Another future

Les fêtes étudiantes lui apparaissent parfois comme une immense tempête. Tant de gens, d'alcool, des flots d'émotion et de séduction. Mais Joyce a bien besoin de tout ça pour se noyer un peu dans autre chose et oublier les pensées qui la noient actuellement. Alors elle danse, elle boit, elle rit, elle laisse la vie jouer avec elle. Jusqu'au moment où une fille avec qui elle est en cours, débarque vers elle un grand sourire sur les lèvres.

– Tu vois la fille là-bas ? Contre quelques dollars, elle te lit ton avenir !

La sirène arque un sourcil. Son avenir ? Elle n'y croit pas vraiment et pourtant… quelque chose l'attire inexorablement vers l'inconnue. Alors elle s'approche pour l'aborder.

– Hey ! Il paraît que tu peux prédire le futur des gens ?


@Hera Goldberg

conversations inintéressantes. alcool qui flotte dans ton verre, ingurgité à outrance. seule source de plaisir de la soirée. t'ayant laissé entrainer par une amie, soi-disant tu ne le regretterai pas. nullement besoin de faire appel à ton portefeuille, t'avais pas mis longtemps avant d'accepter. soirée où tu pouvais boire sans borne ni trève. et tu comptais bien en profiter. voix qui t'interpelle parmi ce flot continu de paroles. le corps qui pivote pour lui faire face. faisant face à une jeune femme, légèrement plus âgée. l'impression qu'elle n'était pas croyante à cent pour cent à ce que tu comptais lui offrir. à toi de la convaincre. — il parait oui. tu veux essayer ? sourire rassurant décoché à son intention. la mettre à l'aise, première étape.

De ses parents, Joyce a hérité une part de rêverie, le grand bleu au fond des yeux et du coeur. Mais elle tient également d'eux cet esprit scientifique, parfois trop cartésien aux angles carrés et pointus. L'étudiante en biologie ne croit pas vraiment aux lignes de destin qui s'entremêlent et se chevauchent, cherchent à garder une direction - pourtant, si elle savait qui se tenait vraiment devant elle et ce qu'elles ont en commun, peut-être qu'elle remettrait tout ça en cause. En attendant, la chose l'intrigue et l'amuse plus qu'autre chose, et elle a la chance de pouvoir dépenser ces dollars pour sa propre curiosité. Alors elle sourit à cette autre qui, naturellement, lui inspire confiance.

- Je veux bien, comment ça marche ?

ses opales captives des tiennes. sans jamais interrompre ce contact visuel. la plongeant volontairement dans une atmosphère légère et arachnéenne. ne voulant pas la brusquer. ni la braquer. t’avais en face de toi une potentielle nouvelle victime. à toi de faire en sorte qu’elle ne s’évapore pas. pas tout de suite. — on va se mettre à l’écart ? c’est un peu trop bruyant pour se concentrer. et sans prévenir, ta main capture la sienne. l’entrainant en quelques secondes dans l’une des chambres inoccupées. tes doigts qui relâchent les siens pour venir faire le tour de la pièce. la musique en bas permettrait de vous dissimuler une heure ou deux. désormais seules. — allez viens t’asseoir en tailleur face à moi tu quémandes, la voix mélodieuse, tapotant de ta main la place libre en face de toi. sourire charmeur qui éclaire ton visage énigmatique. — je suis chiromancienne. ça veut dire que je peux être en mesure de te donner des informations sur toi, ce qui pourrait arriver mais ce sera pas aussi précis qu’un tirage de cartes. on va commencer doucement si tu veux... ton prénom ? ce serait déjà un bon début.

Il y a quelque chose d'attractif chez cette inconnue et, lorsque ses prunelles percutent les siennes, son coeur loupe un battement, comme soudain sous le charme de son regard. Une sorte de sa magie qui se dégage... peut-être lit-elle vraiment le futur ? Toute la logique de Joyce crie au scandale, mais lorsqu'elle l'a regarde, la logique s'ébranle et tout est remis en doute.
Alors, captivée, la sirène ne cherche pas à résister quand l'autre l'attrape par la main et l'attire dans une autre pièce. Un regard extérieur pourrait imaginer des tas d'histoires alors que les deux femmes ne se connaissent même pas... et celle dont on va lire l'avenir a l'impression d'embarquer dans une aventure palpitante qui déchirera les flots de son futur.

