One step at a time ft. Haley (20.05)

Le sourire de Ji-hun s’afficha de manière instantanée lorsque, dans l’ascenseur qui menait à la bibliothèque, Haley l’interrogea sur les équipements scientifiques de la République populaire démocratique de Corée. Il leva les yeux sur le plafond de la cage métallique, mimant la réflexion, avant d’aspirer un peu d’air entre ses dents. Dans mes souvenirs , commença-t-il, prêt à décrire un monde bien moins évolué que ses souvenirs lui rendaient comme images, des lentilles superposées, entre deux doigts, pour observer le monde infiniment petit, on utilise encore. Il acta de ses pouce et index la façon dont, dans des siècles antérieurs, ils analysaient les cultures microscopiques. Comme ça, à peu près , se montra-t-il concentré pour arrondir ses phalanges à la bonne grosseur, et tout, de tête, on calcule. Bien évidemment. Son esquisse s’élargit, parce qu’il se doutait que la jeune femme ne le prendrait pas au mot ; trop intelligente pour ça. La Corée – sa Corée, à l’avant-garde des sciences et technologies elle se place. Parole du Leader.

Depuis l’année 2016, le Maréchal Kim définissait les sciences et la technologie comme élan d’un pays riche et puissant. Un centre avait été construit en moins d’une année par les militaires pour assurer l’avenir prospère et indépendant de la nation. Si longtemps l’accent avait été mis du côté de la force armée, la science avait de plus en plus un rôle à jouer. Véritables héros aux yeux de la population, les scientifiques avaient gagné en popularité, notamment les spécialistes en nucléaire, balistique et informatique. Les équipements étaient plus que sophistiqués pour ce faire, et Ji-hun avait eu le droit d’œuvrer sur des outils dernier cri. Il était fier, encore loyal malgré tout, et reconnaissant. Un nord-coréen pas si différent du patriote américain finalement, si ce n’était que ça paraissait incompréhensible – au nom de quoi ? À des ouvrages occidentaux, on avait accès , l’informa-t-il, même s’ils avaient été soigneusement choisi. Le nord de la péninsule n’était pas totalement fermée au monde, les bases de données étaient tout simplement sous contrôle.

Les portes s’ouvrirent et le brun suivit sa guide, se dirigeant vers les portes de la bibliothèque de la faculté. Le bal tint sa place dans la conversation, et l’Asiatique eut l’occasion de confier qu’il était loin d’être intéressé par ce genre d’événement – pas cette année en tout cas. Le choc culturel était déjà immense. Rien à voir avec l’argent donc, puisqu’il avait plusieurs façons de financer un costume. Oh, se rappela-t-il qu’il n’avait pas mentionné où son père se trouvait, en Corée du Sud, il habite. Ce qui facilitait les échanges monétaires, forcément. Ne t’excuse pas , la supplia-t-il lorsqu’elle crut entrer abusivement dans le vif du sujet, si mon pays de provenance la Doyenne t’a confiée, que je n’ai rien à te cacher elle doit penser. Haley devait être une personne à qui Ji-hun pouvait divulguer sans craindre que ce soit répété dans toute l’université, tout l’état, tout le continent ; les répercussions seraient énormissimes. Et puis ce livre qui lui permit de s’évader dans une passion qu’il n’avait que très peu démontré jusqu’ici, jusqu’à reposer le bouquin.

On peut, demanda-t-il, étonné. Il n’était pas sûr que sa carte étudiant sur la session de cours intensifs puisse lui permettre de l’emprunter toutefois. Ça tu ferais, fut-il étonné ; d’utiliser son badge pour l’autoriser à arpenter les chapitres de l’ouvrage. Sur une terrasse on doit se rendre après, lui rappela-t-il qu’il avait proposé de l’inviter à boire une boisson – chaude ou fraîche- pour la remercier d’avoir offert de son temps. Il reposa son regard sur la couverture et secoua la tête après avoir mûrement réfléchi : ma manière d’être certain de te revoir ce sera. Il viendra le prendre à la rentrée, et cherchera après la brune dans l’étage,  ceux du dessous, ceux du dessus, et l’invitera à passer du temps avec lui. Il voulait voir le laboratoire de recherches, mais se ravisa. Un peu soif ça a donné, cette visite non, suggéra-t-il indirectement à la jeune femme qu’il était temps pour eux de s’évader de l’immeuble de médecine, un endroit où se poser, tu pourrais nous emmener ? L’un de ceux où elle adorait passer du temps.

