TW • Un peu de toi est entré en moi ... • Romy

tw - rejet de grossesse.

Encore recouverte de son manteau blanc, Boston semble presque morte depuis plusieurs jours et ce n’est que pour les achats essentiels que j’ai mis les pieds dehors. Pas de passage à la Adams, pas de cours à l’université, je n’ai pris aucun risque et profité de ces quelques jours pour recharger mes batteries, loin des autres. Ce début d’année a été des plus chaotiques, cela ne peut me faire que du bien de m’isoler un peu afin de réfléchir au futur.
En pantalon de survêtement et t-shirt blanc basique, plissé de partout, je n’attends aucune visite et m’installe devant la télévision pour une nouvelle journée de glande intense. Elles font du bien, même si elles ne m’apportent malheureusement aucune réponse à mes questions. La sonnette qui retentit m'interrompt en plein épisode et c’est mon coloc’ que j’imagine derrière la porte, avec ses clés oubliées pour ne pas changer. Car qui serait assez fou pour braver la tempête ? Qui d’autre, si ce n’est elle ? Ma mâchoire se crispe lorsque je la découvre sur le pas de la porte. Si elle m’a terriblement manqué, ce que je ne risque pas d’admettre, cela doit être la première fois qu’il n’y a pas une partie de moi heureux de la voir. Pas même une toute petite. Je suis incapable de la quitter des yeux lorsque Wendy mentionne le chinois, qu’elle ramène en principe en guise de drapeau blanc. Ca ne fonctionnera pas cette fois, elle peut bien repartir et aller l’offrir à quelqu’un d’autre car je n’ai pas la moindre envie de partager mon espace avec la jeune femme.  « Je suis enceinte, » Sourcil arqué, je reste impassible et n’enregistre pas du tout ce qu’elle dit. Je ne sais pas si c’est quelque chose auquel je refuse de croire, ou si c’est simplement tout ce qui sort de sa bouche que je remets en question à présent. « de toi. » J’en ai un sourire en coin, toujours dans le déni. Ses jeux malsains, elle peut les servir à un autre, car notre partie à nous, elle s’est terminée le premier janvier. Bonne année ma chérie. « Je suis enceinte de toi. » Je roule des yeux à la répétition de sa phrase. Pourtant si ma tête me hurle de ne pas écouter un traître mot qui sort de sa bouche, mon estomac, lui, est prêt à remettre ses boyaux. Wendy, enceinte. D’un autre, certainement, car quoi qu’elle en dise, j’ai toujours pris mes précautions contrairement à ses amants qu’elle fréquente de manière irresponsable. Je ne sais même pas ce qui me donne le plus la nausée ; de l’imaginer enceinte, ou que ce gamin soit d’un autre. Je lutte contre l’envie d’observer son ventre, mais mes yeux ne quittent pas les siens car entre son manteau et le début potentiel de grossesse, je ne trouverai aucune preuve. « Je crois que tu t’es trompée d’adresse. » Dis-je dans un murmure, avant de me racler la gorge. De moi, d’un autre, c’est peut-être d’un ami qu’elle a besoin mais je n’y arrive pas. Je refuse d’y croire. « Contrairement à tes petites sauteries à gauche à droite, j’ai toujours eu la présence d’esprit de me protéger. » Ce n’est pas le cas de tout le monde et encore il y a tout ce que je ne saurai jamais, parce que la presse n’en a pas eu les détails. « On est en alerte rouge. » Autrement dit, tu aurais mieux fait de rester chez toi. Ca lui aurait éviter un trajet inutile, qui à part la mettre en danger, ne lui apportera absolument rien.

