Je sais que si je veux réussir à vivre - et non plus survivre - il va falloir que je me bouge et fasse tout ce qui est en mon possible pour me former d’une manière ou d’une autre. Je ne sais même pas ce que je veux faire dans la vie. Enfin, si. Je veux danser, je veux chanter, je veux être sur le West End et gagner ma vie ainsi. Mais ce n’est pas - plus - possible. J’ai besoin de gagner de l’argent rapidement et assez pour subvenir aux besoins de Rosalia - et aux miens aussi, par la même occasion. C’est difficile mais j’espère qu’avec le départ des étudiants en vacances, les jobs sans réelles formations seront disponibles pour celles qui, comme moi, ne partent pas se la couler douce sur une place en Afrique. J’aimerais pouvoir le faire mais pour le moment, c’est mort. Ah ouai ? La danse a toujours mon envie, mon option et ma voix que je ne me suis jamais intéressée au reste. Je ne compte pas devenir avocate ou médecin de toute façon. Mais peut-être que quelque chose de manuel me conviendrait. Je ne sais pas trop. Je suis danseuse de base alors je t’avoue que je n’y connais rien là-dedans… Que je confie au jeune homme avec un sourire sur le visage. Pas désolée de mon parcours mais peut-être un peu de ne m’être jamais intéressée à quoi que ce soit d’autre. Aujourd’hui, je me rends compte que ça aurait pu me servir. Mais je ne peux pas regretter ce qu’était ma vie, je ne la changerai pour rien au monde. Alambiquée ? Que je souffle avec un léger sourire. Bon, ok, c’est un mot peu utilisé mais c’est le genre de chose qui sort malencontreusement de ma bouche sans que je fasse attention. Tordue. Genre si c’était ta façon de me demander mon numéro, c'est vraiment tordu. Que je souffle avec un sourire, buvant une gorgée de ma boisson pour me détendre un peu. Est-ce que ce n’est pas moi la folle à parler ainsi ? Je ne sais pas trop. En tout cas, je ne veux pas trop réfléchir et juste profiter du moment. Colin est sympathique alors je me concentre là-dessus. Ses gestes m’arrachent un sourire et regarde son dessous de verre avec un sourire. J’ai pas de stylo mais… De mon ongle, j’appuie fort sur les parties imbibées d’alcool du sous verres et cela laisse une petite marque. Ça me suffit pour en rire et lui tendre. Voilà c’est signé ! Guillerette, presque enfantine, je retrouve enfin ce moment de douceur que je n’avais pas ressenti depuis de longues semaines. C’est vraiment agréable. D’accord, je note. Voiture mais pas difficile. Je lui souris en remballant mon cellulaire maintenant que j’ai son numéro et que la discussion avance. Fais gaffe, je vais demander à tous les garages que je croise. Que je souffle au jeune homme en riant doucement, le pensant vraiment. Et à sa question, je dis Franchement ? L’idéal serait dans une salle de spectacle, à l’accueil d’un centre aéré, ce genre de chose… J’adorerais pouvoir travailler dans un centre aéré mais je n’ai pas le diplôme nécessaire alors peut-être que l’accueil ça pourrait le faire ? Je lui pose la question en quelque sorte parce qu’il en sait peut-être plus que moi. Je me dis juste que travailler avec des enfants, ça peut être intéressant, divertissant aussi. Mais je t’avoue que là, même caissière ça me va. Que je balance en buvant une nouvelle gorgée de mon cidre. Je dénigre pas leur travail hein, loin de là. Mais c’est pour dire que je ne serai pas très regardante sur le job. Je vais pas refuser un truc sans réelle raison tant que le salaire est correct. Parce qu’il faut payer les factures. Ça devient critique. Zach m’a proposé du fric mais je n’ose pas accepter. Je veux être indépendante au maximum, tout ça. Du coup, t’es mécano ? C’est bon à savoir vu la vieille bagnole que je me trimballe… Peut-être que cette soirée au Lord Hobo va m’apporter plus que ce que je n’aurais pu imaginer.
