Temperature rising

Ça y est. Nous y sommes.

ENFIN ! Je vous jure, je commençais à avoir de l’urticaire tellement je trépignais d’impatience.

Ah ouais, et depuis quand tu « trépignes d’impatience » à l’idée de jouer les greluches en talons ?

Depuis que j’ai une cavalière ! C’était le seul truc qui me manquait, à vrai dire, puisque j’avais déjà l’œil sur une tenue depuis l’annonce du thème « Avatar ». Un costume sans manches iridescent, qui fera fureur sous les spots lumineux de la salle. Niveau maquillage, j'ai essayé de rester dans le thème : fard à paupières bleu et violet métallique, en plus de quelques paillettes et étoiles sur mes pommettes.

Depuis l’autre soir où Tee a accepté mon invitation… j’avais hâte que le bal arrive. J’irais même jusqu’à dire que ça m’obsède depuis la semaine dernière !

Qu’elle t’obsède, tu veux dire ?

Non, le bal, enfin… raaaah, oui ok, un peu les deux. Autant notre rencontre au Mexique m’avait laissé une impression de rêve, de folie estivale qu’on n’est pas sûr d’avoir vraiment vécu ou imaginé, autant notre soirée chez moi est encore très, très prégnante dans mon esprit.

Surtout la deuxième partie, hein ?

Chut. Depuis, je suis comme sur un nuage, et mêmes mes collègues du Queer Lips l’ont remarqué. Oups. Mais… ça fait du bien, d’avoir un crush. Après Elinor, il y a quelques mois, je m’étais fait la promesse de ne plus m’attacher à qui que ce soit pendant un bon moment. Mais vous savez comment c’est… on croit pouvoir tout contrôler alors qu’en réalité, on ne contrôle que dalle.

J’avais envie de faire les choses en grand - parce que oui, j’ai envie de l’impressionner. Alors j’ai réservé un taxi - désolée mais les limousines étaient vraiment hors de prix - et proposé de la chercher chez elle. Comme dans les films, quoi. Manque plus qu’un corsage à son poignet, et on sera vraiment dans un remake de « Elle est trop bien ». Non, je n’en ai pas acheté : je suis consciente qu’on est à la fac et pas au lycée, quand même.

Bref, je suis dans le taxi, en route vers chez Tee. Et lorsque j’arrive devant l’endroit indiqué, je sors du véhicule et me dirige vers la porte d’entrée du haut bâtiment en priant pour ne pas me casser la gueule en chemin. Ce serait bête de se fouler la cheville avant d’aller danser. Je lui envoie un message pour lui annoncer que je suis là, patiente, et lorsque la porte s’ouvre, j’ebauche un large sourire.

─  Bonsoir…

Je me permets de l’observer de la tête aux pieds, et j’en ai presque le souffle coupé, même si je fronce légèrement les sourcils en avisant la… sobriété de sa tenue. On dirait qu’elle se rend à un événement VIP, style première d’un film, plutôt qu’à un bal étudiant à thème !

─  Je déteste Avatar, tu ne m’en veux pas ? dit-elle en guise d’explication.

QUOI ? C’est un des chefs-d’œuvre de James Cameron. Le mec qui a réalisé Titanic, quand même.

─  J’suis un peu déçue de ne pas te voir en justaucorps bleu pailleté mais bon, t’es canon quoi que tu portes.

Je dépose un bisou sur sa joue et serre doucement ses doigts entremêlés aux miens.

─  Tu veux que j’appelle mon chauffeur ?

Là, c’est mon front qui se plisse. Elle a bien dit « mon » chauffeur ?!

─  Euh, je suis venue en taxi ; il nous attend juste là.

J’esquisse un vague mouvement vers la rue, où le véhicule noir lustré patiente en faisant ronronner le moteur. Hm, et la pollution, alors ?!

─  T’as un chauffeur personnel ? Va falloir que tu m’expliques deux-trois trucs sur le trajet, hein…

Déjà, je l’entraîne vers le trottoir, sans lâcher sa main. Je ne sais pas ce que nous réserve cette soirée, mais une douce chaleur se propage dans ma poitrine à l’idée de la passer à ses côtés. Et encore une fois, j’ignore si je devrais être enchantée, ou flippée qu’elle me fasse cet effet. Une chose à la fois, je suppose ? Mon psy m’a dit qu’il fallait que j’essaie de me focaliser sur le moment présent. Alors, c’est ce que je compte faire ce soir.

