Break it or make it

Est-ce que j’ai pensé à elle depuis le Spring Break ? Évidemment. Est-ce que j’ai pris l’initiative de la contacter ? Nope, et autant vous dire que je ne m’attendais pas à voir son compte s’afficher dans mes notifications Meetsa quelques jours après notre rencontre. Ça aura pris plusieurs semaines avant qu’on ne commence à parler, mais c’était uniquement parce que je voulais que ça vienne d’elle… Oui, je voulais voir si elle s’était abonnée par curiosité, ou vraiment dans le but de reprendre contact avec moi. Et bingo, c’est elle qui a fait le premier pas. Cette nana provoque différentes émotions en moi, et tandis que certaines sont absolument basées sur le désir et l’envie de la revoir, d’autres sont basées sur la peur. De quoi ? Je l’ignore encore. Peut-être que je n’aime pas cette impression de perdre le contrôle quand je suis en sa présence… mais qui sait ? Si ça se trouve, les choses seront entièrement différentes ce soir. Ça fait un mois qu’on a partagé une nuit, un mois pendant lequel les souvenirs sont devenus de plus en plus flous. Et si j’étais mieux dans sa mémoire ? Et si l’alcool avait fait ressortir des côtés de ma personnalité qui seront absents aujourd’hui ?

Tu flippes pour rien.

Ouais, je sais. Comme d’hab !

Je relis ses derniers messages en mordant ma lèvre inférieure.

J'aime le désordre, sinon
C’est plus vivant qu'un appart témoin
Parfait alors si ça te va

Il est 19h55. Je suis passée dans l’appart’ comme une tornade en rentrant des cours, anéantissant piles de fringues, vaisselle sale et autres trucs et machins qui n’ont rien à foutre sur le sol, ni dans mon lavabo. Hors de question que je passe pour une grosse négligée : c’est juste que j’ai été plutôt occupée ces derniers temps avec les révisions ! Mais oui, bien sûr.

Quoi ? C’est vrai ! Depuis ma convocation chez le doyen l’autre jour, je mets le paquet pour ne pas plonger complètement au niveau de mes notes. Sauf que j’ai beaucoup de retard à rattraper… et la motivation d’une tortue à une course à pied. Advienne que pourra, hein ?

J’ai acheté une bouteille de vin et des bières, parce que j’étais incapable de déterminer si Tee était plutôt le genre à boire l’un ou l’autre. Vous allez me dire, j’aurais pu lui demander directement. Sauf que j’ai décidé de ne plus rien lui demander depuis qu’elle m’a remballée quand je lui ai proposé de m’accompagner au bal. Non, je ne me suis toujours pas remise. Espérons que cette soirée soit une réussite, même si j'ignore totalement ce qu'elle en attend...

Ces deux mots réveillent les papillons qui dormaient dans mon ventre. J’appuie machinalement sur le bouton d’ouverture des portes au rez-de-chaussée, avant de lui glisser le numéro de l’étage : le septième. Puis, j'essuie mes paumes moites sur mon pantalon, avant de me précipiter vers l’entrée. Je passe mes mains dans mes cheveux afin de leur rendre leur volume, et baisse les yeux vers ma tenue du jour : débardeur blanc duveteux et jean clair. Depuis mon retour de Cancùn, je refuse de porter autre chose que des T-shirts, shorts et marcels, même si nous ne sommes qu’en avril. Au moins, la semaine prochaine, je serai en Californie ! Personne ne me regardera de travers, là-bas.

Mon cœur accélère légèrement sa course lorsque j’entends des pas dans la cage d’escaliers, et je déglutis avant d’ouvrir la porte et d’arborer un sourire que je veux aussi confiant que la dernière fois qu’elle m’a vue.

— Hey !

Bon sang. J’avais oublié qu’elle était super jolie. Avec surprise, je découvre qu’elle a apporté… des cupcakes ? Moi qui hésitais entre la bière et le vin, j’étais loin du coche !

— Waouh, c’est toi qui as fait ça ? Viens, entre.

Puisque j’ignore si je suis censée l’accueillir par une accolade, l’embrasser ou autre chose encore, je m’écarte pour la laisser passer, mon estomac se serrant subrepticement quand je me rappelle qu’elle est en train de découvrir mon chez-moi. La représentation spatiale de mon être, quoi.

T’es toujours aussi intense ?

Non, mais sérieux. J’ai rangé mon bordel, mais ça reste mon espace sacré et intime, quand même.

T’inquiète, elle a déjà exploré ton espace sacré et int…

J’interromps la petite voix dans ma tête avant qu’elle puisse finir sa phrase quand je réalise que j’ai toujours mes lunettes sur le nez. NooOooOn ! Je cherchais à avoir l’air sexy et décontracté, pas à ressembler à une geek en train de réviser ses cours ! Y a des gens à qui les lunettes de vue vont super bien. Moi, je n'ai jamais réussi à les assumer. Je me tourne furtivement afin de les ôter et les glisse dans la poche de mon jean. Voilà. Maintenant, on respiiiire.

— Qu’est-ce que tu veux boire ?

J’suis d’accord. C’est toujours sympa d’avoir un dessert. Et non, je ne dis pas ça avec un sous-entendu, (bande de petits pervers.)

— T’es vendeuse de cupcakes, à côté de tes études ?

Je demande ça avec une pointe d’humour, parce que… je trouve ça drôle, en fait, que je ne sache absolument rien de cette fille. Du moins, à part le prénom et le statut d’étudiante. C’est fou comme on peut être proche de quelqu’un physiquement l’espace d’une nuit, et pourtant si éloignée de tous les autres points de vue.