Arrivées dans une chambre vide, Joyce regarde l'inconnue s'asseoir sur un lit avant de tapoter un espace devant elle. Comme hypnotisée, elle prend place et l'écoute attentivement. Il y a définitivement quelque chose de fascinant dans sa voix, sa manière de se mouvoir et de parler. Et l'étudiante en biologie se dit que, quoi qu'il se passe, ses dollars ne seront pas perdus ; elle aura gagné un moment un peu différent, bien plus intéressant que ceux qui se déroulent sous la musique qui palpite toujours à l'étage du dessous.

- Joyce, et toi ?

La question a fusé, comme un réflexe. Elle a envie de pouvoir mettre un nom sur ce visage.

appréhension qui semblait avoir été mise de côté. le doute qui se volatilisait. son regard charmé perdu dans tes iris ensorceleurs. maitresse de l’ambiance et de ses pensées. douceur d’une voix qui semblait la captiver. l’hypnotiser. et tu comptais bien en profiter. sourire amusé qui croit face à la rapidité de sa réponse. joyce, elle s’appelait. divine fleur que tu détenais entre tes paumes. celle dont on avait pas nécessairement envie de faner. ou d’en retirer les pétales. et pourtant, tu comptais bien la manipuler. te servir d’elle pour obtenir la seule récompense qui avait une quelconque valeur à tes yeux. nullement ta faute si elle avait plongé direct dans ton monde. sans se soucier que t’allais l’empoisonner à ta guise. — enchantée joyce. beau prénom au passage. tu peux m’appeler hera. enfin je sais pas si ça te sera vraiment utile par la suite tu renchéris, sourcil arqué. silence qui vous enveloppe. un court moment. laissant ton regard intrigué s’ancrer dans le sien. avant de te racler la gorge, te frappant mentalement d’avoir laissé tes pensées dériver vers l’interdit. ta main qui s’empare lentement de la sienne, baissant tes opales vers les lignes de sa main. caresse délicate alors que tu la manipules entre tes doigts experts. — t’as la paume rectangulaire finement soulignée, avec les doigts fins... t’es sous le signe de l’eau donc, une main sensitive tu commences ton explication, le timbre posé d’une voix sereine. venant caresser chacun de ses doigts pour venir souligner ses propos. — ça dit de toi que t’as une personnalité plutôt calme et sensible. ça faisait longtemps que j’avais pas eu à lire une main comme la tienne t’ajoutes, relevant la tête avec un sourire étrangement sincère, cette fois-ci.

Hera, un prénom de déesse qui lui correspond plutôt bien. Qu'importe si ça ne lui sera pas utile plus tard de connaître son prénom, Joyce aime bien pouvoir nommer les visages, surtout quand ils dégagent un tel magnétisme. Assise en tailleur devant la chiromancienne, elle lui sourit, enregistrant l'info avant de la laisser prendre sa main. Ses doigts sont doux et suivent les lignes de sa main avec légèreté qui la chatouille presque, tirant un sourire amusé à la sirène. Sourire amusé qui se transforme en surprise quand Hera lui parle du signe de l'eau. Il faut croire que l'océan a tellement marqué sa vie qu'il est maintenant ancré sur ses paumes, s'exprimant en dessins le long de sa peau. Son attention est définitivement éveillée et l'étudiante en biologie a remisé les doutes et la logique qui assaillait son esprit, quelques minutes encore auparavant. Accrochée aux lèvres qui prédisent le futur, elle l'écoute avec une attention nouvelle. Calme et sensible... elle a l'impression, effectivement, que ça lui correspond bien. Peu de tempêtes viennent créer la colère de Joyce, qui préfèrera toujours prendre un peu de recul pour encaisser les émotions. Au borde des vagues, évidemment, nécessité intrinsèque à sa personnalité.

- Et, est-ce que... est-ce que tu vois autre chose ? Sur mon avenir, et l'eau ?

Elle a son rêve en tête, celui de s'échapper sur les flots, devenir capitaine à déchirer les océans pour partir à la poursuite des requins, le grand requin blanc en particulier afin de pouvoir l'étudier. Et elle se demande si la déesse devant elle pourra voir tout ça, la rassurer sur la possibilité de voir un jour ses rêves se réaliser.

