the most wonderful time of the year (William)

Je titube jusqu’à me laisser tomber sur un banc, observant le parc principalement animé par les parents et leurs enfants, les sportifs et les amoureux en balade. Ils en ont bien du courage, pour sortir de chez eux un lendemain de réveillon. Je ne suis pour ma part pas encore rentrée à l’appartement, ayant choisi de faire la fête de bon matin, après mon service. Sans réfléchir, je sors mon portable et ré-écoute le message laissé par Will quelques jours plus tôt, avant d’appuyer sur la touche pour le rappeler. Hey Will… C’est Vic. Je ne te dérange pas? Je demande, et souris bêtement au son de sa voix. J’aurais bien aimé regarder la boule descendre sur Times Square histoire d'être un peu avec toi, mais on a été appelé deux minutes avant minuit. C’est donc dans l’ambulance qu’on s’est souhaité la bonne année, juste avant d’intervenir sur un accident de la route. Ah oui, la nouvelle année. C’est pour cette raison que j’appelais, à la base. Bonne année! Je m’écrie avec enthousiasme avant de mettre une main devant ma bouche quand une femme me jette un regard mauvais. Oh, ça va, on est en pleine journée!

Quel sérieux! Il n’a donc plus mon numéro mémorisé dans son portable, ce qui m’attriste un peu mais je ne m’attarde pas sur ce détail. « Inspecteur Bennett, pardon! » Je glousse et me laisse aller un peu plus contre le dossier du banc. Ce n’est peut-être pas exactement son titre, tout comme docteur n’est plus le mien, mais on s’en fout un peu. Au moins pour quelques heures. « Je peux te laisser si t’es avec ta famille. » Bien que je n’ai aucune envie de raccrocher si vite, William n’est que trop rarement à New-York pour ne pas en profiter pleinement.
« C’est surfait mais l’ambiance sur Times Square ce jour là, ça reste dans mes plus beaux souvenirs. » La foule, le froid, aussi, qui nous accompagne généralement dès l’aube si on tient à avoir une bonne place. « Oui, beaucoup d’accidents, principalement causés par de pauvres cons avec 2 grammes dans le sang. » Blessant - dans le meilleur des cas - bien trop souvent de pauvres innocents, ce qui a toujours eu le don de me révolter. « Je suis, en effet, de bonne humeur mais je prends tout le bonheur que tu peux envoyer dans ma direction. » Je ris puis réfléchi à l’année à venir et aux maigres espérances que j’ai pour celle-ci. « Pas vraiment. Tu sais, les plans et moi… » On est pas copains. « La bonne nouvelle est qu’elle peut difficilement être pire que 2021. Ou 2020. » Je m’étais d’ailleurs fait la même réflexion au douze coup de minuit il y a un an, ce qui n’est pas bien rassurant. « Et toi ? Quelles sont les aspirations de Monsieur Bennett pour cette nouvelle année ? »

« Bonjour à Louise, de Baltimore. Mais William de Boston ? Tu seras toujours William de New-York. » Pour moi, en tout cas. Les années à construire ma vie à Boston n'effaceront jamais celles qui m’ont vues grandir et ont forgé celle que je suis aujourd’hui. « Quand au fait d’être devenue une crapule ou non, vous ferez votre enquête, agent Bennett. Je ne vais pas tout te servir sur un plateau d’argent. » Peut-être en suis-je devenue une, je doute fortement que voler du matériel médical, même sous la menace, soit acceptable. « C’est mignon... » Je souffle, souris pour moi-même en observant un passant, avant de reprendre le fil de mes pensées et, de ce fait, de la conversation. ​​« … cette manie de toujours essayé de retenir. » Au téléphone, au Nirvana lors de notre dernière rencontre. Comme s’il craignait que je m’évapore. « Mais que Louise soit rassurée, je compte te tenir compagnie aussi longtemps que possible - soit jusqu’à ce que Morphée m’emporte.  » Et il se tient devant moi, les bras grand ouverts. Cela fait plus de trente-six heures que je suis en mouvement, la fatigue commence doucement à se faire sentir. « J’ai, peut-être, fêté le nouvel an à la fin de mon service avec une amie. On fait ce qu’on peut! » Je me défends en riant, consciente qu’il est un peu tôt pour être dans cet état d’ivresse. C’est à 7H45 ce matin que Taylor nous a servi notre premier verre de rouge, et me voilà huit heures et deux bouteilles plus tard. « Will, il va falloir faire preuve d’un peu plus d’enthousiasme si tu veux mener à bien ton projet! » Je reviens sur ses résolutions et le gronde d’un ton que je pourrais employer sur des gosses. Ceux que je n’aurais jamais. « Je trouve ça génial que tu veuilles monter ta propre affaire. Et si elles te manquent, je suis certaine que tu pourras toujours te joindre à tes futurs-anciens-collègues pour une soirée au Nirvana. » Obligée de le taquiner sur ce point.

