~ River flows in You ~ (Lilly)

Plusieurs jours qu'il y pensait, qu'il ressentait le besoin de renouer avec la musique. Quitter la violence du monde et oublier ses responsabilités, le temps de quelques minutes. Laisser l'art vivre en lui, s'exprimer au travers de ses mains; élever son esprit aussi haut que possible, là où seules les notes de musique sont capables de l'amener. Porte volontairement laissée entrouverte, Derwin prend place derrière le piano; s'offre d'abord le luxe d'effleurer les touches, d'en apprécier la sensibilité. En cette fin de journée, avant de rejoindre le silence de son mobil-home, le jeune homme souhaite offrir une once de tendresse à qui voudra l'entendre; à qui saura écouter. Paupières désormais closes, seules les phalanges s'activent; entament les compositions mondialement connues de Yiruma. Le temps d'un instant, l'air semble plus léger, presque apaisé. La musique constitue un véritable havre de paix; la musique ne connait ni frontières ni préjugés. Elle s'offre à qui souhaite l'accueillir, et elle le fait sans rien demander en retour. Il suffit de s'arrêter, de prendre le temps et d'apprécier.

Les cours de la belle étaient terminés et alors qu’elle s’empressait de rentrer dans sa chambre, afin de se poser un peu, elle se perdit. Pourtant cela fait maintenant un mois qu’elle est ici. Cela ne devrait plus arriver. Et pourtant, voilà qu’elle se retrouvait dans un bâtiment dans lequel elle n’avait jamais mis les pieds. Mais alors qu’elle allait en ressortir, elle entendit de la musique. De la douce musique. Et à cet instant, son bébé se mit à bouger. Il semblait tout autant qu’elle apprécier cette mélodie. Alors elle décida de se laisser guider et voir qui pouvait bien jouer. Car elle l’entendait : il s’agissait d’une personne qui jouait en direct. Elle arriva alors dans une pièce où un jeune homme était en train de jouer. Elle se posa contre un mur, une main sur son ventre pour sentir le bébé bouger et apprécier la musique. Elle ne pipa pas un mot, se laissant guider par l’émotion des morceaux. Une larme vint même glisser sur sa joue. Ah ces fichues hormones. Alors que le jeune homme semblait vouloir arrêter, elle osa en demander plus. « Encore ? » Elle se retrouva même à glisser le long du mur et s’y asseoir, afin d’écouter le reste. Elle regarda alors le jeune homme, et eut l’impression de l’avoir déjà vu. Etaient-ils dans un même cours ? Ou partageaient-ils la même maison, peut-être ? Ou alors l’avait-elle tout simplement déjà croisé dans les couloirs un jour. Peu importe, elle était heureuse d’être ici à cet instant.

Ce moment est simple, et c'est justement ce qui le rend si exceptionnel. La musique se veut authentique, dénuée d'artifices; dans le cas de cette mélodie, à l'image d'un long fleuve tranquille. Son corps reste à Harvard, mais l'esprit divague et retourne quelques secondes en Angleterre, là où il a appris à se servir de cet instrument. Les portes du monde professionnel lui avaient été fermées au nez, mais Derwin ne garde aucune colère à ce sujet; il se sent, au contraire, chanceux d'avoir pu apprendre, d'avoir eu la chance d'exercer aux côtés de ces professeurs. Avoir l'opportunité de jouer, encore aujourd'hui, est une bénédiction qu'il savoure pleinement. Ses notes n'en sont que plus sentimentales, symboliques.
Trois morceaux joués et le silence reprend sa place, lorsque ses mains quittent le clavier, reviennent se poser sur ses cuisses. Ses paupières, closes jusque là, se rouvrent alors qu'une douce voix lui parvient, ose à demander un morceau de plus. Un visage familier, dont il ne connait pourtant le prénom; la rondeur du ventre qu'il remarque et ce sourire qu'il esquisse, hochant simplement la tête avant de se remettre à l'ouvrage. Petit changement de registre pour cette suite improvisée, un brin de Chopin; et le regard glissant longuement sur la demoiselle pour lui signifier son plaisir de la voir, ici, avec lui. S'il est vrai que les bébés sont aussi capables d'entendre les bruits du monde extérieur, alors Derwin espère que cette mélodie n'en sera que plus appréciée, même par ces petites oreilles innocentes. - J'ai l'impression de t'avoir déjà vue.. glisse-t-il après que les dernières notes se soient échappées, au risque de paraitre étrange. Se relevant, le ténébreux ose à s'approcher et lui propose sa main, pour l'aider à se redresser. - Je m'appelle Derwin. et le voilà certain, désormais, d'avoir déjà croisé la douceur de ces traits.