Je ricane quand elle me parle d’interrogatoire. Allons, je n’irais pas si loin… mais c’est vrai qu’elle est de plus en plus intrigante, et que ça attise le feu de ma curiosité. D’abord vendeuse de cupcakes et maintenant, madame a son chauffeur personnel ?! Ça mérite quelques réponses, non ?

Je fonds comme glace au soleil lorsqu’elle joint ses lèvres aux miennes, profitant de leur douce chaleur et prolongeant le baiser quelques secondes de plus. Ce n’est que lorsque le conducteur s’éclaircit la gorge que je coupe le contact, m’écartant de quelques centimètres - non sans réticence.

─ Vers le campus de Harvard, s’il vous plaît, j’indique au type qui paraît encore plus embarrassé que moi.

─ En route ! clame-t-il avec emphase en hochant la tête.

Il s’engage dans la rue, mais dans ma tête, je nous imagine dans une calèche, et le mec vêtu comme un majordome. Ce qui me rappelle…

─ Alors… t’es une princesse, ou quelque chose du genre ? C’est quoi l’histoire ?

Ou plutôt : c’est quoi TON histoire, Tee, dont je ne connais même pas le nom de famille ?

Ça semble beaucoup l’amuser que je sois fana de Disney ; mon côté « imagination débordante » se dévoile sans même que je m’en rende compte, mais Tee le constate aisément dans mon choix de vocabulaire. Ouais… je suis rêveuse à plein temps, et je ne m’en cache pas !

─ Les deux te vont bien, j’admets avec malice. Cela dit, ça ne répond pas à ma question…

─ Bon d’accord, ok. Mais faut me promettre que ton regard ne va pas changer.

Comment je pourrais lui promettre un truc pareil ? Ce n’est pas vraiment quelque chose qu’on contrôle… et pourtant, pour qu’elle se contente de satisfaire ma curiosité, je ne réponds que par un hochement de tête. A-t-elle vraiment peur que je la voie autrement une fois son secret révélé ? Elle a sûrement dû en faire l’expérience, sinon, ça ne l’inquiéterait pas tant.

─ WPP Group, tu connais ?

─ Non. C’est quoi ?

Ou qui ? Je n’en sais rien ! Mais rien qu'au nom, ça a l’air d’être une boîte importante, style Hilton ou truc du style. Alors, serait-elle une riche héritière ?

Ah ouais. Rien que ça ! Et la fille du patron, en plus... elle n'a pas fini de me surprendre. C'est quoi, la réaction adéquate ? Aucune idée. Donc je me contente de l'écouter jusqu'à la fin sans broncher. Un chauffeur attitré. Ça doit être sympa, pour éviter les transports en commun ! Cela dit... ça me fait tiquer. J'suis pas sûre de ce qui me perturbe le plus : qu'elle ait grandi dans l'opulence, ou qu'elle semble si à l'aise avec le fait de profiter de son statut.

D'un autre côté, pourquoi ne le ferait-elle pas ? Si j'avais un chauffeur attitré, sans doute que je m'en servirais aussi ! Toutefois, est-ce que j’en parlerais avec la même désinvolture ? Ou est-ce que je le cacherais comme un secret honteux ? Non qu’elle ait des raisons de le faire, mais… ARGH. Pourquoi ça me fait bizarre ?! Je dois être en proie à des préjugés que j’ignorais avoir : « si t’es riche, t’es forcément pourri gâté, et egoïste, blablabla. » C’est débile, je sais. J’ai juste peur de me rendre compte de choses que je n’avais pas remarquées jusque-là, d’un fossé entre nous que je n’imaginais même pas. Et c’est exactement pour ça qu’elle t’a fait promettre de ne pas changer de regard sur elle !

J’essaie de maîtriser mon expression faciale pour ne rien laisser paraître, et je crois que j’y parviens plutôt bien, même si elle a sûrement noté mon air surpris. C’est dans ce genre de moments que j’aimerais avoir une meilleure « poker face ».

─ Waouh, ok ! J’sais pas quoi dire.

Bah, tu pourrais lui demander, par exemple : ça fait quoi de grandir avec une cuillère en argent dans la bouche ?

Tais-toi, Conscience.

─ Et… tu t’entends bien avec lui ? Ton père, j’veux dire.

Ou est-ce un type véreux comme j’imagine la plupart des PDG ? Bon sang, encore ces satanés préjugés ! On approche du campus… donc je suppose que la conversation « histoires de famille » va vite être écourtée.