Ce n’est ni les photos dans la presse, ni l’acte en lui-même, qui me fait réagir de la sorte mais bien le mensonge derrière. Le fait que, même après les faits, Wendy ose me regarder dans les yeux et dire qu’elle n’en à rien à faire de ce mec. Elle n’a pourtant pas hésité, pour lui, pour faire fuir sa copine, à mettre son image à mal et détruire la confiance que j’avais en elle. Sa réaction est l’exact opposé de l’indifférence et que Wendy ne soit pas en mesure de l’admettre, de l’avouer, me donne envie de brûler la Adams.
Son aveu ne suffit pas à apaiser ma colère, en grande partie parce que je refuse d’accepter ce qu’elle m'envoie au visage. Ma tête n’assimile pas ses mots et lorsqu’elle le fait, j’en ai une envie de vomir, me répétant encore et encore que le masque va tomber. Elle va bien finir par dire qu’elle m’a bien eu. J’ai déjà eu droit à cette annonce, de la part de ma meilleure amie, il y a quelques semaines et à aucun moment je n’ai pensé que ça pourrait me tomber dessus, malgré toutes les précautions. Lui tomber dessus, parce que rien ne dit que je suis lié d’une quelconque manière à sa grossesse. Rien, si ce n’est Wendy. La mâchoire contractée, mes dents grincent à ce qui est censé être une blague suite à ma réflexion sur la météo. Si ça l’amuse, ce n’est pas mon cas.
Les yeux fixés au-dessus de son épaule, puisqu’elle ne me regarde plus, je prête attention à ses mots tout en refusant de les intégrer à ma réalité. On a pas été aussi stupide. Je ne suis pas aussi stupide. Les bruits de pas dans la cage d’escaliers sont ce qui me force à me décaler et tirer sur son poignet pour qu’elle entre dans l’appartement, avant de s’offrir en spectacle à tout le building. Appuyé contre la porte fermée, les mains dans le dos, j’observe une bonne seconde le sol avant d’expirer et relever la tête pour tenter de capter son regard. Je la sonde car, malgré tout ce qui a pu se passer, je la connais. Je sais lorsqu’elle me ment, lorsqu’elle se ment à elle-même. « Je fais comment pour te croire après tout ce qui s’est passé ? » Je demande, la gorge nouée, sans oser ciller de peur de rater le signe que toute ceci n’est qu’une supercherie. « Regarde-moi dans les yeux et répète-le. » Dis-je, alors que mon seul souhait est qu’elle se mette à rire en affirmant m’avoir bien eu. Elle est peut-être enceinte mais c’est le sol que Witter regardait lorsqu’elle a dit n’avoir fréquenté personne d’autre, ça veut bien dire quelque chose.

Les yeux plantés dans les siens, je ne savoure pas à leur juste valeur les dernières secondes de déni. Celles avant qu’elle me confirme que tout ceci n’a rien d’une mise en scène ridicule pour justifier un pas dans ma direction, après plusieurs semaines de silence. Au fond, je sais que même la manipulatrice hors pair qu’est Witter n’irait pas aussi loin dans ses propos pour se pointer comme une fleur, avec un chinois - et je parle du plat, et non de ce qui se trouve potentiellement dans son utérus. « Je suis enceinte. De six semaines. » Il y a des semaines qui ne comptent pas, ou un truc du genre, mais je n’ai pas la tête à faire des calculs savants pour déterminer le jour de conception, ou retrouver les informations que j’ai un jour pu lire à ce sujet. « Et je n’ai couché avec aucun autre homme que toi. » Dans l’état actuel des choses, peut-être que la confirmation devrait m’alarmer plus que me soulager, c’est pourtant bien dans la seconde possibilité qui prime. Sans doute pas pour longtemps. « Depuis octobre, y a eu que toi. » Mes yeux roulent à la mention de sa dernière aventure en date avec un homme, sachant parfaitement à laquelle Wendy fait référence. Malgré toute l’envie du monde de remettre en question sa parole, qui n’a plus énormément de valeur à mes yeux, je reste de marbre et encaisse l’annonce que je niais jusqu’ici. Dans sa posture comme dans ses yeux, je la vois, la vérité. Sa détresse. « Bon, y a eu trois femmes, mais aux dernières nouvelles, elles n’ont pas ce qu’il faut pour m’engrosser. » Ma langue claque contre mon palais et j’expire lentement. « Passe moi les détails. » Ce contrat d’exclusivité à laquelle on fait mention de temps à autre n’est toujours pas prêt de voir le jour mais je me passe bien de la liste des personnes qui passent entre ses cuisses. Si elle est enceinte, on a forcément merdé à un moment… Ce qui veut dire que j’ai tout intérêt à aller me faire dépister. Je m’en voudrais presque d’avoir cette réflexion avec la bombe que Wendy vient de me mettre dans les mains, mais je ne contrôle pas mon flux de pensées. « Aly est enceinte aussi. » C’est tout ce que je trouve à dire, complètement assommé; avant d’ajouter d’un ton factuel. « Pas de moi. » Plutôt évident, mais ça me semble important de le préciser. Les mains sur le visage, je le frotte frénétiquement afin de reprendre mes esprits puis l’observe à nouveau dans un soupir. Ça me rend dingue d'avoir cette impression de rendre les armes, de devoir me poser la question avant d'agir et pouvoir être là pour elle. Malgré tout, mes mains viennent encadrer son visage et je l’observe une bonne seconde en silence avant de l’attirer contre moi, incapable de lui adresser un mot rassurant. On est dans la merde, jusqu’au cou, mais je l’oublie partiellement lorsque je retrouve sa présence familière dans mes bras.

