En entrant dans le bar où m’attendait mon pote Evan, cela m’avait fait rappeler les premières fois où j’étais venu ici, ma première année à l’Université d’Harvard. Je me sentais comme un enfant qu’on abandonnait dans une immense foule, remplie d’adultes qui vous regardait comme si vous étiez possédé. En effet, cette première année là, j’avais décidé d’aller à ce même bar où je me trouvais présentement, afin de décompresser comme je le faisais autrefois, à Londres, ma ville natale. Pourtant, en entrant, les regards s’étaient tous tournés vers moi, comme s’ils savaient tous d’emblée que j’étais nouveau. Un futur habitué, oui! Mais ça, seul moi le savais. Au début, j’avais été mal à l’aise, mais mon attitude de clown avait vite pris le dessus, laissant ma timidité de côté, et j’avais lancé quelques blagues qui avaient réussi à détendre l’atmosphère et faire détourner les nombreuses paires d’yeux qui étaient tournées vers moi. Enfin, j’avais réussi à faire de très belles et bonnes rencontres, comme Evan, que j’avais entraperçu, et que j’avais revu en une poignée de mains quelques jours plus tard, à l’Université, ou une amitié avait débuté, malgré nos nombreuses différences de caractère et d’opinion. À croire que les différences faisaient les ressemblances!
Maintenant, quand j’entrais dans ce même bar que j’avais visité dès mon entrée à l’Université, les regards ne se tournaient plus tous en même temps vers moi pour me détailler comme si j’étais un inconnu qui empiétait leur territoire, mais plutôt comme un réel ami qu’ils connaissaient presque tous et appréciaient pour la plupart, sauf exception. Même quelques Mathers m’aimaient bien. Pourtant, je me gardais une petite réserve, et ne les «approchais» pas trop, ou ne leur faisais pas une grande discussion fréquemment, par respect pour les Eliots, ma maison, qui était la maison rivale aux Mathers.
Aujourd’hui alors, j’étais allé rejoindre mon pote, Evan, un Winthrop un peu plus âgé que moi, avec qui j’avais de très bonnes affinités d’amitié. Nous ne nous étions pas vu depuis quelques temps, mais cela arriverait quelques fois, comme ça, de s’inviter soit un ou l’autre prendre un verre dans ce même bar, ou plutôt une bonne bière. Une, deux, trois, les serveurs nous connaissait très bien tous les deux, et nous étions même tous devenus bons amis avec les années. Maintenant que cela faisait quatre années que j’étais à Harvard, j’étais un habitué de la place, tout comme Evan. Aujourd’hui, il m’avait invité, et j’avais lâché ma peinture et mon dessin pour venir le rejoindre et discuter un peu de tout et de rien, avec une bonne bière entre les mains. Je souris à ses mots.
«Torrey? Cela me dit vaguement quelque chose, mais je ne saurais mettre un visage sur ce nom… J’espère qu’elle est bien!»
Je pris une ou deux gorgées de ma bière avant de regarder l’heure qui affichait le début de l’après-midi, puis vidai d’un coup la bouteille que j’avais entre mes mains. Oui, j’étais rapide pour boire, moi! J’en commandai une autre, tout sourire.
« Bah les pauses, c’est fait pour décompresser, non? Profite-en ! En plus, je suis là. Tout pour un après-midi parfait, n’est-ce pas? Hahaha. Uhm… Dis-moi, je peux te dire un truc, un peu…personnel? Que tu ferais mieux de garder pour toi, jusqu’à ce que je dise le contraire? »