TW • Unbirthday • Corter

Les jours s’enchainent mais ne se ressemblent pas et à l’approche de cette fin d’année où la morosité entaille les âmes esseulées, j’aurais dû un peu plus me méfier. Je n’ai pas pour coutume de les fêter et çà, elle l’a bien vu l’été dernier, lorsqu’elle a eu la délicate attention de me le glisser alors que je n’aspirais qu’à rester vautré sur cette plage et laisser le temps couler, oublier cette journée qui n’a de sens que pour ceux qui veulent à tout prix la commémorer. Idioties auxquelles je n’adhère pas parce que c’est s’avouer un pas plus près de la tombe, déjà bien assez proche dans mon cas.
Mais pour Joey il en est autrement, plus regardante sur le nombre d’années qui défilent à son compteur visiblement. Ce texto aura suffi à ternir d’un voile d’appréhension cette fin de journée, piqure de rappel comme quoi je n’ai pas su assurer pour quelque chose à mes yeux de complètement désuet. Et ce con de Snow qui ne m’aidera pas une seconde parce que lui a eu l’ingénieuse idée de plaire à sa bourgeoise même s’ils ne sont plus maqués… Quelle drôle d’idée.

Et puisque ses horaires je les connais pour les avoir enregistrés afin d'organiser avec Lyra au mieux la gérance de cet endroit, il ne m'est pas très difficile de savoir à quelle heure son service se terminera... Mais il reste toujours quelques impondérables. Mains crispées sur le volant j’ai tenté, profitant d’un feu tricolore me soumettant à un arrêt, de me détendre en me disant que ce n’était rien qu’un léger point noir dans notre quotidien, qu’elle dramatise pour trois fois rien et qu’il ne me suffirait que d'une nuit pour le lui faire oublier. Le hic c’est qu'il s'agit....de Joey. Sans rien de plus que ma personne je me suis présenté sur son palier alors qu'il me coute toujours autant d'abandonner mon véhicule à ce triste décors dehors, appréhendant déjà sa réaction de me voir moi seul et sans présent lorsque des bruits de talons s'invitent à mes réflexions.  

Elle fait tout un cirque d’un rien, allant jusqu’à m’ignorer lorsqu’elle se rapproche enfin, mimant une exploration poussée dans ce foutoir où  elle ne trouve jamais ce qu’il lui faut d’emblée. A quelques pas, elle daigne enfin me regarder alors que je reste de marbre ou plutôt stoïque face à cette façon de procéder. J’admets avoir merdé mais de là à devoir supporter un tel manque de reconnaissance alors que je me suis pointé…. Bordel que les femmes peuvent, avec leurs humeurs, me gonfler… Et pourtant j’œuvre parmi une bonne dizaine d’entre elles quatre soirs par semaine, reclus dans une pièce loin de leurs jérémiades mais toujours répondant présent à leur appel. Premier essai une fois qu’elle a trouvé son trousseau alors que je suis à coté, à l’observer, sans dire de mots et c’est une tentative ratée que je mettrais sur le compte de sa nervosité, colère dument injustifiée.

« Au moins, mon adresse, tu ne l’as pas oubliée. » Attaque rapide à laquelle je ne peux que sourire en répliquant, adossé au mur qui jouxte sa porte d’entrée. « Difficile de faire autrement. » D’une brève œillade balancée de biais le numéro sérigraphié sur sa porte est jaugé. « J’y envoie un chèque tous les mois. » Adresse à laquelle une belle somme vient s’ajouter aux pourboires qu’elle peut se faire durant ses soirées. Un salaire nettement mérité et pas que parce qu’elle est celle qui partage mes nuits malgré ce que peuvent en dire certaines dont la jalousie fait rager.
Mais puisqu’elle a du mal à l’ouvrir, c’est ma main qui va sur la sienne pour la guider, déterminé à ne pas être le sujet d’une comédie dont ses voisins se délecteraient. « [auto censure] » Soulageante délivrance au déclic du mécanisme qui lui délivre l’accès.  
 