« WOW. Qui es-tu pour oser porter de telles accusations?! » Je m’écrie et ris avant de porter le téléphone à mon oreille à nouveau. « Sache que jamais de la vie tu ne trouveras un tel accoutrement dans ma garde robe. » Je le reprends et me passe de lui avouer que les seuls matchs de baseball auxquels j’ai un jour assisté soient ceux qui ont eu lieu à Harvard. L’ivy league, voilà où s'arrêtent mes connaissances dans le domaine - le jersey Crimson est, d’ailleurs, potentiellement au fin fond de mon dressing. Je pourrais faire en sorte de mettre la main dessus et l’enfiler pour notre prochain tête-à-tête, ce qui donnerait à William une bonne raison de nous en débarrasser au plus vite. Je marmonne distraite lorsqu’il parle des choses de la vie, n’ayant pas écouté un traître mot parce que déjà mes pensées divaguaient sur cette possibilité… on ne remercie pas le merlot.  
« J’aime mieux ça. Et j’espère que lorsque tu feras la une de Forbes, j’aurai droit à une copie avant sa parution. Dédicacée. » Pourquoi moi, ça c’est une autre question. Pourquoi pas ?! Je suis peut-être la première à le lui demander, en voilà une bonne raison.
« C’est aussi très mature de ta part. Ça prend du temps, de monter sa propre boite et, si je ne doute pas de toi, c’est sécurisant d’avoir quelque chose sur le côté dans un premier temps. » Qu’est ce que j’en sais ? Je connais peut-être le sentiment d’avoir encore beaucoup à donner mais pas celui de créer son propre business. Je parle, je parle, comme si je connaissais tout à la vie, alors que je n’ai jamais été aussi paumée en trente-deux années.
« Je ne t’ai même pas demandé. Comment s’est passé ton réveillon ? »

« Gna-gna-gna. » Fut la seule réponse que je sois en mesure de prononcer, le taux d’alcool naviguant dans mes veines me privant de ma répartie. A court d’argument, il faut parfois admettre la défaite. J’écoute ses ambitions, amusée, tout en me redressant pour prendre la route de l’appartement. Le vin ne suffit pas à me protéger du froid polaire qui s’abat sur la ville en ce premier janvier et je dois bien admettre que la fatigue commence doucement à prendre le dessus. « Tu vas donc devenir l’un de ses riches qui se moque de l’avenir de notre planète et fait passer ses désirs les plus fous devant l’environnement. Le rêve s’écroule Will. » Si les mots peuvent être durs, ils sont prononcés avec légèreté parce que je suis bien consciente que tout ceci, en plus d’être hypothétique, est pratiquement improbable. Non pas que je n’ai pas foi en lui mais mon soutien à ses limites, qu’il viendra peut-être faire voler en éclat. C’est tout ce que je lui souhaite. « Je suis désolée qu’elles t’aient planté. » Copain, copine, ne justifient pas de laisser son frère seul pour fêter le réveillon mais étant enfant unique, c’est très facile pour moi de juger une situation qui m’est totalement inconnue. Je m’en voudrais presque d’avoir refusé son invitation mais c’est à la caserne qu’était ma place la nuit dernière et je suis certaine qu’il peut le comprendre. « Et ce n’est pas parce que tu as connu quelques échecs que tu régresses. Je mets ma main à couper que tu es même en pleine ascension. » A-t-il déjà oublié sa boite, ses rêves, le yacht ?! « Le réveillon était… violent. C’est toujours une nuit particulière pour nous, il y a énormément de personnes imprudentes. » Merci l’alcool, même si le monde n’attendait pas le trente-et-un décembre pour se faire plaisir. « Et concernant le mariage, c’était dingue. J’ai perdu mon sac donc on s’est retrouvé coincés deux jours de plus là-bas, sans nos passeports, mais finalement j’ai pu rentrer à temps pour fêter noël avec mes parents. » Je ne me le serais pas pardonné de les abandonner pour ce jour précieux, surtout à leurs yeux. « J’ai l’impression d’avoir assisté à un mariage princier, ils y sont allés sur les moyens. Je crois qu'après ce passage à Londres, je peux dire que je suis prête pour la vie de jet-set. Le yacht, le champagne… » Lui. Je souris et hèle un taxi dès que je suis sur la route principale, balançant l’adresse au chauffeur une fois assise à l'arrière du véhicule.