Elle avait de nombreuses fois entendu que les bébés étaient très sensibles à la musique classique. Elle avait tenté de lui en faire écouter de temps en temps. Surtout lorsque Gresham était encore là, étant donné qu'il appréciait ce genre de musique. Quant à elle, elle aime de temps en temps en écouter, mais pas à longueur de journée, non plus. Ce moment était donc parfait. Puis le fait que ce soit une personne qui joue en direct, rendait le moment encore plus beau. Plus magique. Plus doux. Son bébé devait le sentir, car il bougeait, mais doucement. Comme s'il voulait lui signifier qu'il appréciait le moment. Elle se promit alors de lui faire écouter plus souvent de la musique classique, si cela lui faisait plaisir. "Moi c'est Lilly-Ann, enchantée." Répondit-elle tout acceptant sa poignée de main afin de se relever. "Je suis nouvelle ici. Je fais partie des Adams." Ajouta-t-elle, car avec du recul, c'était la seule explication pour qu'ils aient tous les deux l'impression de s'être déjà croisés. "Merci pour ce moment, c'était magique." Finit-elle par lui dire.

C'est toujours plaisant de pouvoir partager sa passion, d'être en mesure de faire profiter autrui du peu de talent qu'il possède. L'avoir eue à côté, demoiselle silencieuse et ô combien respectueuse, lui a permis d'apprécier cet instant au delà même de ce qu'il comptait en faire, initialement. La musique a le don de réunir les gens, et c'est une idée à laquelle Derwin est profondément attaché. Lilly-Ann, c'est un nom qu'il a déjà entendu. Au delà de sa bonne mémoire, le ténébreux essaie de faire attention aux autres, à ceux qui l'entourent; le fait qu'elle se présente comme une nouvelle Adams le fait d'ailleurs sourire, lui qui se trouve dans ce même cas. - On est deux, j'ai intégré la confrérie en septembre. On s'est peut-être croisé à la soirée d'ouverture, du coup. ce n'est pas si important, puisque les présentations sont faites, désormais. Le tout étant qu'ils seront probablement amenés à se revoir régulièrement, que ce soit à la salle commune ou lors des rassemblements. - Le plaisir était pour moi. Merci.. D'avoir osé venir. jouer pour elle, pour son bébé; c'était spécial. Unique. Sac de cours posé sur l'épaule, piano refermé derrière lui, Derwin l'invite finalement à sortir; prudent lorsqu'il referme la porte pour ne pas s'attirer les foudres de ses professeurs. - Je ne sais pas où tu allais mais.. Peut-être que je peux faire un bout de chemin avec toi ? histoire de discuter quelques minutes, de communiquer avec des mots, après l'avoir fait avec des notes de musique.

La rencontre était plutôt jolie. Deux nouveaux se rencontrant autour d'un petit morceau de classique, joué par monsieur. Avec un tel joueur de piano, Lilly ne pouvait qu'avoir confiance. Il ne pouvait pas être bien méchant ce jeune homme. Les psychopathes ne s'intéressent pas au piano. Enfin, du moins, c'est ce qu'elle se dit, pour avoir confiance et tenter une approche. "Surement oui." Mais elle ne rajouta pas qu'elle n'y était pas restée longtemps. Malgré ses nombreuses tentatives d'intégration, elle avait du mal. La raison ? Sa personnalité peut-être. Ou alors le fait qu'elle était enceinte. Les gens se disaient peut-être qu'elle ne pouvait pas s'amuser avec eux. Et au fond, ils avaient raison. Elle était restreinte dans ses activités. Mais tout de même. On pourrait faire un peu plus attention à elle, non? "Bébé semblait apprécier le moment." La bonne excuse. Elle préférait dire qu'elle était venue à cause de son enfant plutôt que pour elle-même. Comme si en l'avouant, elle se mettait en danger. Encore un peu trop sur la réserve la future maman. "Euh ... Je comptais rentrer chez nous ..." Elle le regarda, avant de rectifier. "Enfin chez les Adams quoi." Toute cette situation ne la mettait pas plus à l'aise que cela. Mais que pouvait-il lui arriver en chemin ? En pleine journée, dans une université. Rien.

C'est pour ce genre de moments que Derwin a fait le choix de stopper sa carrière; quitter les circuits et revenir auprès des gens, dans la force du contact humain. Le ténébreux rêvait de musique, d'humanité et de simplicité; trio parfait qu'il retrouve ici, avec la douce Lilly. Un visage familier qu'il ne prétend pas connaitre pour autant; mais une personnalité à laquelle il pourrait s'intéresser, si elle lui en laisse les moyens, et le temps. Le regard ambré du jeune homme s'attarde forcément sur la rondeur de son ventre, miracle de vie qu'elle abrite; un heureux évènement qu'il espère avoir la chance de vivre un jour, lui aussi. - J'en suis honoré. J'espère que c'était le cas aussi de la future maman. sourire dessiné sur ses lippes, espérant qu'elle ait passé un bon moment dans le studio de musique. A vrai dire, elle avait semblé plus nerveuse, dès l'instant où il avait cessé de jouer; comme si le rapprochement physique avait annulé les effets apaisants de la musique. - T'inquiètes, j'avais compris. déclara-t-il d'une voix douce, avant de reprendre - Est-ce que ça va..? T'as l'air.. Mmh.. Anxieuse ? un changement brutal, comparé à son calme en arrivant. En tout cas, c'était assez flagrant pour qu'il le remarque, et qu'il s'en préoccupe. 

