L’ambiance classique d’un lundi soir qui s’éternise. Une majorité de réguliers, et quelques occasionnels. Sous le solo de Cherry, les 6 hommes en complets noirs commencèrent à prendre place autour d’une table qui, avec les mois, étaient devenue la leur. Une ou deux fois par mois, sous l’invitation de leur chef, ils se retrouvaient là, entre collègues après une autre longue journée de travail, pour souffler un peu et ‘profiter’ d’une pause hors du temps et du monde réel, dans cet antre non pas de la sensualité féminine, mais bien du pouvoir patriarcal.
Là où, entre hommes, ils pouvaient fantasmer librement sur toute l’étendue de leur pouvoir, en échange de quelques billets.
Les premières fois, Bennett avait accepté avec une grande réticence. Ce genre de loisir n’était pas réellement compatible avec ses valeurs relativement conservatrices concernant la sexualité. Il avait cependant rapidement réalisé une chose – c’est là, autour de cette table, entre les jambes au glabre parfait de Crystal et les auréoles si aguichantes de Peneloppe que se trouvait le vrai pouvoir. Tout ce qui se passait au Nirvana déterminait l’ordre des promotions. La qualité des cas sur lesquels les enquêteurs allaient travailler. Les ressources qui leur seraient assignées.
Progressivement, William s’était habitué à l’endroit. Il était même parvenu à se convaincre qu’en appréciant à sa juste valeur toute la beauté de celles qui montaient sur scène ou venait ‘discuter’ avec eux, assises sur leurs genoux, il contribuait, un peu, à leur épanouissement. Il affichait, après tout, un comportement des plus respectables, digne d’un gentleman, face à ses dames sommairement vêtues. Quel mal y avait-il à cela ?
Ce soir était une soirée spéciale. Ils intronisaient dans leur groupe le petit nouveau, Woodrow, pour le plus grand bonheur de celui-ci. Entre le rite de passage et l’omniprésence de ces jeunes femmes avenantes toutes droites sorties de magazines, Woodrow était aux anges. Il ne restait plus qu’à espérer qu’il saurait faire la différence entre le raffinement de ce lieu et la bassesse d’une maison de passe. Après tout, ils représentaient la loi et l’ordre de ce pays.
Bon prince, William s’occupa de la deuxième tournée. Accoudé au bar, il échangea quelques banalités avec la serveuse ( Indigo, en l’occurrence. Probablement sa préférée), puis passa commande pour 5 Sam Adams au prix disproportionné ainsi qu’un grand verre de lait. C’était, après tout, le premier soir de Woodrow.
En patientant, il laissa son regard se perdre sur la silhouette de la barmaid qui s’activait à remplir les pintes, se remémorant avec une certaine amertume la si agréable chaleur du corps d’une femme pressé contre le sien. Souvenir qui commençait à s’estomper, avec les années.
En bon gentlemen, il finit par détourner le regard. Qu’elle ne fut pas sa surprise de le porter sur un visage connu, dont le souvenir remontait à encore plus longtemps.
« Victoria ? Mais… mais qu’est-ce que tu fais ici ? »
Ce petit univers hors du temps et du monde réel était soudainement et brusquement en train d’exploser. Ainsi que tout le narratif qu'il se répétait, chaque fois qu'il se préparait à mettre les pieds ici.
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(William Bennett)