TORREY ♦ I suppose everything is here forever till it goes away

TORREY & EACHANN

Faisant tourner une clope entre mes doigts, je m'arrêtais pour retirer ma veste. Il faisait plutôt chaud ce matin. Je pinçais la cigarette entre mes lèvres sans l'allumer. Un tic que j'avais conservé du temps où je fumais comme un pompier. Aujourd'hui, j'avais grandement réduit ma consommation. La journée ne faisait que commencer et pourtant, je portais déjà une caisse de copies à corriger sous un bras et un vieux bouquins que le prof titulaire voulait absolument que je lise. Bref... J'en avais déjà par dessus la tête. Mais bon, je suis quelqu'un qui s'ennuie vite s'il n'y a rien pour titiller son esprit. Sans doute un cadeau bonus de ma "super intelligence". Le prof de chimie me croyait hyper actif mais en fait, c'était juste que ce qu'il me disait je le savais déjà ou je le prévoyais. Du coup, ce mec était emmerdant à mourir à mes yeux. Bref. Je posais ma caisse sur un muret de pierres. De vieilles pierres. Tout à Harvard est vieux et sans l'histoire et la poussière. C’est bien, ça occupe un peu mes pensées. En roulant ma veste en boule, je jetais un coup d'oeil autour de moi et croisais le regard d'une jeune femme brune. Je lui souris, elle était plutôt mignonne. Seulement rien ne me préparait à sa réaction.

Ce regard croisé aurait pu être comme tous les autres : pétillant mais distant. La plupart des gens baisse les yeux ou détourne la tête quand je les observe de cette façon. Mais pas elle. Pas cette brune à la silhouette divine. La scène s'était déroulé très vite, trop vite pour que je puis assimiler les informations. Et pourtant, je suis du genre rapide à la détente. Pourtant, là, pour une des premières fois, je restais plusieurs secondes sans voix, la jeune femme pendue à mon cou et en larmes. J'avais retenu un seul mot. sans doute le plus important, celui qu'elle avait crié, surprise et pleine d'espoir : "Kovu". Drôle de consonance mais ça sonnait comme un prénom. Automatiquement, mes bras s'enroulèrent autour de sa taille et je la soulevais du sol. A cet instant précis, j'ignorais totalement ce que je faisais : plutôt anormal pour moi. En général, je contrôle la situation. D'ailleurs, ça ne me plaisait pas. Je faillis la repousser, lui dire qu'elle était cinglée et l'envoyer au diable, mais quelque chose me retint. Jamais je n'admettrais que la voir aussi vulnérable m'avais bouleversé. Disons qu'on ne crache pas sur l'étreinte d'une jolie femme. Je la reposais délicatement sur le sol, tentant d'analyser un maximum de chose pendant qu'elle avait toujours le nez dans mon cou. De son sac abandonné quelques pas plus tôt, je vis dépasser un cahier. Fronçant les sourcils, je décodais lentement : Evans, Torrey. Les lettres étaient tracées d'une main sûre et appliquée, ça collait bien à la jeune femme. Même si à cet instant précis, elle semblait sur le point de tomber dans les vapes. "Torrey ?" J'avais encore du mal à décrypter la situation mais je venais de m'embraquer dans un truc bizarre. Première règle : rester prudent et parler le moins possible.