La situation changeait oui, mais tout simplement parce que Lilly-Ann a encore du mal avec le contact. Elle a beau tenté de faire confiance, elle a toujours cette part de méfiance en elle. Dès que quelqu'un lui parait un peu trop gentil, elle pense alors qu'il s'agit de faux semblant et qu'elle le regrettera. A côté, les "bad boys" lui font moins peur. Au moins avec eux, elle sait à quoi s'attendre. Plus ou moins. Alors oui, elle ne pouvait s'empêcher de penser que le jeune homme cachait quelque chose, qu'il ne pouvait pas être aussi doux que la musique qu'il avait joué. C'était plus fort qu'elle. "Beaucoup." Dit-elle, tout en souriant. "Pour être franche, ce n'est pas exactement le genre de musiques que j'écoute habituellement. Mais de temps en temps, ça fait du bien." Bien qu'elle en ait pas mal écouté durant sa relation avec Gresham, lui, appréciant énormément la musique classique. Elle ne détestait pas cela, mais disons que ce n'est pas la musique qu'elle écouterait de son propre chef. Un peu trop calme. Puis, maintenant ça lui fait penser un peu trop au père de son enfant. "Désolée..." Dit-elle lorsqu'il lui fit remarquer son changement de comportement. "Je travaille encore sur ma sociabilité." Chose pas facile à faire. Elle savait que c'était une chose étrange à dire, mais elle préférait être honnête. Elle se savait étrange aux yeux des autres, mais que pouvait-elle faire ? A part se soigner et réapprendre à vivre en société, avec le temps. "Du coup, tu étudies la musique ici ?" Demanda-t-elle afin de faire la conversation, pendant qu'ils se dirigeaient vers leur maison des bleus.

Derwin n'a jamais eu de problèmes de sociabilité, que ce soit pour entretenir des relations ou pour les créer; c'est quelque chose de foncièrement naturel, ancré en lui. Sa carrière l'a aussi avantagé à ce niveau; le forçant à aller vers les autres, qu'il s'agisse de fans ou des membres de son équipe. Tout le monde n'est pas comme ça; il en a conscience et porte énormément de respect envers ceux et celles qui ont encore des difficultés à ce niveau. - La musique classique m'apaise.. Je l'écoute principalement dans ce but, à vrai dire. Et avoir l'opportunité de la créer moi-même, c'est un privilège. toujours plaisant de récolter les fruits de son travail, n'est-ce pas ? La musique rapproche et la jeune femme en est la preuve; ayant fait un pas dans sa direction en l'écoutant jouer. - Je peux comprendre, ne t'inquiètes pas. sourire sincère que le jeune homme lui offre, se voulant rassurant en tous points. Qu'elle aille à son rythme et ne se prenne pas la tête, Derwin n''est pas là pour la faire sortir de sa zone de confort. - Pas tout à fait.. J'étudie le droit en majeure partie mais.. Je consacre quand même quelques heures à la musique, je l'avoue. l'idée de devenir virtuose s'était envolée il y a bien longtemps. Le pouvoir de faire changer les choses, en revanche, demeure encore et toujours. - Et toi ? J'imagine que ça doit être compliqué, de gérer les cours et la grossesse. sans vouloir être intrusif, bien entendu. Une autre certitude, mise en évidence malgré le peu de temps passé ensembles; la belle ne manque clairement pas de courage. Pour une personne en travail sur sa sociabilité, elle ne se débrouille pas si mal.  

A petite vitesse, leur conversation continuait. Tranquillement, doucement, et surement. Mais c'était exactement ce dont avait besoin Lilly-Ann. Elle n'avait pas besoin d'une entrevue brusque, chose qui la bloquerait surement plus qu'autre chose. Chaque chose en son temps. "Tu composes aussi?" Demanda-t-elle, curieuse. Elle trouvait déjà le jeune homme fascinant par sa façon de jouer, mais s'il lui disait qu'il composait aussi, elle en serait d'autant plus. Ce n'est pas rien de composer de la musique classique. Elle préférait les compositeurs de ce genre plutôt que les chanteurs de pop, rnb, etc. Le rap, elle détestait cela. Elle ne comprenait pas. Mais composer de la musique classique, elle ne pouvait que penser du bien du compositeur, qui pour elle, se devait d'être doux et rêveur afin d'y arriver. "Le droit ?" Elle était plus curieuse que sociable. "Pour être sûr d'avoir un diplôme stable ... au cas où si tu n'arriverais pas à percer ?" Ou alors elle se plantait totalement et il n'avait aucunement envie de devenir musicien à temps plein. Cela restait peut-être un passe temps pour lui. Alors qu'elle s'en rendit compte, elle rajouta. "Excuse moi, je pose vraiment trop de questions." Enfin surtout des questions peut-être un peu trop indiscrète à son goût. Elle se pinça les lèvres, pour se taire, le temps de quelques minutes. "Pour le moment ça va ... C'est surtout le après qui me fait peur." Pour le moment, elle arrivait encore à gérer sa fatigue, ses petites nausées. Mais avec un bébé, elle ne savait pas encore comment elle allait s'organiser. Et elle se dit alors qu'il devenait urgent de se poser la question.