacher Molly ne peut pas se trouver être une bonne chose. Il a raison, j’ai une face cachée, et pas des moindre. Puisque celles-ci mesurent près de soixante centimètres. J’inspire profondément. Ma main quitte machinalement la sienne, j’entoure mes jambes de mes bras et secoue légèrement la tête. Mais je ne dis rien. C’est tellement difficile. Une part de moi rêve de lui annoncer la vérité, mais je suis si bien ce soir, si proche de lui, que lui avouer la présence de ma fille me semble être un risque important. J’aime Molly et je suis fière de mon chemin jusqu’ici. Je n’ai nullement honte d’être une mère célibataire mais les hommes eux ont un mal fou avec cela. Et j’ai tellement envie de croire qu’avec Ethan les choses pourraient être différentes. Je n’ai pas envie de le décevoir avec cette nouvelle et je n’ai pas non plus envie qu’il réagisse mal. Sa présence est devenue en si peu de temps indispensable, c’est inexplicable. « Je vais t’avouer que tu es aussi un rebondissement dans ma vie, et sûrement le meilleur depuis bien longtemps. J’ai envie de te revoir, et d’apprendre à mieux te connaître, mais je dois te dévoiler la face cachée d’Evelyn Campbell avant cela… Je pense qu’être honnête est la meilleure solution… Cependant ce n’est pas évident à dire… Mais puisque tu me dis pouvoir tout encaisser… » J’espère que c’est réellement le cas et surtout que cela ne changera pas son regard sur moi. J’espère que c’est possible tout du moins… Je caresse machinalement mon bras droit comme pour me rassurer intérieurement. Alors que j’ai du mal à commencer, il poursuit. Il arrive à respirer de nouveau. Ces mots me font plaisir, c’est un peu comme un début de déclaration et je prends petit à petit confiance en nous… Il ne manque plus qu’à me lancer. « C’est l’effet que cet endroit fait… » Dis-je doucement, avant de prendre mon courage à deux mains. « Pour ma part, je suis New Yorkaise, j’y ai vécu ces vingt dernières années. Il y a deux ans ma vie a été plus ou moins bouleversée. J’ai perdu mon père… Ça a été difficile et puis j’ai rencontré un homme. Un homme qui est partit sans demander son reste après quelques semaines. Je savais que les choses finiraient ainsi alors je n’ai pas vraiment souffert de son départ… » Je ferme les yeux. L’air frais caresse mon visage et je tente de puiser la force nécessaire dans le visage de Molly qui s’affiche dans mon esprit lorsque mes paupières sont closes. « Cependant, je suis tombée enceinte. Et je ne voulais pas avorter, c’était trop difficile pour moi. Aujourd’hui, Molly a un an et je l’élève seule depuis sa naissance… Comme tu peux t’en douter ce n’est pas le genre de chose qui attire les hommes… » Je hoche les épaules, les yeux toujours clos. « Mais je ne pense pas que ce soit réellement pour ça que je sois seule. Je pense juste que je ne veux pas amener dans la vie de Molly n’importe qui. D’ailleurs je ne parle pas de ma fille aux hommes que je rencontre, en général. » Je n’ose pas le regarder, affronter son regard, sa réaction m’est pour le moment trop difficile. Si jamais il décidait de partir, là maintenant, je ne l’en blâmerai pas, cependant je serai déçue tout de même. J’ai décidé de lui en parler parce que j’ai senti que cette fois ci c’était différent, mais l’idée de m’être trompé m’effraie tout de même. Finalement, j’ouvre grand les yeux et plonge mes yeux dans les siens. « Peut-être aurais tu préféré un peu de censure… »
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