Le sourire de Ji-hun s’afficha de manière instantanée lorsque, dans l’ascenseur qui menait à la bibliothèque, Haley l’interrogea sur les équipements scientifiques de la République populaire démocratique Les phrases d’Haley sonnèrent étrangement dans la tête de Ji-hun. Taire et/ou inventer des faits n’avaient jamais été des options possibles dans la vie du nord-coréen. Il ne servait à rien de cacher, car la délation était monnaie courante dans son pays, à tel point que certaines personnes se voyaient même dénoncées par des membres de sa propre famille, parce qu’ils avaient espoir de gagner certaines faveurs du dirigeant. Les concierges et ascensoristes n’étaient autre que des employés dont la principale activité était d'espionner les résidents et les visiteurs. Ils rapportaient ce qu’ils avaient vu et entendu sans le moindre remord. La surveillance des citoyens se faisait par toute sorte de biais, et le brun avait lui aussi fait sa part du travail, jusqu’à mener sa première partenaire sexuelle, et sa famille toute entière, sur le peloton de la mort. On ne risquait rien à avouer qui on était, sauf si notre attitude et nos actes allaient contre les lois du régime. Son erreur avait été de décrire à son camarade la scène de sexe, aperçue dans un film américain interdit, visionné par ses parents, qu’elle aurait aimée reproduire avec lui.

Alors cette recommandation, il l’entendit mais ne la comprit qu’à moitié. Pourtant, elle n’avait pas été la première à la lui conseiller, l’association et sa famille d’accueil l’avait prévenu aussi. Et il se rappela de ce regard plein de jugements de la personne de l’immigration qui avait été chargée de constituer son dossier du Japon pour les États-Unis, de toute cette haine pour les disparus nippons, capturés – kidnappés – par les citoyens du Nord de la péninsule coréenne. Il hocha simplement la tête, affirmant un accord plus ou moins partagé avec l’étudiante en médecine vétérinaire, puis vint le sujet du livre qu’il n’avait pas eu l’occasion d’avoir à portée de mains, de cette possibilité de l’emprunter sous le nom de sa guide – et du sien plus tard. Mais il avait un tout autre plan : celui de revenir dans cette bibliothèque avec l’espoir d’y retrouver la jeune femme à ses côtés. Les réseaux sociaux arrivèrent à se glisser dans la discussion, et il avoua avoir eu l’occasion d’y céder, d’ores et déjà. Aux réseaux sociaux, et pas que. Il s’était inscrit sur des sites pour multiplier les rencontres ; c’était chouette comme façon de rencontrer d’autres personnes !

Finie la visite guidée, il était prêt à mettre de côté le laboratoire de la faculté de médecine pour un moment plus sympathique en compagnie de l’amoureuse des animaux. Ascenseur repris en marche arrière, elle lui présenta celui qui, à ses yeux, était le meilleur café de tout le campus. Tous, je pense que je les goûterais, de toute façon, rit-il. Parce qu’il en aura bien besoin lorsque son contrat doctoral aura débuté, les heures de travail ne pourront plus être comptées . Il choisira le plus rapide, le plus proche ou celui avec le moins de file d’attente au moment venu ; et tant pis si l’or noir aura un goût de flotte. Ils firent la queue de façon à commander une boisson chaude et s’installèrent à une table pour davantage se connaître, en-dehors du rôle qu’ils jouaient sur Harvard. Ji-hun là trouva plaisante, à regarder, à écouter. Tant et si bien qu’ils ne connurent aucun blanc jusqu’au moment où ils eurent obligation de se quitter – jusqu’à la prochaine fois.