J’essaye d’encaisser comme je peux son annonce et d’avoir la réaction appropriée mais mes moyens se perdent au même titre que mes réflexions. Il n’y a plus rien d’autre que le néant. Ses mots, que je me répète, avant de lui avouer que ma meilleure amie est enceinte, elle aussi. Elle s’en tape mais c’est la seule chose qui me vient à l’esprit. Il y a quelques semaines, c’est Aly et Quentin que je plaignais de tout mon coeur, avec un certain jugement dont je ne leur ai pas fait part. On ne serait pas à Harvard si nous étions complètement stupide, pourtant le préservatif semble être en option au sein de l’université. Tous portés par nos désirs les plus profonds, on en oublie l’essentiel. Jusqu’il y a une minute, j’étais certain de ne pas faire partie de cette catégorie d’inconscients, tenant bien trop à mon futur et ma liberté pour me risquer à les mettre en péril. Et nous y sommes. Wendy, moi et mon absence totale de réaction.
Mes yeux sondent les siens comme si la solution s’y trouvait, avant de l’attirer à moi. Ce n’est sans doute pas ce que la PDG attend de moi, mais je n’ai aucun mot à lui offrir, alors plutôt que m’emmêler les pinceaux, c’est le silence que je choisis. À ses mains qui m'agrippent et ne me lâchent plus, j’oublie tout, y compris ce pourquoi elle est là. « Roman, je voulais que tu le saches, » Et moi je voudrais qu’elle se taise. Qu’elle nous accorde un répit avant d’imprimer le faire-part. « mais… » Je me recule, soucieux et l’observe en attente de la suite. Qu’elle ne m'annonce pas qu’il n’est peut-être pas de moi, qu’elle n’a fait que m’adoucir pour obtenir mon attention, parce que je ne lui pardonnerais pas. « Mais ? » Termine ta phrase, Witter.

tw; rejet de grossesse.

Y-a-t-il un manuel sur la réaction appropriée à avoir dans une telle situation ? J’en aurais indéniablement besoin mais au fond, je sais que celui-ci ne m’apporterait aucune aide. Wendy ne fait pas partie du commun des mortels et je ne suis pas certain qu’elle attend réellement quelque chose de ma part, surtout lorsqu’elle prononce ce “mais” suivi d’un silence bien trop long. Mon pouls accélère alors que je l’invite à continuer sa phrase, ne pouvant retenir un soupir de soulagement lorsque la jeune femme met un terme à l’attente. « Roman, je ne veux pas de bébé. » Moi non plus. Pas que je sache, en tout cas. L’avenir sur lequel je pensais déjà faire une croix se dessine à nouveau, incertain mais sans bambin dans le paysage. Si on m’avait posé la question il y a une heure sur mon envie ou non de devenir père sous peu, la réponse aurait été catégorique. Pourtant, là, je me laisse submerger, à me demander si ce n’est pas un foutu signe de l’univers ou une connerie du genre. La presse m’a appris que mon frère s’apprête, lui aussi, à devenir père et le fait de ne pas du tout être inclus dans ce nouveau tableau familial joue définitivement sur mes émotions. Peut-être qu’il est temps de construire ma propre famille et laisser derrière moi celle qui ne veut plus rien savoir. Je secoue la tête et réalise que, perdu dans mes pensées, je suis toujours planté là à fixer Witter, sans réellement la voir.  « Ok. » J’impose une distance entre nous, reculant d’un pas pour être certain de rompre le contact. Je délire complètement, elle me penserait fou si elle savait ce qui se passe là haut. « Qu’est ce que t’as ramené ? » Je désigne du menton les plats, son offre de paix, que je me vois forcé d’accepter après le coup de massue qu’elle vient de m’ (nous) assener. Lui montrer la porte de sortie n’est plus une possibilité, malgré toute la rancœur que j’éprouve à son égard, parce qu’elle porte notre erreur. Pas pour longtemps, mais peu importe ce qu’il se passe entre nous, je ne la laisserais jamais traverser ça seule. « Tu n'en veux pas maintenant, ou jamais ? » Je demande, aussi détaché que possible pour ne pas la renvoyer à notre situation actuelle. Je ne sais pas pourquoi la réponse m'intéresse, mais c'est un sujet qui n'a jamais été abordé et je suis curieux à présent.