Le coeur battant, je serrais la jeune femme contre moi. Son parfum embaumait l'air autour de moi et je ne sais pourquoi, mais ça me marqua. Je crois que je me souviendrais toute ma vie de cette fragrance particulière. Inconsciemment, je venais de lui donner raisons en l'enlaçant de cette façon. Ce n'était pas volontaire, c'était arrivé. Point à la ligne. Mais maintenant, je devais assumer. Fermant les yeux, je tentais de trouver la meilleures stratégie dans une telle situation. L'idée qu'elle comprenne la supercherie ne me traversa l'esprit qu'une seconde, elle semblait tellement soulagée de retrouver le gars qu'elle croyait que j'étais. La sentant s'écarter, je souris, glissant les mains le long de sa taille pour m'arrêter au creux de ses reins. J'écoutais en feignant le bonheur de la retrouver. Ce n'était pas bien difficile puisqu'elle était sublime. Je ne ressentais aucun remord, peut-être juste un petit malaise. Mais elle semblait si heureuse que j'aurais eu beaucoup de mal à la contredire. Je me devais d'être celui qu'elle attendait. "Je suis désolé de t'avoir laissé sans nouvelle..." Je réfléchis un instant. Le "mon amour" éveillait de drôle de sensation en moi. Aucune fille n'avait jamais osé ce mot avec moi, j'étais trop distant, trop solitaire, trop effrayant peut-être. Je posais en douceur mes lèvres sur les siennes. "Comment ai-je pu laisser mes trous noirs te faire disparaitre." Je souris, tentant de jouer le désespoir dans mes yeux océans puis l'enlaçais à nouveau.

Elle était tellement fébrile, tellement contradictoire. Je sentais son désir de rester et celui de partir avec une telle intensité que je réalisais soudain l'importance de ce que je venais de faire. Je venais de rendre l'espoir à Torrey Evans. Et pourtant, je n'étais pas fier. Je me sentais même perdu par tout l'amour qu'elle mettait dans ses baisers. Je ne pouvais m'empêcher de penser que cette passion n'était pas pour moi. Je devais être bien différent de ce Kovu. Je la laissais me filer entre les doigts, épris de son parfum et de sa force, de son dynamisme et de sa beauté. Je venais de m'embarquer dans un sale pétrin et je n'avais qu'une envie : appeler Gabrielle pour lui en parler. Pourtant, c'était impossible, je donnais un cours dans 10 minutes et il était impossible de la joindre avant tard ce soir. Et puis comment réagirait-elle. Elle était ma meilleure amie mais c'était aussi une fille et elel m'en voudrait sûrement pour le mensonge énorme que je venais de lâcher. "Je serais là. Promis." Je rivais mon regard au sien mais fermais les yeux quand elle revint pour un ultime baiser. Peut-être pourrais-je lui faire croire à une hallucination, ne pas revenir sur les lieux de mon crime. Pourtant, quelque chose me poussait à conserver son bonheur et le pétillant de ses yeux. Je lui souris tendrement et la laissais s'en aller. J'avais intérêt à creuser l'histoire de ce Kovu si je comptais revenir à sa rencontre.

Mon heure de cours m'avait paru durer une éternité. Les étudiants m'avaient semblé encore plus mous et stupides que d'habitudes, bref, j'étais dans une humeur noire et plusieurs parmi eux l'avaient remarqué. J'avais fini par m'excuser, prétextant une migraine. La première chose à faire était de voir si ce mensonge, cette supercherie était possible. Je réfléchirais par la suite si elle valait la peine. Bien que je n'ai pas beaucoup à réfléchir : une jeune femme magnifique s'était pendu à mon cou pour m'embrasser avec passion. Que demande le peuple ? Et puis il y avait ce sentiment que briser son espoir risquait de lui faire énormément de peine. Il me fallut moins d'une minute pour comprendre pourquoi en piratant les dossiers scolaires de Torrey Evans et Kovu Blackwood. Oui, ça et d'autres fichiers qu'on trouve sur n'importe qui en parcourant le net. Ils avaient tous les deux vécus en Irlande et avaient un enfant ensemble. Je me crispais. Est-ce que j'étais sûr de vouloir faire ça ?


Il ne fallut pas longtemps pour m'autoconvaincre. J'arrivais en retard à notre rendez-vous. En tout cas, je me pointais après elle. Torrey était assise sur un muret de pierre, le même où j'avais posé mes affaires plus tôt, simplement pour retirer une veste. Parfois, le timing est le plus important. Je souris à la jeune femme. Kovu et moi étions très différents et c'était là que résidait la difficulté du jeu. "Je suis désolé de t'avoir fait attendre." Je lui pris la main pour la relever. "J'ai passé l'après-midi à essayer de me souvenir..." Un sanglot étrangla ma voix. Pas question d'en faire trop mais il faut ce qui faut non ?