Oui. Je ne sais pas exactement quelles options sont disponibles mais j’ai commencé à travailler à l’âge de quinze ans, avec deux jours en cours et trois au garage chaque semaine. J’ai en tête pas mal de métier manuel et peut-être plus pour les hommes comme électricien, mécano, plombier, carreleur et compagnie mais il doit bien y avoir d’autres options pour les femmes auxquelles je ne pense juste pas. Non seulement je ne m’y suis jamais intéressé mais surtout, je me sens toujours un peu déconnecté de la réalité. C’est la première vraie conversation banale que je tiens depuis mon retour, pour la bonne et simple raison que Love ignore tout de mon histoire, et ça fait un bien fou. Pour une fois, tout ne tourne pas autour des papiers qu’il me faut récupérer, je ne reçois aucune question indiscrète sur ces deux dernières années. La seule chose qui l'intéresse - si on peut dire - est la personne qui se tient devant elle là, ici et maintenant. Cela me fait presque oublier la bulle dans laquelle j’ai vécu pendant vingt mois et celle dans laquelle je me suis enfermé depuis le retour afin de protéger les miens et me protéger. T’inquiètes, j’avais compris où tu voulais en venir. Dis-je en riant. Je manque peut-être de vocabulaire mais cela ne fait pas de moi un idiot, du moins je ne pense pas l’être. C’est certain qu’il ne faut pas compter sur moi pour un jeu de culture générale mais j’ai de la logique et c’est parfois plus important que les connaissances. J’ai coupé mes ongles hier, je ne peux pas faire pareil. Dis-je pour m’excuser. Ne me reste que les dents et il est hors de question que le sous-verre approche de ma bouche. Je n’ai pas survécu à tout ça pour succomber à une maladie infectieuse chopée dans un bar. Mais tu as ma parole. Pour ce qu’elle vaut. La parole d’un inconnu rencontré il y a approximativement vingt minutes, la brune peut en faire ce qu’elle souhaite. N’importe quoi pourvu que ça paye plus ou moins correctement. Ce qui ne devrait pas être si compliqué à trouver mais malheureusement, dans les temps qui courent, les boulots ne tombent pas du ciel. Il faut pouvoir se démarquer, sortir son épingle du jeu et je n’ai aucun doute sur les capacités de la brune à le faire. Tu as déjà tenté les théâtres du coin ? Il y a en a quelques uns. J’imagine que c’est par là qu’elle a commencé mais sait-on jamais. Je garderai l’oreille tendue si j’entends quoi que ce soit qui puisse lui plaire mais ce n’est pas vraiment sur mes amis que nous allons pouvoir nous reposer, car je ne pense pas en compter énormément. Je suis d’ailleurs le seul à blâmer, n’ayant pas encore eu la force de renouer avec tout le monde. Oui. J’ai fait mes études pendant trois ans en parallèle du boulot, où j’étais formé aussi, et puis et ils m’ont engagé. J’ai passé quatorze années avec eux. C’était un peu la famille et il serait si simple de passer la porte et demander s’ils ont une petite place pour moi, seulement pour une raison que je ne m'explique pas, je ne me sens pas capable de reprendre là. Je suis parti deux ans et je ne sais pas… J’ai envie de changement, je crois. J’ai surtout envie d’un vrai nouveau départ, plutôt que d’essayer désespérément de retrouver le passé. Si je ne trouve rien d’autre, je finirai par aller frapper à leur porte. Quand je serai certain qu’ils ne m’ont pas démasqué pour mes petites activités sur le côté, du moins. Ça te plait, Boston ? En dehors de l'obligation d'être là contre ta volonté, de ce que j'en déduis. Elle n'a pas à me donner le moindre détail, c'est surtout la question qui est à retenir.