Puisqu’elle n’a pas l’air exigeante niveau boisson, je nous ouvre la bouteille de vin qui patientait sur la commode, et emplit deux verres à pied, appréciant le « glouglou » du liquide rosé glissant dans les coupes. Je la rejoins ensuite sur le sofa en lui tendant la sienne.

— Merci, dis-je en réponse à son compliment.

Je l’admets volontiers : je prends soin de mon intérieur, même si c’est plutôt étroit. Couleurs vives, dessins et peintures d'artistes que j'apprécie, textures agréables au toucher… ça m’importe de vivre dans un endroit qui impacte positivement mon humeur.

— Quoi de neuf… depuis… le Spring Break ?

Mes pupilles se baladent sur son visage, en redécouvrant les traits avec curiosité. Ses cheveux sont retenus par une paire de lunettes de soleil, et elle ne porte que peu de maquillage, ou pas du tout - difficile à dire. Un body noir, un jean qui épouse ses formes et des bottines… en fait, je crois que ça me fait bizarre de la voir tout habillée.

La routine, hm ? Ça, c’est le genre de truc qu’on dit à quelqu’un qu’on connaît bien ; quand le quotidien de l’autre est connu, quand on sait qu’on n’a pas besoin d’expliquer ce que cette « routine » inclut. Ou alors… c’est le genre de réponse qu’on donne quand on veut cacher quelque chose. Mais avant que je n’aie le temps de creuser le sujet, elle contre-attaque avec un chapelet de questions. Cette fois-ci, c’est elle qui a réussi à me piéger. Et si j’ai pu me dérober au Mexique parce que je ne pensais pas la revoir, ça risque d’être plus compliqué maintenant.

Vous croyez que la réplique de la dernière fois fonctionnerait une seconde fois ? Non, moi non plus.

— Le bal, du coup, je suis invitée ? achève-t-elle de demander avec cette espièglerie qui fait carrément pétiller ses iris chocolat.

Un petit rire surpris m’échappe, et je détourne momentanément les yeux vers la télé, décorée d’une guirlande lumineuse multicolore. Cette fille a le don de me déstabiliser, et mon petit doigt me dit qu’elle le fait exprès.

— Je te propose de me donner une réponse à la fin de la soirée. Comme ça, t’auras le temps de réfléchir à si t’as envie de me revoir ou pas.

Pas de pression, laisser toutes les portes ouvertes… et reste plus qu’à espérer qu’elle me dira oui avant de repartir d’ici.

— J’suis étudiante, comme tu l’avais sûrement deviné. En art et techniques du sport. En fait… je fais de la boxe depuis que je suis petite. Je voulais devenir pro, mais comme tous les murs de la maison familiale sont recouverts de diplômes, je suppose que j’ai voulu y ajouter le mien. C’est ma dernière année… sauf si je redouble. Bref.

Je m’accorde une petite pause, le temps de déloger la boule qui obstrue ma gorge avec un peu de vin. C’est clair que mes résultats en ce moment sont loin d’être brillants. Mais je n’ai pas envie de penser à ça ce soir. Non, ce que je veux, c’est passer un agréable moment en compagnie de quelqu’un que j’ai hâte de découvrir davantage.

— Sinon, je bosse dans un bar : le Queer Lips, pas loin du campus. Et… ouais, j’ai vécu des trucs intéressants, ce dernier mois, surtout aux environ de mi-mars. J'étais un peu éméchée et je ne me rappelle pas tous les détails, mais peut-être que tu pourras me rafraîchir la mémoire.

Je ponctue mon allusion d’un mini clin d’œil avant de boire une nouvelle gorgée.

Si, si, je suis d’accord. Même si l’alcool avait au moins le mérite de booster ma confiance en moi. Puisqu’elle m’a dérobé mon vin et a pris position sur mes cuisses, je n’arrive pas à formuler une réponse cohérente : ni à sa question sur mon avenir d’étudiante, ni à sa dernière. Je pense de toute façon que les deux étaient rhétoriques… Tous mes sens sont réveillés alors que je m’habitue à son poids sur moi, toutes mes sensations exacerbées. Ses boucles qui effleurent ma peau quand elle approche son visage du mien, son parfum qui m’enivre à chaque mouvement, la chaleur de ses jambes calées sur les miennes.

Je glisse mes mains dans son dos et les fais remonter jusqu’à ses épaules, que je caresse du bout des ongles. Puis, d’une légère pression, j’invite ses lèvres à retrouver les miennes. En même temps, mes mains baladeuses s’aventurent autour de sa taille, si menue sous mes paumes.

Quand nos bouches se séparent, je suis hors d’haleine, comme si je sortais d’un marathon.

— T’es… surprenante.

Pas sûre de ce que j’entends réellement par-là, mais ce sont les premiers mots qui me viennent à l’esprit, et puisque ce dernier est totalement embrumé, je n’ai pas le temps d’empêcher cette pensée de passer la barrière de mes lèvres.

Prise d’une impulsion, je la soulève avec moi en me levant, et nous mène jusqu’au lit, pas bien loin derrière le salon et séparé d’une porte vitrée que j’avais laissée ouverte : au cas où. Ça a l’air de lui plaire que je sois boxeuse, donc autant jouer là-dessus. C’est vrai que j’ai pas mal de force dans les bras…

Avec autant de délicatesse que possible (ce qui plutôt aisé, vu que Tee est légère comme une plume), je nous fais basculer sur le matelas, qui nous accueille avec un grincement. Je ne pensais pas qu’on le rejoindrait si rapidement, mais il faut croire que l’alchimie entre nos corps ne tolère aucune prolongation. Au contraire, c’est comme si je ne pouvais résister à l’appel de la luxure en sa présence… et ça me rend complètement dingue.

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