« Merci. » Pour l’aide apportée ? De rien, ça fait partie dorénavant de mes fonctions de portier, galant lorsque cela m’arrange ou bien que je te vois galérer. « Les. » J’aimerais dire qu’elle se méprend fortement quant à mes paroles mais c’était voulu et pensé parce que je ne suis pas un chien mais que j’ai des besoins et qu’elle n’a pas toujours été présente pour me satisfaire. C’est un fait, une évidence qu’il lui faut tolérer. Alors elle appose ses phalanges déterminées sur cette poignée pour nous ouvrir la porte et pénétrer dans son petit réduit dans lequel elle trouve toujours plaisir à rester. Naturellement la première à y pénétrer, elle s’est découverte pour me laisser apprécier de sa tenue, très élégante et en parfait accord avec l’endroit où elle est censée œuvrer, limite peut-être un peu somptueuse pour n’être que derrière un comptoir à leur servir des sourires surjoués.

« Désolé Jo, je te baise depuis un an, mais j’ai oublié que ton anniversaire ça pouvait être important. » Je n’ai même pas accueilli son reproche comme souhaité, ai élevé les yeux sur son plafond, mains glissées dans les poches de ce blouson qu’il n’est peut-être pas nécessaire de retirer. « Si t’appelles ça comme çà. » Elles ne différencient la chose que lorsque ça les arrange, adjectivisent les ébats selon leurs humeurs et l'importance accordée. Alors finalement, après avoir erré en direction de sa cuisine je me suis à tour délesté de ce poids inutile pour néanmoins la prévenir. « J'fais comme chez moi » j'suppose, à défaut d'y avoir été oralement convié.  

« Ok. » Pas de révolte de sa part alors qu’elle semblait à ce point m’en vouloir… Étrange. Blouson lentement posé dans l’attente d’une contre-attaque qui ne viendra pas, j’ai presque aussitôt poussé du pied cette chaise sur laquelle il est délaissé histoire de minimiser ses possibilités de cracher. Bien que Joey et le rangement soient deux notions en parfaite inéquation. Il suffit de regarder les quelques tasses qui survivent dans le fond de son évier, toutes entachées par le marc de café qu’elle a bu à la volée avant de partir bosser. « Et t’appellerais ça comment, toi ? » Elle me jauge d’un regard haineux, tout ça pour un jour, une date oubliée, un cérémonial qui n’a de sens à mes yeux. « J’sais pas… En général ce sont des putes que je baise, »  enfin avant, ne t’en déplaise. Ma réponse n’est pas fausse en soit, ne prenant jamais de gant avec ces femmes-là et c’est Joey qui se sous-estime elle-même sans m’avoir au préalable consulté à ce sujet quoiqu’elle sait à quel point je peux au lit l’aimer. Pourtant mes yeux vont rapidement en quête d'un objet qui pourrait potentiellement me protéger d'un franc lancé parce qu'on ne sait jamais... Avec Joey, tout peut arriver, surtout avec toutes ses babioles à coté.

« C’est quand que tu demandes pardon ?! » Petit temps d’hésitation les paumes campées sur le dossier de cette chaise en la regardant fixement parce qu’il est hors de question de plier, pas pour un détail anodin auquel je n’ai jamais prêté d’importance. Alors levant une paume pour l’apaiser je m’hasarde à un… « Joyeux anniversaire ? »  peut-être osé.  

Formule une fois desservie c’est un retour dans les eaux paisibles que j’espère. Mais il n’en sera rien puisqu’elle invoque le droit à ce qui se fait d’ordinaire dans ce genre d’occasions : recevoir ce présent qui n’a pas été préparé, auquel je n’ai pas encore une seconde pensé. Encore heureux, elle a fermé les yeux ce qui lui évite de me voir tergiverser un peu, déversant ma frustration sur cette chaise où ma poigne s’est resserrée avant de regarder tout autour ce qui pourrait venir à lui manquer. Et bien qu’elle ne dispose pas de grand-chose, du minimum syndical, elle n’a jamais aspiré à plus qu’elle ne possède déjà. En tout cas jamais devant moi.

Paume ouverte elle attend toujours le cadeau de ses trente ans, patiente silencieusement alors que certains de ses gestes trahissent son mécontentement. Elle a cette façon, ce tic léger, de se pincer les lèvres lorsque ses attentes ne se conjuguent au réel. Alors il me faut improviser mais tout ce dont je dispose pour le moment ce sont mes foutues clefs. Elle y verrait direct un cadeau empoisonné parce que cette voiture, elle exècre la piloter. Plan B...  « Pas tout de suite. »  Temporiser la chose, gagner du temps pour y penser à tête reposée et trouver l'idée du siècle qui lui fera réellement plaisir quitte à galérer dessus quelques journées. « Je préfère te garder la surprise. » Elle aime bien des choses, de son présent et de son passé. Le tout est de faire un tri sélectif une fois l'orage passé.