Je pense que si je n’avais pas pris le chemin de la danse et de l’art, c’est vers ce modèle d’étude que je me serais dirigée. Je n’ai jamais été franche bonne à l’école, trop distraite et peu appliquée. Il faut dire que mon enfance tout sauf stable ne m’a pas aidé pour mon cursus scolaire. Il n’y avait que la danse qui m’aidait, qui me faisait gérer mes émotions puisque cela était presque impossible avec ma mère. Je me demande vraiment où je me trouverai si je n’avais pas eu cela pour me défouler. Je ne prends pas trop de temps à penser à tout cela parce que cela ne sert strictement à rien de fabuler, de penser à tout et rien, à ce qui aurait pu arriver et n’est pas arrivé. Si mon père biologique n’avait pas brisé le cœur de ma mère, je ne serais probablement pas dans ce bar à compter mes dollars pour m’assurer que je suis bien capable de payer un verre à Colin une fois qu’on aura fini ceux-là. J’en ai entendu des histoires sur mon géniteur mais c’est ce qu’elles sont restées : des histoires. Et je préfère me concentrer sur le présent. Je ris à sa remarque et souffle Pas de signature de contrat alors pour toi… Et m’en voilà presque triste. Je trouvais cela presque drôle mais me voilà rapidement coupée dans mon délire - ou ma demi ingéniosité parce que le carton va se gonfler à nouveau en séchant. Ta parole fait l’affaire alors. Que je dis rapidement avant de voir les quelques termes de notre contrat. Il faut que ça paye, là-dessus aucun doute, parce que les factures ne se payent pas toutes seules. J’aimerais que ce soit le cas mais ce n’est pas la réalité, pas la mienne du moins. Oui, ils ne cherchent personne pour le moment. C’est bientôt les vacances, toutes les productions ferment, se terminent et les gamins ont bientôt leurs récitaux mais c’est tout. Et s’ils parlent des vrais théâtre, ceux que j’avais l’habitude de fouler, c’est difficile de s’incrustrer dans une production qui n’a pas besoin de qui que ce soit. Je vais retenter ma chance à la rentrée, peut-être que s’il y a trop d’enfants qui veulent des cours, ils seront obligés d’ouvrir une nouvelle classe ou autre… C’est vraiment ce que j’espère. Et c’est bien pour cela que je file dans toutes les écoles de danse du coin, traversant la ville en bus. Et pour les productions en cours, il n’y a aucune place. Avoir une place reviendrait à espérer que quelqu’un aille sur Broadway, ce que je leur souhaite, ou se blesse. J’ai beau vouloir retrouver un job digne de ce nom, je n’en suis pas à espérer que les gens se blessent pour que mes pieds se retrouvent sur une scène à nouveau. Si t’as envie de changement, c’est le moment ou jamais. Que je souffle, admirative qu’il soit prêt à laisser quatorze ans d’ancienneté se faire la malle pour une envie qui sera peut-être passagère. Mais en même temps, si son nouvel employeur ne lui tente pas, il pourra toujours tenter de faire les yeux doux à l’ancien. Je rêverais de faire la même chose mais c’est tout bonnement impossible. Et face à sa dernière question, j’hésite quelques secondes. Je peux être honnête ? Que je souffle. Je n’attends même pas vraiment qu’il acquiesce que je dis Pas vraiment. C’est pas pour moi. C’est trop petit, ma vie n’est pas là et j’ai peur qu’en étant loin des planches trop longtemps, je n’en trouve plus jamais le chemin. J’ai grandi ici et quand je suis partie, je me suis promis de ne jamais revenir. J’étais enfin libre. Ce que je ne suis définitivement plus du tout. Je grimace légèrement et souffle Et toi ? si tu es de retour ici c’est que ça t’a manqué ? Et donc que ça lui plaît. C’est ce que j’en déduis, buvant une nouvelle gorgée de cidre pour me désaltérer et laisser le goût amer de cette révélation passer.