mouvements familiers que tu connaissais par coeur. à force de les pratiquer. à force de les répéter. prendre une main entre les tiennes pour la détailler dans les moindres recoins. l'analyser finement pour en connaitre le moindre détail. et mieux cerner ta victime. ta proie. lui donnant un aperçu de tes talents divinatoires pour l'inciter à prendre rendez-vous. un rituel d'antan que tu perpétues depuis deux ans maintenant. sachant parfaitement comme manipuler une âme en quête de vérité, en quête de réponses. souvent des passés inintéressants. des vies ennuyeuses que tu entrevoyais. et pourtant cette main te captivait davantage que les précédentes. incapable de la relâcher. envahie par cette crainte de ne plus jamais la revoir si tu décidais de la laisser s'en aller. tension palpable qui semblait naître dans cette nouvelle atmosphère. et les opales intriguées qui ne cessent de s'observer. comme si elle cherchait à te connaître de la même manière que tu tentais de percer le mystère qui l'entourait. sensation troublante. déstabilisante. mais terriblement grisante. — ils sont liés. mais la ligne semble également prendre un autre chemin. elle se scinde en deux. tu la vois là ? tu demandes, saisissant sa main valide pour venir t'emparer d'un de ses doigts. et suivre le tracé de la ligne de son avenir. — t'auras peut-être une décision à prendre. l'eau ou la terre ? tu lui offres un sourire amusé avant de plonger davantage ton regard envoûtant dans le sien. — l'amour et l'avenir sont étroitement liés. et encore plus dans ton cas. aurais-tu une histoire du passé qui aurait refaire surface et qui risquerait de chambouler ta vie actuelle ? ou est-ce une nouvelle histoire qui va justement bouleverser tes projets futurs ? je peux pas deviner ça. mais tu sembles avoir une sacrée histoire.... tu finis par relâcher ses mains, réduisant à néant ce désir qui t'avait électrisé depuis que vos mains avaient été en contact pour venir replacer ton masque d'escroc. — tu comptes me payer comment au fait ?

C'est hypnotisant de la regarder faire, d'observer la légèreté de ses doigts qui suit les lignes de sa main, y lisant des histoires que seule elle pouvait comprendre. Joyce ne se pose plus la question d'où est la vérité dans tout ça, de s'il y a même une vérité là-dedans, elle est simplement accrochée à ses lèvres, impatiente d'en apprendre plus. Le piège de la déesse s'est refermé sur la sirène dont le sang divin s'est dissout depuis bien trop longtemps. Elle est captive des paroles distillées par Hera, captive de ce regarde intrigué qui se pose sur sa paume, et elle suit avec intérêt la ligne qui se scinde, comme une brisure, comme un doute. Une décision à prendre apparemment… L'eau ou la terre ? Il lui semble impossible de choisir autre chose que l'eau : c'est sa maison, son passé, son futur. Mais les mots l'envoûtent encore lorsqu'elle parle d'amour et, forcément, Joyce pense à Denzel et à cette rencontre en plein océan – l'eau partout, encore une fois. Le cœur qui s'emballe, elle ignore encore tout ce qui se joue entre le marin et elle, sait simplement que ses lèvres lui manquent et que la distance prise depuis San Francisco n'a en rien entaché son amour.

Mais soudain Hera relâche sa main et la transe se rompt, retournant au moment présent et à des questions plus pécunières.

– Heu je…

Les mots de Joyce s'emmêle ; sans qu'elle sache dire si c'est l'ambiance, le fait de penser à Denzel ou simplement les yeux clairs de la déesse, elle a failli lui demander si elle pouvait payer en nature.
Elle se rattrape à temps cependant, sortant finalement entièrement de cette torpeur qui l'avait enlacée.

– J'ai du cash sur moi. Combien je te dois ?

Combien pour ce moment si particulier et étrange, cette chambre à l'écart du reste du monde et la trace de ses doigts contre sa paume ?

ses doigts sont doux, horriblement troublants. voix de sirène qui chatouille tes oreilles. tu ne bouges pas d’un cil, concentrée sur ta respiration qui s’avère de plus en plus compliquée. tes yeux détaillent son visage délicat. chaque trait, chaque expression, chaque grain de sa peau. t'as pas envie d'interrompre cette transe qui vous enveloppe. de rompre ce lien qui semble se créer entre vos deux êtres. les âmes qui s'accrochent l'une à l'autre, en un court instant. te proposant du cash pour te payer. sournoiserie d'un regard qui s'ancre en elle. les pensées obscènes qui contrôlent tes gestes. devenue le pantin de tes désirs. — hm j'ai mieux à te proposer... tu craques. ton corps n’en peut plus. tu n’es qu’un être humain sans volonté. tu as tes limites et celles si sont largement dépassées. tu n’aspires qu’à une chose, découvrir la douceur de ses lèvres. la faire tienne physiquement. tu l’interroges du regard. dernière supplique muette. ses opales qui te scrutent toujours aussi intensément. ta main qui passe derrière sa nuque doucement, chatouillant la naissance de ses cheveux. lueur au fond de tes iris qui s’intensifie. sourire que tu ne contrôles pas s’impose sur ton visage. et tes lèvres qui savourent les siennes. sans prévenir.